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SOS oppositions disparues : l’urgence sanitaire justifie-t-elle vraiment l’atonie des partis français face à la majorité ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Unité nationale

Alors que la France est plongée dans une crise sanitaire et économique, l'opposition politique au gouvernement est restée silencieuse. Quelles sont les principales raisons de cette atonie ? A quoi pourrait ressembler l'après confinement pour l'opposition ?

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Au cours de ces dernières semaines, et alors que la France est plongée dans une crise inédite l'opposition politique au gouvernement est restée silencieuse. A quoi est dû l'atonie de l'opposition ces dernières semaines ? Peut-on mettre son silence sur le compte unique de l'unité nationale ? 

Maxime Tandonnet : En effet, on n’entend peu l’opposition, à l’exception de quelques individualités, ponctuellement, comme Bruno Retailleau, Eric Ciotti, Xavier Bertrand, Julien Aubert ou Guillaume Larrivé. Ce qui domine, dans l’opposition de droite mais aussi de gauche, c’est la prudence et l’attentisme. Personne ne veut vraiment se mouiller. L’affaire est extrêmement grave. Il y déjà eu 20 000 morts en France. Une gigantesque crise économique s’apprête à déferler qui va faire des millions de chômeurs, causer la ruine d’une multitude de commerces, de restaurants, d’artisans. Face au gouffre qui vient, nul n’ose vraiment se prononcer ni prendre parti sur aucun sujet. Voyez à quelle vitesse les prises de positions de certains leaders pour la tenue du premier tour des municipales se sont retournées contre leurs auteurs comme un boomerang. Dans le climat actuel, toute parole peut être fatale. Cette prudence n’a rien à voir avec l’union nationale. 

Christophe Boutin : Plusieurs raisons s'entrecroisent pour expliquer le relatif silence de ce qu’il faudrait nommer « les oppositions » plutôt que « l’opposition », tant cette dernière est diverse, avec à droite le RN de Marine Le Pen et LR, et à gauche ce qui reste du PS, les écolos d’EELV et LFI de Jean-Luc Mélenchon.

Le premier point, que vous signalez à juste titre, est que, lorsque l'on se trouve confronté à une crise de l'ampleur de celle que nous connaissons, crise sanitaire actuellement, crise économique demain, le moment ne nous semble pas venu pour diviser le groupe auquel nous appartenons tous, majorité et opposition. Le réflexe qui joue, au contraire, conduit à oublier pour un temps les différends politiques, et sinon à participer au pouvoir, au moins à en gêner a minima l’action, laissant ainsi se constituer une sorte d'union sacrée le temps de résoudre la crise.

C’est d’autant plus facile que, second point, personne je crois ne souhaiterait être aux commandes d’un pays qui fait face à une crise sanitaire portant sur la diffusion d'un virus potentiellement mortel dans la population. Tous nos politiques de l’opposition, qui connaissent les marges de manœuvre dont dispose le pouvoir actuel, le savent bien, et c’est aussi une forme d’union sacrée que de ne pas s’acharner sur celui que l’on aurait plutôt tendance à plaindre. Qui, aujourd’hui, souhaiterait par exemple être à la place de Jean-Michel Blanquer, dont peu nombreux pourtant sont ceux qui nient les qualités d’organisateur, qui se voit contraint de mettre en œuvre un déconfinement scolaire ?

Le troisième point, qui ne concerne pas cette fois le RN et LFI, et peut-être dans une moindre mesure les écologistes, est qu’une partie des diverses formations qui composent l’opposition actuelle a été aux affaires, de près ou de loin, dans les dix années qui ont précédé la crise que nous connaissons, dix années pendant lesquelles, non seulement les menaces n'ont pas été clairement perçues et anticipées, mais où l’on a même plutôt assisté à une baisse des moyens, en hommes et en matériels, dont on a aujourd'hui un si cruel besoin. Pour ces partis, critiquer l'action du gouvernement pourrait donc conduire à un retour du boomerang fort dangereux.

Quatrième et dernier point enfin, que critiquer ? Les réponses gouvernementales ne sont-elles pas largement les conséquences des manques évoqués ? On pouvait effectivement procéder autrement, mais il fallait alors disposer par exemple de tests et de masques. Il fallait aussi, non un vaccin, impossible à trouver dans un tel délai, mais un protocole de soins qui évite les hécatombes. Or le gouvernement ne dispose pas des premiers et ne veut pas croire au second, et pour nombre de membres de l’opposition aussi on pourrait citer le célèbre adage thatchérien TINA, « there is no alternative ». Que les réponses gouvernementales aient été erratiques et incohérentes relève alors plus de la forme que du fond. On peut certes rire des réponses grotesques de Sibeth Ndiaye, mais il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas de masques…

Si l'opposition semble quelque peu revenir sur le devant de la scène via sa demande de vote à l'Assemblée nationale sur la question du tracking, comment expliquer qu'elle n'ait pas été force de propositions concrètes -notamment sur la question du confinement- jusqu'alors ? 

