Selon Oxfam, 1% des foyers percevraient 96% des dividendes versés en France et voilà pourquoi ce chiffre est faux<!-- --> | Atlantico.fr
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©ANDY BUCHANAN / AFP

Trompeur

N’en déplaise aux fact checkers qui ont tenté de minimiser l’imposture intellectuelle d’Oxfam sans vraiment parvenir à la masquer.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : OXFAM affirme, sur la base de données publiées par France Stratégie, que 1% des foyers ont perçu 96% des dividendes distribués en France. Mais cette étude ne prend en compte que les dividendes déclarés directement. Peut-on dire, dès lors, que cette affirmation est véridique ?

Philippe Crevel : Les chiffres d’OXFAM ne sont pas faux à proprement parler. Cependant, ils ne sont pas non plus complets. Il faut bien comprendre que l’analyse qui en est faite et l’interprétation qu’a pu avoir l’organisme est sujette à contestation. Rappelons, pour commencer, que les analyses d’OXFAM ont souvent tendance à assimiler stock et flux, ce qui est un problème. Le stock correspond au capital tandis que le flux correspond aux revenus. Il leur arrive également de s’appuyer sur les données de plusieurs années pour faire plus de chiffres, ce qui présente une fois encore des problèmes. Ils ont ainsi tendance à lier des appréciations de valorisation en bourse sur trois, quatre ou cinq ans parfois. Bien sûr, quand le cours de l’action augmente, il augmente. En revanche, on tend à oublier qu’il peut aussi baisser et qu’il y a, de facto, une part de risque dans ce genre d’activité. 

Notons également qu’ils ont tendance, en l'occurrence, à ne s’intéresser qu’à une unique partie des actionnaires : ceux qui perçoivent des dividendes dites directes. Cela fausse nécessairement l’enquête puisque, désormais, une grande partie des dividendes sont reversés à travers des parts d’OPCVM, d'organismes de placements collectifs, de SICAV ou, d’une façon générale, des fonds communs de placement. On parle ici, assez simplement, de gestions d’actifs. Une fois que l’on dit ça, il devient essentiel de rappeler que, contrairement à ce qui a pu être dit, 42% des Français disposent d’un contrat d’assurance vie et donc bénéficient indirectement de ces dividendes : ils contribuent au rendement de leur contrat d’assurance vie. 

On parle tout de même d’une moitié de la population française, ou presque.

D’autre part, il faut aussi rappeler que plus de 4 millions de Français bénéficient d’un plan d'épargne en actions, qui s’appuie soit sur des actions directes soit sur des actions placées via des fonds ou des organismes de développement collectifs et autres OPC. Dès lors, il est indéniable que le nombre d’actionnaires directs et indirects est beaucoup plus élevés, en France, que ce que n’affirme OXFAM.

Il est vrai, cependant, qu’il existe une concentration des actions liée à une faible diffusion de celle-ci en France. Cela résulte d’une tradition plus favorable à une épargne sans risque dans notre pays, laquelle fait la belle part à des produits de taux sous forme de livret A ou de livrets bancaires notamment. Ceux-là ont une faible propension à la détention des actions, contrairement à ce que l’on peut observer au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Europe du Nord ou, évidemment, aux Etats-Unis. D’une façon générale, les pays où il existe des fonds de pensions puissants connaissent un taux de détention d’actions important, d’où une plus large diffusion. Faute d’avoir beaucoup d’actionnaires directs en France, les dividendes versés directement sont concentrés sur un plus petit nombre de personnes.

Peut-on véritablement parler, dans ce cas de figure, d’un problème de captation des actions comme semble vouloir le faire OXFAM ?

Les entreprises françaises sont pénalisées par une faiblesse de leurs fonds propres. Depuis cinquante ans au moins, les gouvernements ont tenté de favoriser le développement du marché de l’action ; indépendamment d’ailleurs de leurs couleurs politiques. Difficile de ne pas penser aux SICAV Monory au plan d’épargne en action de Pierre Bérégovoy en passant par la loi Pacte d’Emmanuel Macron et Bruno Le Maire. C’est une constante de notre régime. Ceci étant dit, il est triste de noter que cela ne se développe pas davantage, en raison notamment d’une crainte de la prise de risque en France qui, nous l’avons dit, freine la diffusion des actions. Les épargnants sont dès lors pénalisés par un moindre rendement de leur épargne et les entreprises françaises, qui manquent de fonds propres, doivent alors s’endetter pour financer leurs investissements.

OXFAM n’a jamais caché ses opinions politiques et sa ligne de conduite a toujours été de souligner ce que l’organisation perçoit comme la perversité du capitalisme. Il est donc assez logique, compte tenu de cette grille de lecture idéologique, qu’ils décident de mettre l’accent sur les inégalités apparentes de la distribution des dividendes ou de la concentration du capital. Leur analyse, il faut bien l’avouer, est orientée en la matière mais cela ne veut pas dire que le chiffre est faux stricto sensu. Ils en font, néanmoins, une lecture spécifique à leur ligne. 

Force est de constater que, même s’ils utilisent des chiffres qui ne sont pas nécessairement contestables à proprement parler, ils ne vont pas jusqu’au bout de l’analyse. Ils font également des confusions un peu faciles et ont parfois tendance à faire des raccourcis hâtifs, ici  en mettant l’accent sur les valorisations ou sur certaine concentration de capital.

La France aurait besoin de plus d’actionnaires. Comment s’assurer que les français investissent davantage ?

La loi Pacte, avec la création du plan d’épargne retraite, a constitué une réponse en essayant de développer un compartiment plus important d’épargne retraite et de supplément de retraite par capitalisation. Il faut aussi évoquer le développement des unités de compte dans l’assurance vie. Est-ce à dire qu’il y a un plan d’épargne action qui est fiscalement assez favorisé ? Il y a en tout cas des outils qui existent en France. Malheureusement, encore une fois, la crainte et l’aversion au risque des Français tend à poser problème. Sans doute faudrait-il éduquer la population à l’aide de formations où donner des cours sûrs les marchés financiers ainsi que sur le rôle des actions. On observe aujourd'hui un vrai biais idéologique qui prévaut depuis longtemps contre le capitalisme. Evidemment, cela n’incite pas à investir. 

Ceci étant dit, force est de constater qu’il commence à y avoir du changement. Les actionnaires rajeunissent de plus en plus, en particulier depuis la crise Covid. Un plus grand nombre de personnes considèrent que pour avoir du rendement, pour bénéficier de revenus annexes, il est intéressant d’acquérir des actions. Cela ne change pas assez vite, bien sûr, mais plusieurs signes positifs témoignent que, au-delà des propos d’OXFAM, de plus en plus d’épargnants sont prêts à jouer le jeu des actions.

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