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Taux d’emploi en France : l’écart entre les moins diplômés et ceux qui le sont plus n’a jamais été aussi large
©©LOIC VENANCE / AFP

Grand écart

Depuis 2005, l'écart des taux d'emploi selon les niveaux de formation initiale est passé de 31 à 43 points. Au sein de l'Union Européenne, aucun des grands pays n'a un taux si bas ni un tel écart.

Denis Ferrand

Denis Ferrand

Docteur en économie internationale de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Denis FERRAND est Directeur Général de Rexecode où il est notamment en charge de l’analyse de la conjoncture de la France et des prévisions macroéconomiques globales. Il est également vice-Président de la Société d’Economie Politique. Il est membre du Conseil National de l’Industrie et du Conseil d’Orientation pour l’Emploi au titre de personnalité qualifiée. Chroniqueur pour Les Echos, il est chargé du cours d’analyse de la conjoncture à l’Institut Gestion de Patrimoine de l’Université Paris-Dauphine et pour le Master APE de l’université Paris-Panthéon Assas.

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Atlantico : L’écart des taux d’emploi sur les niveaux de formation initiale  est passé de 31 à 43 points en France depuis 2005. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment faut-il analyser ces données ?

Denis Ferrand : Le taux d’emploi en France a tendance à progresser. Le niveau pour notre pays est très élevé et a même atteint un niveau record à la fin de l’année 2021. Mais lorsque l’on décompose ce taux d’emploi, la progression n’est pas homogène en réalité, notamment entre les générations. Ce taux progresse pour les 15-24 ans et pour les 55-64 ans. Les classes d’âge extrêmes connaissent donc une progression.

Ce mouvement ascendant semble tirer tout le monde vers le haut mais ce n’est pas le cas, notamment lorsque l’on décompose un peu plus finement par niveau de formation initiale. Les personnes les mieux formées sont de plus en plus en situation d’emploi. Le taux d’emploi est passé de 78 à 82 % entre 2005 et 2020 en France.

En revanche, les individus les moins bien formés et ceux qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme sont de moins en moins inclus dans l’emploi. 

Il est toutefois possible de se rassurer avec les chiffres suivants. Entre 2005 et 2020, il y a eu une évolution parfaitement symétrique. En 2005, le nombre de personnes qui avaient le plus faible niveau de formation initiale selon la Classification internationale type de l'éducation (ou Cite), s’établissait à 14 millions de personnes en France pour les 15-64 ans, en 2020 ils étaient 9 millions. Le nombre de personnes non diplômées ou avec le plus faible niveau de diplôme recule. Il est possible de s’en réjouir mais dans le même temps ces personnes sont de moins en moins incluses dans l’emploi.

Un effet symétrique s’est passé du côté des diplômés, notamment pour le plus haut niveau de formation initiale (Bac+5 et au-delà). Ils étaient 9 millions à partir de Bac+3 en 2005 pour la catégorie 15-64 ans. Ils sont désormais 14 millions en 2020.

Il y a donc une évolution symétrique en termes de nombres. Les diplômés sont de plus en plus insérés dans l’emploi. En revanche, les non-diplômés qui sont de moins en moins nombreux, sont aussi de moins en moins dans l’emploi. Sur 9 millions de non-diplômés ou de personnes de faible niveau de formation initiale, seulement 3,5 millions se retrouvent dans l’emploi.   

Il n’y a aucun autre pays de la zone euro qui a un taux d’emploi aussi faible que celui que l’on observe en France pour cette dernière catégorie de population. Même l’Italie a dépassé la France. Il n’y aucun autre pays qui présente un tel écart de taux d’emploi selon le niveau de formation initiale.

Le diplôme demeure la meilleure garantie de trouver un emploi. Mais attention, ce n’est pas parce que vous êtes diplômé que vous obtenez un travail qui correspond à votre niveau de formation initiale.

En termes de compréhension de cette évolution, qu’est-ce qui pourrait expliquer ces changements ?     

Cela est lié à un ensemble de pratiques dans les entreprises ou pour les recrutements dans la fonction publique.

