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Suicides, chômage, sans-abris : 
quand le peuple grec sombre 
dans le chaos
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Dépression

Plus de 10 000 Grecs ont manifesté ce mardi dans les rues d'Athènes pour protester contre l'austérité qui frappe leur pays. Derrière les chiffres de la dette, se cache la souffrance d'un peuple à l'avenir très incertain.

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre est maître de conférences à l'INALCO, spécilisée en civilisation de la Grèce. Elle est notamment l'auteur de La Grèce inconnue d'aujourd'hui, de l'autre côté du miroir, l'Harmattan 2011, 252p. En collaboration avec 4 doctorants ou docteurs de la section grecque de l'INALCO.

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Quand, en mai 2010, les sages de la Troïka (nom donné en Grèce aux représentants de la BCE, du FMI et de l'UE) imposent leur premier plan d'austérité, c'est dit-on aux Grecs, une purge sévère, nécessaire mais passagère. Malheureusement, par la suite, les mêmes sages constatent que la médecine est insuffisante, ils imposent un surcroît d'austérité en juillet 2011, en septembre, ils réclament des mesures complémentaires, et, en janvier 2012, encore d'autres... mais ils ne garantissent même plus le succès de l'opération !

L'austérité ? 

  • La diminution des dépenses publiques, par le gel puis la baisse (20%) des salaires, la suppression du 13e mois et des primes et, parallèlement, la baisse des retraites (et l'allongement immédiat du temps de cotisation). S'y ajoute le non remplacement de 9 départs à la retraite sur 10, puis le licenciement obligatoire de 30 000 fonctionnaires titulaires en janvier 2012 (on en prévoit 100 000 autres en 3 ans)[1].
  • L'augmentation des ressources obtenue, en théorie, par la chasse aux mauvais payeurs, la suppression rétroactive d'avantages fiscaux, les amendes imposées aux constructions illégales, la création d'impôts nouveaux, l'augmentation des tarifs des services publics (+ 50% sur l'électricité en un an) et une TVA à 23% généralisée (d'où l'essence la plus chère d'Europe).

Comment vit-on dans ces conditions ?

  • On peut parfois parler de chaos : 6 journées de grève générale en 2010, 5 autres en 2011, d'innombrables grèves catégorielles, blocus récurrent de tel ou tel service, des fonctionnaires qui, à la suite de la suppression de services entiers et de leur reclassement, sont mécontents, inquiets, ignorants de leurs nouvelles fonctions... Comment les services fiscaux déjà réputés inefficaces, peuvent-ils, avec moins d'employés, gérer les différents impôts nouveaux successifs ? Quel impôt, taxe, quelle somme vais-je payer alors que les indications fournies changent chaque semaine ? L'incertitude entraîne la peur. Les cas de surendettement se multiplient (150 000 déclarés fin 2011) économies disparaissent, pour vivre ou se mettre à l'abri : 9,5 milliards d'euros ont quitté le pays en 45 jours sept. et octobre 2011.
  • Le marasme : emploi perdu ou menacé, non-embauche, salaire en baisse (le privé suit le public, les conventions collectives sont gelées), mais dépenses en hausse entraînent une diminution des achats, donc fermeture de commerces (au moins, en deux ans, 200 000), non-paiement ou baisse des loyers (en moyenne 25% et 40% s'il s'agit de commerces), crise du bâtiment et baisse des prix immobiliers. Certains patrons en profitent pour embaucher à bas prix (on parle même de 5 euros/heure) des employés non déclarés.
  • Le désespoir. Un chômage sans issue ? Le taux de chômage atteint 22% des actifs en décembre 2011, il est double pour les moins de 25 ans, pire encore s'il s'agit de jeunes filles[2]. Et la Troïka laisse entendre qu'il faudra attendre 15 ou 20 ans pour retrouver la prospérité. En attendant, Médecins du Monde ouvre des centres de soin dans Athènes, l'église orthodoxe distribue des soupes populaires, les sans-famille fouillent les poubelles, les habitants des immeubles collectifs ont supprimé le chauffage (ne croyez pas que toute la Grèce soit « chaude » en hiver !) ou, dans le nord du pays, dévastent les forêts pour avoir du bois de chauffe. Le désespoir se traduit diversement : une résignation déprimée qui fait diminuer les manifestations de rue, les indignés du printemps n'y croient plus ; une fuite par l'émigration, en nette reprise chez les jeunes diplômés, une fuite par le suicide. 

La Grèce était jusque-là le pays d'Europe où l'on se suicidait le moins, c'est encore vrai, mais les études réalisées et chiffres fournis indiquent que le nombre des morts par suicide a augmenté de 40% en un an,[3] que les appels téléphoniques au numéro vert-suicide ont doublé également (Attique en tête).

La violence peut aussi se tourner contre les autres, contre les politiques, conspués et « yaourtés » (variante de l'entartage) dès qu'ils mettent le pied dans un lieu public, contre les voisins fraudeurs, puisque les autorités incitent à dénoncer les villas, piscines, yachts non déclarés, contre les étrangers récemment arrivés (l'an dernier 85% des entrées illégales dans l'UE se sont faites par la Grèce) qui errent dans les rues d'Athènes. Vols et meurtres se multiplient, mais aussi attaques armées violentes contre des Afghans et des Pakistanais qui dorment dehors en grand nombre dans le centre d'Athènes, contribuant à chasser les touristes.

Que l'opinion grecque puisse supporter depuis octobre 2011 l'entrée de ministres d'extrême-droite (après l'expérience des colonels, cela semblait inimaginable) dans un gouvernement, est un signe de la résignation mais aussi de l'évolution des esprits.

Il existe également, selon certains, une vision moins noire : Athènes, dit-on, concentre tous les maux d'autant plus que les jeunes y sont loin de la solidarité familiale encore importante qui adoucit la crise, on note une vague jugée « salutaire » de « retours à la campagne » (30 000 personnes peut-être) et, au village, pas de frais de loyer, les produits du jardin et des petits boulots ! En saison touristique la crise ne se voit guère, pourtant la Crète vient en 2e position pour les suicides.

D'autres vantent la sobriété ancestrale que les Grecs vont avoir la chance de retrouver... C'est la cinquième fois de son histoire que la Grèce se trouve (ou presque) en défaut de paiement, mais la crise de 1929 se produisit dans un contexte différent : une société de paysans et d'artisans non salariés, des salariés au seuil de survie dont on ne pouvait guère diminuer les salaires, les gouvernement se sont contentés d'avertir les créanciers qu'ils ne verseraient que 35 ou 40% des sommes dues et les créanciers (britanniques en majorité) s'en sont contentés. L'Euro n'existait pas.



[1]    Sauf précision contraire les chiffres donnés viennent du journal Eleftherotypia. Les plans d'austérité figure au Journal Officiel.

[2]    Site de l'INSEE grec, ELSTAT, janvier 2011.

[3]    Déclaration du ministre de la Santé, A. Loverdos en octobre 2011.

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