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Tennis made in France : pourquoi ce sont bien plus que des joueurs qui ont perdu en Coupe Davis
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Jeu, set et match

Battue 3-1 par la Croatie, la France quitte la tête basse cette compétition qu'elle a tant aimé et qui désormais disparaît.

Olivier Rodriguez

Olivier Rodriguez

Olivier Rodriguez est entraîneur de tennis et préparateur physique. Il a coaché des sportifs de haut niveau en tennis. 
 
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C'est fini, la défaite logique de la France annonce la disparition de la Coupe Davis telle que nous l'aimions. Le tocsin a sonné, ce monument désormais historique ne sera plus qu'un splendide souvenir permanent puisqu'à l'avenir, la parade l'emportera sur la compétition. Sportivement, l'équipe de France n'a pas à rougir de sa défaite. La magie d'une épreuve et le soutien d'un public ne font pas tout: il faut aussi avoir les moyens de ses ambitions. Le capitaine Noah a fait de son mieux et selon les ressources actuelles...  celles-ci n'étaient clairement pas suffisantes.  On ne peut appréhender les raisons de la défaite de l'équipe de France sans les relier à l'incapacité de la fédération à sortir depuis longtemps des cracks potentiellement capables de gagner un Grand Chelem. Depuis la création de l'ère Open, en 1968, seulement 6 hommes et 4 femmes ont pu en atteindre la finale... Pour un seul vainqueur. Pourquoi ?

En premier lieu, il convient de bien situer la place du sport dans notre société. Pour cela, étirer la temporalité est nécessaire car il s'agit de voir les choses de près comme de loin. Si la France a toujours honoré ses élites intellectuelles, elle a souvent brocardé ses sportifs. A l'instar de l'artisanat et des métiers manuels, le sport hexagonal a, de toutes époques, plutôt attiré les moqueries que le prestige. La meilleure preuve de ce triste constat trouve sa pleine expression dans la place qui est faite aux pratiques sportives au sein de nos systèmes éducatifs: celle-ci se réduit au strict minimum. Promouvoir une éducation sportive et générer des vocations avec une telle absence de moyens semble relever de la gageure. Il est manifeste que les principes et les priorités de l'éducation nationale s'accommodent particulièrement mal des impératifs et de la discipline que la pratique du sport de haut niveau assignent. Pourtant, devenir un sportif de haut niveau convoque, sur des années, une quantité d'efforts, des valeurs de travail et d'exigence de tout premier plan. Cette envie d'une réalisation de soi majuscule est une véritable formation en accéléré des tourments et des réussites d'une existence. 

Responsable de la formation de l'élite, la Fédération Française de Tennis n'est pas non plus exempte de tous reproches. Les sous-développements en terme de préparation physique, de nutrition, de préparation mentale ou d'accompagnement psychologiques des joueurs et des joueuses au long de leurs carrières sont plus que conséquents. Les outils existent (yoga, sophrologie, hypnose, PNL) mais ils ne font pas partie du quotidien. Pour l'apprenti champion (et son entourage) comme pour le professionnel, une seule question se pose: comment transformer les problèmes en forces ? Inutile d'expliquer ici que pendant que nous n'optimisons pas ces domaines majeurs, d'autres nations ne nous attendent pas. Lesquelles nations ne se privent pas d'attirer nombres de nos meilleurs jeunes en proposant des cursus compatibles avec la pratique sportive intensive. Une Fédération qui n'a pas trouvé mieux pour booster son enseignement que de baisser de deux classements le seuil d'accessibilité au Diplôme d'Etat de moniteur de tennis. Comment améliorer l'apprentissage et sortir des champions en présentant des formateurs de moins en moins experts dans leur pratique ? Autrement dit, comment rechercher le progrès en pensant à reculons ? Dans le même ordre d'idées, comment estimer la position d'une fédération qui ne s'appuie toujours pas sur la compétence internationalement reconnue de coachs travaillant dans des structures privées ? L'évolution du mode de calcul du classement français pose également question: depuis quelques années, les défaites concédées par un compétiteur contre des joueurs moins bien classés que lui engendrent beaucoup moins de pénalisation comptable... La recherche d'une dédramatisation de la défaite est-elle compatible avec la recherche de la constance dans l'excellence ? Une autre piste de réflexion nous invite à considérer les problèmes liés au déracinement familial quasiment obligatoire des plus jeunes de nos talents et le coût prohibitif du projet nécessaire à leur entrée dans la carrière. Car le tennis, même s'il touche un public de plus en plus large, est encore loin d'être démocratisé et n'est certainement pas à la portée de tous ceux qui souhaitent en faire leur métier. Dernier point d'importance, s'il est facile se dresser le portrait robot du joueur de tennis Espagnol, Sud-Américain, Japonais ou Américain, l'identité française est insaisissable. Cela nous dit aussi quelque chose de l'absence d'une signature fédérale. 

Concluons en soulignant que si les trente dernières années n'ont pas vu l'émergence de vainqueurs masculins français en Grand Chelem, de nombreux très bons joueurs ont porté haut les couleurs du pays. Depuis 1973, dix-huit français ont atteint le top 20 mondial, ce qui est remarquable. Mais ce qui faisait notre richesse, à savoir la profondeur et la richesse de notre vivier (la France a très souvent été la nation la plus représentée dans le top 100 mondial) ne sera bientôt plus. La relève n'arrive pas, un creux générationnel est à déplorer et le système, souffrant d'immobilisme, prend du retard. Comme un symbole, la Coupe Davis, dans son ancienne formule, nous avantageait grandement car elle exigeait d'avoir au moins six joueurs de très bonne valeur pour ambitionner la victoire. Nous n'avions certes pas les cadors mais nous possédions les équipes les plus homogènes. Avec désormais seulement deux simples et un double à disputer, ce qui était un atout devient un terrible handicap pour remporter la seule compétition de renommée internationale conquise par les français sur les trente dernières années...

La nécessaire reconstruction prendra du temps et exigera des réformes drastiques. Vu l'inertie du système, le désengagement progressif des services publiques, les blocages politiques, sociaux et éducatifs, la Fédération Française de Tennis aurait peut-être intérêt à constituer un fond de prévoyance.

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