Lorsque les concours de la fonction publique sont ouverts pour des Bac+2, ce peuvent être des Bac+5 qui prennent les postes. Des situations similaires se déroulent dans les entreprises. Une surqualification intervient. Des personnes surdiplômées peuvent se retrouver sous-employées. Quand vous comparez entre le début des années 1990 et 2010, le nombre de diplômés d’un niveau Bac+5 et doctorat a augmenté de 83 %. Dans le même temps, le nombre de postes de cadres dans l’ensemble de l’économie a augmenté de 38 %. Si vous avez un Master, les postes qui vous attendent sont classés dans la catégorie cadre. Il y a une déformation de la structure de la population selon le niveau de diplôme, la déformation de la structure des emplois ne l’a pas forcément accompagné au même rythme.

Une hausse de niveau de diplôme est constatée. Mais il n’y a pas en même temps une déformation de la structure de l’emploi qui était en adéquation avec l’évolution des diplômes.  L’économie n’a pas été capable de produire les emplois qui correspondaient aux aspirations associées à l’obtention d’un diplôme.

Nous avons une politique d’éducation qui élève le niveau de diplômes mais dans le même temps, certaines politiques économiques qui ont été déployées (comme l’allègement des cotisations sociales au niveau des bas salaires) ont contribué à déformer la structure de l’emploi vers des emplois faiblement qualifiés sans pour autant permettre aux personnes les moins formées à s’insérer dans l’emploi. En maintenant le niveau de prélèvements sur les postes d’emplois qualifiés, cela peut créer un frein aux conditions de développement de l’emploi qualifié parce que vous devez financer le développement de l’emploi non-qualifié.

En allégeant le coût, le développement d’emplois non-qualifiés a été favorisé sans se donner les moyens de créer de l’emploi qualifié à un moment où le niveau de diplômés montait dans la population.

Cela peut générer une double frustration. Si vous n’êtes pas diplômé, il vous est plus difficile d’être intégré dans l’emploi. Si vous êtes diplômé, vous allez être dans l’emploi mais pas nécessairement au niveau que vous attendiez.

Face à ce constat, quelles sont potentiellement les solutions à envisager pour régler tout ou partie des problèmes ? 

La formation professionnelle est un enjeu majeur. On constate un taux assez faible de chômage des diplômés mais ils connaissent une frustration quant à leur insertion dans l’emploi. Il y a également des difficultés de recrutement pour les postes à faible niveau de qualification. La meilleure manière d’affronter ces difficultés est de donner les conditions du retour à l’emploi aux personnes qui en sont le plus éloignées, aux individus faiblement qualifiés. Du point de vue du chômage, les personnes qui en sont sorties sont celles qui étaient relativement proches de l’emploi, des individus qualifiés. A l’heure actuelle, la situation est plus difficile car il faut faire revenir vers l’emploi les personnes qui en sont, à priori, les plus éloignées, qui n’ont pas forcément la mobilité géographique pour occuper des emplois faiblement rémunérateurs. Cela prend du temps également pour former ces personnes via la formation professionnelle. Les entreprises ont aussi un rôle à jouer.  

Des initiatives vont-elles dans ce sens ?      

Le secteur de la construction fournit un exemple intéressant. Il connaît un niveau d’emplois est supérieur à celui enregistré avant la pandémie alors que le niveau d’activité est assez similaire au niveau de la pandémie. Avec la Covid-19, les travailleurs détachés sont repartis chez eux ais ne sont pas revenus. Certains de ces travailleurs venaient notamment des pays de l’Est. Les entreprises du secteur de la construction ont donc dû trouver d’autres viviers de recrutement en France dans un environnement proche et dans le bassin d’emploi local.

Les politiques d’accompagnement social et de retour vers l’emploi en France sont-elles suffisantes ou insuffisantes ?

Si l’on observe les résultats, ces politiques et ces moyens mis en œuvre permettent de bien accompagner vers l’emploi des personnes qui en sont proches et des individus qui ont eu des formations initiales. Ces profils n’ont pas forcément beaucoup de difficultés pour se réinsérer dans l’emploi. Malheureusement, nous avons des difficultés à insérer ceux qui sont peu formés. 

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