Syrie : Alep, cette "Benghazi" syrienne dans laquelle se joue l'avenir de Bachar el-Assad<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Char T-72 de l’armée syrienne détruit à côté d’une mosquée à Izzaz dans le rif d’Alep.
Char T-72 de l’armée syrienne détruit à côté d’une mosquée à Izzaz dans le rif d’Alep.
©Wassim Nasr

La dernière bataille ?

Alep, capitale économique de la Syrie, est désormais une priorité pour Bachar el-Assad et pour la rébellion. Depuis samedi, la confrontation s’intensifie dans le quartier de Salah el-Din. Explication de l'importance de cette guerre dans la guerre.

Wassim Nasr

Wassim Nasr

Wassim Nasr est journaliste et veilleur analyste. Il est diplômé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS).

Voir la bio »

Certaines vidéos en lien dans cet article sont susceptibles de choquer certains lecteurs

Les yeux sont rivés vers Alep, alors que l’armée et les rebelles convergent vers cette ville plusieurs fois millénaire. Après Damas, Alep capitale économique du pays est désormais une priorité pour Bachar el-Assad et pour la rébellion. Malgré ses trois millions d’habitants et malgré le patrimoine humanitaire qu’elle représente, Alep risque de subir le même sort que Homs et Hama avant elle. Les rebelles qui voient dans la ville une « Benghazi » syrienne, s’y installent en connaissance de cause face à un régime sans scrupules.

La route vers Alep

Le succès des opérations militaires rebelles dans la région d’Idlib et d’Alep revient à l’unification des différents groupes combattants, mais aussi à l’implication croissante des acteurs régionaux comme l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie à travers la mise sur pied d’une centrale de « Command & Control » à Adana en territoire turc. Cela malgré la prudence des acteurs occidentaux, qui regarde l’évolution du conflit d’un œil méfiant et qui limitent leur soutien aux rebelles au strict minimum.

Début juillet les rebelles étaient passés à l’offensive dans le rif d’Idlib en utilisant de l’équipement lourd capturé à l’armée régulière. Cela dans le but d’assurer les routes d’approvisionnement et les arrières des groupes qui planifient l’investiture d’Alep. On remarque aussi qu’une partie du matériel capturé aux troupes d’Assad (4x4 avec DShK-38 « Douschka » ou avec Zu-23) est conçu pour une guerre de guérilla et de combats urbains. Cet armement qui s’avérera d’une grande utilité pour les rebelles, démontre qu’Assad prépare ses troupes à une longue guerre civile.

La prise d’Izzaz non loin de la frontière turque, fut cruciale sur le chemin d’Alep. Depuis, les rebelles convergent vers le rif de la ville. La brigade la plus active dans cette zone est Lioua el-Tawhid* (une des brigades les plus organisé et les mieux équipés sur le territoire syrien). Cette formation regroupe (depuis le 18 juillet) sous le même commandement les combattants de la région d’Alep à l’exception de deux groupes, Mouthana Bnou-Haritha et Omar el-Farouk. Cette « union » est la première étape d’un plan bien établi, qui vise à affirmer le contrôle de la zone et à organiser l’investiture de la ville d’Alep. La mise en œuvre de ce plan a débuté avec des attaques frontales contre l’armée régulière.  Cette dernière ne tardera pas à perdre pied au rif suite à des opérations de plus en plus ciblées. La réussite de l’offensive d’Alep passe aussi par la mobilisation des habitants de la ville, cela à travers des appels au Djihad prononcés dans plusieurs mosquées des quartiers sunnites.

Cette mobilisation se traduira le 20 juillet avec des manifestations qui seront suivies par les premiers harcèlements sérieux de l’armée régulière dans le quartier de Salah el-Din. Sachant que le même quartier avait connu des confrontations à l’arme légère dès le 13 du mois. Le 21 juillet les rebelles d’Alep et de Liou al-Tawhid venant du rif ont investis les rues des quartiers qui leur sont acquis, comme le quartier de Sakhourles combats ont gagné en violence et en intensité sous la bannière unique du Tawhid. Les rebelles empêcheront l’armée régulière de regagner le terrain occupé, tout en s’emparant de quelques chars abandonnés par les troupes d’Assad.

