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Si certains patrons se mettaient plus souvent à la place de leurs salariés, ils comprendraient peut-être pourquoi ceux-ci se font trop rares
©Flickr/Victor1558

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Le Wall Street Journal rapporte que le PDG de Uber s’est mis incognito pendant plusieurs jours au volant d’une voiture dans les rues de San Francisco pour se rendre compte des difficultés et comprendre pourquoi Uber avait du mal à recruter des chauffeurs. Intéressant et exemplaire.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Ca s’est passé un peu comme à la télévision sur M6, seulement là chez Uber, c’est en vrai et ça n’a pas été inutile.

Voilà une expérience que beaucoup de patrons devraient faire (ou refaire) actuellement pour comprendre la situation de certains de leurs salariés et comprendre aussi pourquoi ils ont du mal à en recruter. 

Le Wall Street Journal rapporte que Dara Khosrowshahi, le  PDG de Uber a pris une voiture pendant quelques jours dans la rue de San Francisco. Il a tout fait pour rester incognito, faut dire qu’il n’était pas trop médiatisé contrairement à ses prédécesseurs’  Sans rien dire à personne ( pas même à ses collaborateurs dit-on ) il a acheté une Tesla d’occasion, il s’est habillé en jeans’ et tee shirt, et s’est mis à faire des courses pour expérimenter l’application et vivre la vie d’un chauffeur comme les autres. 

Le but était de mieux comprendre ce qui se passait dans la vraie vie d’un UBER. Au bout d’une douzaine de courses, il a compris beaucoup de choses. D’abord, il s’est battu avec l’application qui ne marche pas toujours très bien. Ensuite il a refusé certaines courses parce qu’elle lui paraissait trop courtes ou trop longues, ou trop risquées, et du coup, il a assez mal encaissé les sanctions financières appliquées par l’application. Ne parlons pas des clients et leur comportement. La majorité était correcte mais sans plus. Certains étaient grossiers, sales et même menaçants. Quant à travailler la nuit avec ces bandes de jeunes qui discutent du trajet et finissent par vomir leur bière sur le cuir de la Tesla, n’en parlons pas.  

L’expérience a été pour lui une découverte. Il a compris très vite les raisons pour lesquelles Uber avait désormais beaucoup de mal à trouver de main d’œuvre de qualité et fidèle. Cette pénurie de main d’œuvre l’a décidé à commander une étude approfondie sur la façon dont les chauffeurs étaient traités mais aussi à réorganiser le fonctionnement de l’application. 

Uber a ainsi fait la liste des fonctionnalités qu'il fallait ajouter pour améliorer son fonctionnement, lui donner par avancer la destination (ce qui n’était pas fait au départ) et ce qui permet au chauffeur de la refuser s’il la considère dangereuse, avec surtout un système de bonus beaucoup plus incitatif. Dans la foulée, le PDG a introduit la possibilité aux chauffeurs de faire des livraisons et notamment des livraisons de repas en intéressant les chauffeurs aussi bien que les fournisseurs. 

Selon le Wall Street journal, les résultats obtenus sont très positifs : moins de difficultés à recruter des chauffeurs, une activité en croissance et une progression des revenus des chauffeurs et de la compagnie. Effet collatéral, les chauffeurs sont de plus en plus nombreux à s’adapter au statut de travailleurs indépendants.  Un statut que vient d’entériner la cour d’appel de Californie contre les syndicats qui réclamaient une qualification de salariés. L'expérience du PDG de UBER n’a donc pas été inutile. 

Une expérience qui pourrait donner des idées à beaucoup de patrons français et qui permettrait peut-être de modifier leur attitude face à tous ceux qui, dans leur entreprise, ont les mains dans le cambouis et ne s’y plaisent pas toujours. 

Certains grands patrons le font sans aucune publicité bien sûr. Bernard Arnault, par exemple, passe beaucoup de temps dans les points de vente de son groupe, notamment en France mais pas seulement. Au Bon marché, par exemple, les clients de la Grande épicerie peuvent le croiser parfois le samedi matin, il parcourt les différents rayons très souvent seul, il discute avec les vendeurs et prend des notes sur son smartphone. Ses visites ne sont jamais sans suite. On raconte dans le groupe que ses lieutenants reçoivent beaucoup de mails ou de sms le dimanche après-midi.

A une autre échelle, on sait que les patrons de Macdo sont très souvent dans leurs restaurants, de façon incognito parce qu’eux aussi comme chez UBER, ils ont des problèmes de recrutements de vendeurs. D’où la tendance ces dernières années de développer les équipements digitaux mais ça n’est évidemment pas la solution.  Rien ne remplacera le contact personnel. Rien ne remplacera les bonus et l’intéressement à la performance. 

Au temps où il était en fonction, Franck Riboud, le PDG de Danone, ne manquait jamais de vérifier dans un hypermarché le placement de ses yaourts.  Le plus tatillon et le plus agaçant des grands patrons devait être Pierre Papillaud, le spectaculaire fondateur de Cristalline, numéro un mondial de l’eau en bouteille. Lui vérifiait scrupuleusement au Carrefour d’Alençon, là où il habitait, que les palettes de Cristalline était en tête de console mais que Châteldon, la marque bon chic bon genre mais chère, sur laquelle il faisait sa marge était incontournable. 

En tant que client, on se laisse aller à regretter parfois que Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, ne s’arrête pas personnellement dans une station-service pour faire son plein lui-même, il s’apercevrait d’abord que c’est cher ( mais il doit le savoir ) mais que ça n’est pas toujours très propre et quand pour finir, le terminal de paiement ne fonctionne pas correctement, on regrette le pompiste qui autrefois nettoyait le parebrise.  

En tant que client toujours, on souhaiterait que Sébastien Bazin, le PDG du groupe Accor, fasse de temps en temps un stage chez Ibis ou chez Novotel à la périphérie d’une petite ville de province, fréquentée pendant la semaine par les voyageurs de commerce.  Il comprendrait mieux ce que sa marque offre au client pour le prix qu'il paie. Il comprendrait mieux  que le voyageur hésite à y venir avec la famille le Week-end end ou en vacances. 

Autrefois , Paul Dubrule et Gerard Pélisson, les pionniers fondateurs du groupe, allaient passer une nuit dans un de leurs hôtels dès qu’ils le pouvaient.  Mais c’était avant que leurs portraits photographiques soient accrochés dans le hall d’accueil de tous les établissements du groupe.

On reproche beaucoup aux hommes politiques de ne pas connaitre la « vraie vie ».  D’être hors sol. En dehors des périodes de campagne électorale bien sûr et encore. Mais la critique pourrait aussi s’adresser aux chefs d’entreprise qui ont trop souvent délégué la reconnaissance du terrain à leur service marketing ou DRH. La multiplication des outils digitaux, les réseaux sociaux prouvent bien que les enquêtes d’experts ne suffisent pas.

On s’interroge souvent sur le succès insolent des Gafam, les Google,  Microsoft, Apple. Mais ce sont des entreprises où les grands patrons sont les utilisateurs permanents des objets ou des logiciels qu’ils offrent. 

Rien ne vaut l’expérience de se mettre aux manettes. Machiavel, qui a tout compris sur les mécanismes du pouvoir, n’a jamais dit au « Prince » de rester enfermer dans son palais. 

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