Maxime Tandonnet : C’est la même chose. Que pourraient-ils bien dire ? Approuver le confinement serait une manière de prendre fait et cause pour le gouvernement alors qu’on ne sait pas de quoi demain est fait et que nul n’est vraiment capable de dire si le confinement était la meilleure solution. La réussite de certains pays comme l’Allemagne qui n’ont pas fait le choix d’un confinement obligatoire et général, montre que d’autres solutions étaient possibles. Mais en critiquant le choix du confinement par le gouvernement, l’opposition prendrait un risque terrible : celui d’être violemment accusée d’exposer des vies et ainsi de se discréditer à jamais. Bien sûr que le confinement obligatoire et de longue durée soulève des questions qui tiennent à la liberté individuelle. Mais il est quasi-impossible pour un politique de dire cela en ce moment. Cette critique serait inaudible pour l’opinion qui est très favorable au confinement.  Vous remarquerez que même les partis dits « antisystème », de gauche ou de droite, se gardent bien de prendre position. 

Christophe Boutin : Attention d'abord à bien comprendre ce dont il s'agit. Ce qui va se passer le 28 avril au sujet de la mise en œuvre d'une procédure de « tracking », de traçage, comme ce que se passera le 5 mai, au sujet cette fois d'un plan de déconfinement gouvernemental, ne sont que des votes après débats, juridiquement parlant purement consultatifs – même si, politiquement cette fois, il pourrait être difficile à un gouvernement dont la légitimité serait mise en jeu après un vote négatif d'imposer sa solution. Avec une Assemblée nationale réduite à 75 députés, sans consultation a priori du Sénat, nous sommes très loin du vote d'un texte selon la procédure législative classique ou même du vote de confiance de l’article 49-1.

Il n’en reste pas moins que l’opposition a réussi à imposer l’idée d’un vote après débat – « Des débats sans vote ça s'appelle un colloque » avait déclaré Xavier Bertrand – le gouvernement mettant en oeuvre ici l’article 50-1 issu de la révision de 2008 : « Devant l'une ou l'autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un groupe parlementaire au sens de l'article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s'il le décide, faire l'objet d'un vote sans engager sa responsabilité. »

Cela conduit à deux questions. La première est de savoir si la majorité parlementaire va rester soudée dans ce vote, ce que l’on peut à bon droit penser, là encore par ce que l’on voit mal les autres choix. Dans le cas du traçage, il s'agit d'une question de fond de libertés publiques, celle de de savoir si, au nom d'une protection de la société, on peut instaurer une surveillance individuelle. C’est pourquoi le débat portera essentiellement sur le caractère fiable des techniques utilisées, ici celle du Bluetooth, mais plus encore sur la gestion des données personnelles. Mais l’avis préalable donné par la Commission nationale informatique et libertés apaisera sans doute les tensions. La seconde question est l’éventualité d’un vote devant le Sénat, une chambre où l’opposition est majoritaire. Et dans ce cas, c’est peut-être cette opposition même cette fois qui risque de se fragmenter avec un tel vote.

Y a-t-il eu d’autres propositions de l’opposition. Oui. Marine Le Pen a proposé par exemple de fonctionner en trois temps : « tester, isoler et traiter ». Mais un tel programme ne pouvait être mené à bien faute de moyens (manque de tests et de lits pour isoler les cas les plus graves) et d’accords sur les traitements à mettre en œuvre. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il s'est essentiellement inquiété, non de la mise en œuvre du confinement, mais de certaines de ses conséquences, demandant par exemple la suspension des loyers pour tous les locataires.

Et alors que certains membres de l'opposition de gauche comme de droite se sont dit favorables à un gouvernement d'union nationale, sait-on vraiment encore qui est l'opposition ? 

Maxime Tandonnet : C’est une vraie question. La situation politique est inédite, sinon invraisemblable. La politique française donne le sentiment de se réduire au visage médiatisé d’un personnage : le président de la République qui absorbe tout le reste, le gouvernement, les ministres, le parlement, et même l’opposition qui vivote mais sans vraiment s’affirmer comme une force cohérente. Mais pourtant, cette figure présidentielle ne suscite même pas de phénomène d’adhésion. Sa cote de confiance reste étrangement basse, à moins de 50% en un temps de crise grave où devrait jouer un puissant réflexe légitimiste autour du personnage élyséen. C’est vrai, nul ne sait plus vraiment où est l’opposition, où se trouve la majorité. La vérité, c’est que la décomposition et la désintégration de la vie politique française se poursuivent et progressent vers une sorte de fragmentation et de néant généralisé.  

Christophe Boutin : C’est un problème qui ne concerne pas une partie non négligeable de l’opposition si l’on se place en termes d’électorat, une part plus réduite certes si l’on se place en termes de parlementaires, puisqu’on ne sache pas qu’Emmanuel Macron s'apprête à demander à Marine Le Pen ou à Jean-Luc Mélenchon de participer à un gouvernement d’union nationale. Tout au plus pourrait-il s'agir d'intégrer, à gauche, des écologistes et des socialistes, et, à droite, des Républicains.

Face à cette perspective, nous retrouvons une nouvelle fois les habituels problèmes de ces partis très largement fragilisés par le choc de 2017 - quasiment détruit pour le PS, gravement touché pour LR et EELV dans un premier temps -, et dont une partie des cadres ont alors, soit directement rallié LREM, soit, sans intégrer le nouveau parti créé par le Président, se sont ralliés à sa majorité. Le gouvernement d’union nationale qui pourrait venir à la fin de la crise sanitaire va leur poser les mêmes questions qu’après les présidentielles de 2017 : est-il préférable pour eux, soit en tant que formation politique soit, plus souvent, de manière individuelle, de rester en dehors ou de se rallier, sachant que la vraie question n’est pas celle du déconfinement, mais des présidentielles de 2022.

On a déjà quelques propositions, des quasi-suppliques émanant d'anciennes gloires politiques comme Manuel Vals, aux interrogations à peine voilées de jeunes loups comme Geoffroy Didier, et il est plus que vraisemblable que d'autres attendant dans l’ombre le bon moment. Reste que si Emmanuel Macron retient cette formule de l’union nationale, il devra être très prudent pour qu’elle ait une crédibilité suffisante : ramener quelques politiciens démonétisés fera certainement se pâmer d’aise nombre de chroniqueurs médiatiques, mais cela pourrait aussi créer une fois de plus le sentiment d’une rupture entre le monde de l’oligarchie et les attentes des Français.

Alors que la France devrait sortir du confinement à partir du 11 mai prochain, s'attend-t-on à ce que l'opposition redevienne plus active ? A quoi pourrait ressembler l'après confinement pour elle ?

Maxime Tandonnet : La vraie question n’est pas tellement l’après confinement en soi mais la sortie de crise du covid 19 . Tant que des milliers de personnes meurent tous les jours victimes de ce virus, l’opposition s’en tiendra à une attitude discrète. Attaquer de front le gouvernement risquerait d’apparaître comme manquer au devoir de solidarité face à cette tragédie. En revanche, dès le retour à une situation normale il sera du devoir d’une opposition démocratique de poser les questions sur lesquelles les Français attendent des réponses, sur les errements de la communication, les volte-face concernant les masques, la tragédie des EHPAD, sur l’affaiblissement des capacités hospitalières de la France, l’absence de dépistage massif, les conséquences du confinement obligatoire sur le plan économique et sur celui des libertés. L’opposition a là une occasion inespérée de se rétablir et de se remettre à exister. Et se travail de bilan doit poser la question de la responsabilité d’une équipe au pouvoir depuis 2017. C’est à l’opposition de faire, au nom du pays, la lumière sur les responsabilités des uns et des autres et de réclamer des comptes. 

Christophe Boutin : Cela dépendra bien sur de la création ou non d’un gouvernement d’union nationale, mais il est à craindre que, pour l'opposition comme pour beaucoup, le fameux « monde d'après » ne ressemble beaucoup au « monde d'avant »… mais en pire.

D’abord parce que le déconfinement ne veut pas dire la fin de la crise sanitaire, mais simplement l'atténuation d'une partie des mesures mises en œuvre pour tenter de la résoudre. Et la vie des citoyens lambda comme celle des politiques ne sera pas la même qu’avant la crise après le 11 mai, parce que le virus sera toujours là, parce que des règles spécifiques continueront d'être obligatoires, parce qu'une législation d'exception continuera à s’appliquer tant que « l'état d'urgence sanitaire » ne sera pas levé.

D'autre part, après la crise sanitaire va venir la crise économique, avec des problématiques finalement assez proches : comment empêcher un déclassement accru de la France, quelle solution trouver. Or certains des choix que fera Emmanuel Macron vont satisfaire une partie de l’opposition qui, en aucun cas, ne pourra s’unir pour proposer une autre solution et sera bien incapable de mettre en œuvre un quelconque programme commun contre la majorité. On retrouve là en quelque sorte l'ambiguïté d’une partie de l’opposition sur les choix macroniens, manifeste bien avant le déclenchement de la crise sanitaire.

À cause de ces éléments, on voit combien l'action de l'opposition sera entravée ou limitée. La principale activité qu’elle pourrait avoir serait alors de faire un « Retex », un « retour d’expérience », un bilan à froid de la crise sanitaire, de son déclenchement, de sa gestion, pour en tirer les enseignements qui permettront, on peut l'espérer, d'anticiper les crises futures. Il aura donc certainement des commissions, des enquêtes. Y aura-t-il plus, et notamment, comme certains semblent l’espérer, une mise en cause de fonctionnaires ou de politiques ? Il est encore bien tôt pour le dire, mais n’oublions pas qu’une fois passée une crise, et à plus forte raison lorsque l’on doit ensuite immédiatement faire face à une autre, d’un autre type, on a tendance à passer l'ensemble par pertes et profits.

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