Une bataille décisive ?

La bataille pour reprendre Alep est indéniablement d’une grande importance pour le régime syrien. Longtemps épargnée par les mouvements de contestation et donc par la répression aussi, la ville voit plusieurs de ses quartiers investis par les rebelles dans un laps de temps très réduit. Des quartiers comme Bab el-Hadid sont sous le contrôle des rebelles depuis plusieurs jours. Après avoir capturé plusieurs officiers, soldats et Chabihas, ils ont entamé l’arrestation des informateurs et le nettoyage des rues. Depuis samedi la confrontation s’intensifie dans le quartier de Salah el-Din et Lioua el-Tawhid contrôle plusieurs bâtiments dont les locaux du Baas.

Le quartier d’Hanano aux extrémités de la ville a connu les premières opérations d’une quatrième vague de combattants composée par les deux groupes Mouthana Bnou-Haritha et Omar el-Farouk (mentionnés plus haut). Les combattants des trois premières vagues ont été remplacés sur le terrain au bout de trois jours de combat, alors que les hommes continuent d’affluer vers la ville. Ce qui en soit démontre une meilleure organisation et une meilleure coordination entre les différentes factions rebelles.

Le brouillard de la guerre

Tout en comptant sur la profondeur stratégique en territoire turc, les rebelles et l’opposition projettent d’utiliser la ville comme un bastion qui permettra de conduire des opérations sur tout le territoire. Ce qui d’une certaine manière écarte les chances d’un compromis, comme l’a très bien exprimé le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov. S’ajoute à cela le soutien renouvelé de l’Iran par la voix de son ministre des affaires étrangères Ali Akbar Salehi et l’inflexibilité manifeste de son homologue syrien Walid Mouaalem, lors de la dernière conférence commune de Téhéran.

Avec le pilonnage de la ville, les troupes d’Assad ont entamé une opération de reconquête des quartiers nord et ouest. De leur côté les rebelles essayent de maintenir leur maîtrise de ces quartiers en utilisant des méthodes qui parfois n’ont rien à envier à celles du régime baasiste.

Au cours de leur avancée vers Alep et avec un cynisme macabre des rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL) forcent deux jeunes soldats - probablement des appelés vu leur jeune âge - à téléphoner à leurs parents respectifs pour leur dire : « j’ai attrapé des rebelles de l’ASL, qu’est ce que j’en fais ? Je les tue ou je les laisse partir ? ». Le premier soldat est sauvé par la bonne réponse de son frère, alors que le deuxième soldat est condamné à mort par la mauvaise réponse de son père. Un des rebelles annoncera à ce dernier : « Tu viens de condamner ton fils à mort », cela ne rend en rien les agissements des Chabihas pardonnables ou moins cruels, mais cela démontre encore une fois qu’on est désormais dans  une guerre civile.

Finalement, cet exemple parmi d’autres et les dernières informations concernant la mort du journaliste Gilles Jacquier (1), les accusations du journaliste britannique Alex Thomson (2)et le dernier témoignage du photographe néerlandais Jeroen Oerlemans (3) ; tous ces événements sonnent l’alarme d’une situation qui échapperait à tout le monde et en premier lieu à l’opposition politique. Fort est de constater que le conflit commence à être larvé et que tous les ingrédients d’une longue guerre civile sont désormais réunis… toujours au grand dam d’une population meurtrie par la répression et par la guerre, mais aussi et surtout par l’hypocrite « jeu des nations » auquel se livrent les « monstres froids » que son les États.  

*à 2.23 dans la vidéo : énumération des différents groupes qui se battent sous la bannière de Lioua el-Tawhid (Brigade de l’Union), Tawhid est en général utilisé pour signifier une union dans l’Islam.

(1) Mort suite à un tir de mortier rebelle visant un quartier alaouite et pro-Assad à Homs.

(2) Il accuse l’ASL de l’avoir piégé pour qu’il trouve la mort en affirmant qu’ « un journaliste mort profite plus à l’opposition qu’au régime ».

(3)Kidnappé par des djihadistes étrangers en territoire syrien pour être finalement  libéré par l’ASL.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !