Tensions sur les doses de vaccins disponibles : comment expliquer la succession de faillites logistiques de l’Etat depuis le début de la pandémie ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des doses de vaccin Pfizer / BioNTech contre la Covid-19.
Des doses de vaccin Pfizer / BioNTech contre la Covid-19.
©Justin TALLIS / AFP

Pénurie en vue ?

Alors que le gouvernement a multiplié les contraintes qui seront imposées au quotidien aux réticents à la vaccination, des informations confidentielles montrent que les dotations en vaccin Pfizer ont été limitées au niveau national et que les rendez-vous de vaccination le sont elles aussi.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Jérôme Marty

Jérôme Marty

Président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, est médecin généraliste et gériatre à Fronton, près de Toulouse.

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Atlantico : Depuis le 21 juillet, le pass sanitaire est devenu nécessaire pour toute entrée dans de nombreux lieux de loisirs, le gouvernement espérant ainsi freiner la propagation du virus. Dans le même temps, la vaccination s’accélère et le Premier Ministre Jean Castex a annoncé au 13 h de TF1 son objectif à ce propos, soit 50 millions de primo-vaccinés d’ici la fin août. Mais, car avec le gouvernement actuel il y a toujours un mais, les doses commencent à manquer. Les médecins dénoncent un manque de doses et comble de l’histoire, l’ARS de Bourgogne Franche-Comté demande même dans une note interne de ralentir la cadence. À l’heure actuelle, l’État est-il capable d’assurer les objectifs qu’il s’est fixé en matière de vaccination ? En a-t-il réellement les moyens et les compétences ?

Dr Jérôme Marty : En ce qui concerne la vaccination, on dénonce le manque de doses depuis le début en cabinet. On a fourni les vaccinodromes et les centres de vaccination alors que dans les cabinets, on s’est retrouvé avec un maigre flacon de Moderna quand il était disponible. Aujourd’hui, les cabinets pourront être fournis en Pfizer, mais manifestement ils ont oublié de calculer le nombre de doses. Tout ce qui est en réserve a été inoculé… Maintenant, le gouvernement doit équilibrer l’offre et la demande en fonction des livraisons de Moderna et Pfizer.

Nous avons une course à gagner contre le virus et ce n’est pas le moment de ralentir. Faute de moyens, cela va tout de même ralentir. Ils auraient dû depuis le début de la pandémie s’appuyer sur le tissu territorial que représentent les cabinets médicaux, les infirmières, les pharmacies. Ils les ont sous-dotés.

Étonnamment, le gouvernement ne s’attendait pas à un tel afflux vers Doctolib après l’annonce de l’instauration du pass sanitaire… Cette pénurie est une surprise pour eux, mais pour les praticiens en cabinet, ce n’est pas une découverte. En moyenne désormais, il faut 14 jours pour trouver une place de vaccination.

Charles Reviens : Le bon sens peut en effet conduire à constater l’importante contradiction entre la pression maximum que mettent les pouvoirs publics français depuis dix jours pour augmenter le rythme de vaccination et des situations de pénuries et d’augmentation des délais d’attente pour la vaccination.

Sur les pénuries, nous ne disposons que d’informations partielles mais les courriers de l’ARS que vous mentionnez évoquent une pénurie nationale de doses Pfizer conduisant dans certains territoires à des réductions de dotations qui ne peuvent que conduire à la baisse du rythme de vaccination. RTL mentionnait hier pour la région lyonnaise une augmentation forte des délais de RV sur doctolib (passage à 2 voire à 3 semaines) et le caractère très limité des doses disponibles pour des opérations de vaccination sans rendez-vous ayant conduit des personnes volontaires au vaccin à partir sans être vaccinées.

Suite à discours d’Emmanuel Macron du 12 juillet indiquant la mise en place du pass sanitare, les médias mentionnent la très grande augmentation des demandes de rendez-vous de toute nature : explosion de la demande et prise d’assaut des centres de vaccination. S’il n’y avait pas de cohérence entre le dispositif de communication particulièrement pesant et comme souvent plutôt culpabilisateur des pouvoirs publics et la logistique et la ‘supply chain’ de production et d’approvisionnement des lieux de vaccination, cela peut tout à fait conduire à des situation de pénuries et d’augmentation des délais sur au moins certains territoires. Pourtant sur les dix derniers jours on a plutôt l’impression que la polémique sur le pass sanitaire et les antivax a dominé tout le reste.

Rappelons enfin que ce n’est pas la première fois qu’une situation de pénurie se produit dans la chaine de vaccination : les retards de production et de logistique rencontrés par Pfizer et AstraZeneca avaient provoqué en janvier et février 2021 une situation de pénurie suscitant des critiques acerbes vis-à-vis des pouvoirs publics de la part de personnalité politiques combinant statut d’élus locaux et d’opposants à Emmanuel Macron : « faute gravissime » sur la stratégie de vaccination de l’exécutif pour Xavier Bertrand, « tout est faite en catastrophe » pour Philippe Juvin qui pour sa part joue à la fois dans le champ sanitaire et politique, retard à l’allumage et manque de logistique pour Anne Hidalgo.

Au-delà de la vaccination, depuis le début de la pandémie, y-a-t-il d’autres points sur lesquels l’État aurait dû être plus performant pour ralentir l’expansion du virus ?

Dr Jérôme Marty : Ils pourraient être plus performants sur la rentrée scolaire, sur la communication du vaccin, ce qu’est un vaccin ARN et montrer comment cela fonctionne, en donnant une réponse aux questions que se posent les Français.

Ils répondent à l’instant et on n’a pas la sensation de voir de préparation. On cite les retards de livraisons, mais il y a aussi la communication erratique et l’impréparation. Cela aura été tout au long de la crise. À chaque nouvelle étape à franchir comme les tests, l’impréparation a compliqué les choses. Heureusement, les soignants rattrapent le coup.

Charles Reviens : Je mentionne régulièrement une double caractéristique problématique de l’action publique en France. D’abord la faiblesse des études d’impact et d’analyse concrète des politiques publiques, exercice qui pourrait d’ailleurs être fait tant par l’administration et le gouvernent dans l’élaboration des politiques publiques que par l’opposition et notamment le Parlement dont c’est d’ailleurs une des missions constitutionnelles (alinéa 1 de l’article 24). D’autre part l’absolue domination des enjeux de communication avec plusieurs exemples sur ses modalités pour la pandémie covid : sentiment d’être dans une présent éternel conduisant à la confusion cognitive de l’opinion, maniement systématique et rapide des impératifs et de la condamnation morale face à toutes critiques, très grande difficulté à assumer publiquement les erreurs passées, avec en la matière des différences essentielles avec par exemple la communication de la chancelière Angela Merkel.

Sur la performance passée de l’Etat, il faut commencer par reconnaître le caractère inédit et global de la crise sanitaire covid-19 qui conduit en tout cas pour les premières étapes à une modération dans la critique, voire à une certaine indulgence. Mais on peut noter plusieurs points où la performance publique aurait pu être perfectible : enjeu majeur de la réactivité initiale (la France a été mise dans le fait accompli d’une situation initiale de circulation intense du virus rendant inopérant ou extrêmement coûteux une politique de type zéro covid à l’australienne), conséquences de postures médiatico-idéologique (délais extrêmement longs de la mise en place des restrictions aux frontières établies avec succès dans de nombreux pays), caractère très ouvert du premier déconfinement l’été dernier créant les conditions d’une puissante deuxième vague.

Comment expliquer l’ampleur des défauts logistiques de l’État ? Pourquoi l’appareil étatique fait-il défaut à ce propos lors d’une situation de crise alors qu’une entreprise privée pourrait elle opérer l’opération avec semble-t-il moins d’encombres ?

Dr Jérôme Marty : La situation actuelle est l’aboutissement de tous les échecs qui ont précédé et d’une manière de faire de la politique. Le gouvernement devrait se reposer sur les institutions et parler aux représentants du personnel et aux salariés du secteur médical. Ces défauts logistiques viennent d’une impréparation, ils devraient prendre le temps pour faire les choses. Cela demanderait au moins deux ou trois jours.

Charles Reviens : Concernant les relations entre les entreprises privées et l’Etat, il me semble qu’il faut éviter deux écueils. Le premier, apparemment puissant dans l’administration française, concerne une posture de défiance vis-à-vis du secteur privé combinant idéologie anti-entreprise et préservations du pré carré du secteur public. Cette défiance s’est manifestée à plusieurs reprise lors de la crise covid : centrage durable de la gestion de la crise sur l’hôpital public conduisant à la ségrégation de fait de la médecine de ville et des cliniques, interdiction de la distribution d’auto-tests covid par la grande distribution.

Le second écueil concerne une idéalisation exagérée de la performance de l’entreprise privée par rapport à l’Etat. Quels que soient ses avantages, l’entreprise privée n’est pas dans la situation de l’Etat par la nature même de ses objectifs et l’Etat ne peut donc pas lui déléguer ses objectifs et les buts de l’action. La bonne formule consiste à considérer un écosystème global articulant l’Etat dans sa position de maître d’ouvrage des politiques publiques mais s’appuyant sur les compétences clés dont certaines ne sont disponibles dans le secteur privé.

Sur la crise covid, un exemple frappant est le partenariat public privé américain de l’« opération Warp Speed » piloté par l’Etat fédéral impliquant armée, laboratoires pharmaceutiques (Pfizer, Moderna…) et grandes entreprises de logistique (UPS et fedex) et couvrant la question de la vaccination de façon globale.

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