Les mystères de l’intelligence collective dévoilés : comment les foules savent instinctivement s’organiser<!-- --> | Atlantico.fr
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La foule n'est pas si bête qu'on le croit.
La foule n'est pas si bête qu'on le croit.
©Reuters

Pas folle la guêpe

Contrairement aux théories prégnantes au début du XXe siècle, la psychologie sociale constate plusieurs cas dans lesquels les foules font preuve d'auto-organisation.

Mehdi Moussaïd

Mehdi Moussaïd

Mehdi Moussaïd est chercheur en sociologie quantitative à l'institut Max Planck de Berlin. 

Il a réalisé une thèse sur la dynamique des mouvements de foule, et poursuit ses recherches sur le comportement collectif des systèmes sociaux. Vous pouvez consultez son site. 

 
 
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Atlantico : Contrairement à la vision communément admise, vous estimez que les foules peuvent faire preuve d'une certaine forme d'intelligence. Concrètement comment cela se manifeste-t-il ?

Mehdi Moussaïd : Si par foule, on entend une foule de piétons en déplacement, c'est-à-dire une foule physique, la réponse ne sera pas la même que pour une foule psychologique.

D'un point de vue historique, initialement une foule était loin d'être considérée comme intelligente. Dans une foule, on considérait que les gens devenaient asociaux, irrationnels, que les individus réfléchissaient moins et qu'ils avient tendance à imiter leurs voisins. Ces théories étaient prégnantes au début du 20e siècle et étaient portées par Gustave Le Bon. Plus récemment, dans les années 1990-2000, on s'est rendu compte qu'une foule de piétons était capable de s'auto-organiser dans certaines circonstances de façon à maximiser le trafic piétonnier.

Par exemple, dans une rue commerçante avec un trafic bidirectionnel, il s'agit d'une situation difficile en termes d'efficacité car les flux sont opposés. Il se trouve que chez les piétons, les choses s'auto-organisent de manière optimale. On observe que sans se concerter, sans se mettre d'accord, les gens qui se déplacent dans un sens vont occuper la moitié de l'espace et ceux qui se déplacent en sens opposé vont occuper l'autre moitié de la rue. C'est comme si les piétons s'étaient mis d'accord pour se partager l'espace disponible de manière à maximiser le trafic sans aucune intervention extérieure. Nous pourrions qualifier ce comportement d'intelligent car le groupe optimise quelque chose sans envie de le faire et sans même en avoir conscience. D'un point de vue individuel, lorsque les piétons se déplacent pour éviter quelqu'un qui arrive dans un sens opposé, il y a une convention sociale de s'éviter par la droite, c'est une convention sociale. Cette petite convention s'amplifie lorsqu'il y a beaucoup de monde. Ce qui engendre une maximisation de la qualité du trafic. Voilà un exemple de ce que l'on pourrait appeler un comportement collectif intelligent.

Existe-t-il des différences culturelles ?

Il y a des différences culturelles notamment sur le côté d'évitement. Dans certains pays, les gens vont plutôt s'éviter par la droite, dans d'autres plutôt par la gauche. Cela n'a aucune influence sur l'organisation du trafic piétonnier car l'efficacité sera la même. Le côté d'évitement par défaut est influencé par le trafic autoroutier mais il n'est pas systématiquement dans le même sens. Il s'agit d'une convention qui apparait spontanément et qui a un biais initial influencé par le trafic autoroutier.

Partant de là, quelles sont les applications que l'on peut trouver à la recherche en psychologie sociale ?

On peut par exemple, essayer de faciliter ces mouvements d'auto-organisation et les situations dans lesquelles cela ne marche pas trop. Si on va un peu plus loin, le partage de l'espace avec une sorte de formation d'autoroute, il peut y avoir des cas de figure où cette auto-organisation va s'enrayer. C'est le cas quand une minorité essaye d'aller plus vite que les autres, ils vont quitter leur file pour essayer d'aller plus vite que la musique. Cela est tout à fait possible mais en sortant de sa structure pour aller plus vite, la personne qui essaye de doubler va se retrouver en face du flux opposé et va créer une perturbation. Elle va scinder le flux opposé en deux ce qui va créer des réactions en chaîne et briser l'organisation en place. Si on veut intervenir à ce niveau, il suffirait de créer des zones de passage pour les personnes qui veulent se déplacer plus lentement. Le comportement ne serait alors plus auto-organisé mais centralisé.

Qu'est ce qui fait que malgré cette intelligence des mouvements de foule allant jusqu'à l'émeute peuvent avoir lieu ?

Si on se penche sur des situations plus extrêmes avec des accidents, des bousculades, des mouvements de paniques. Le problème principal n'est pas dans la façon dont les gens se comportent mais relève davantage de la physique. A partir d'une certaine densité, lorsqu'il y a trop de monde dans un endroit, les individus vont entrer en contact physique les uns avec les autres. A partir de ce moment-là, leur liberté de mouvement est contrainte et ils n'ont plus le choix de se déplacer dans un sens ou dans un autre.  Ils sont en quelque sorte "enfermés" dans la foule. Les individus vont alors avoir des mouvements spontanés de coudes et d'épaules afin de dégager leur espace vital. Ces mouvements d'épaules vont créer des réactions en chaine. Si je suis dans une foule et que je me mets à pousser un peu mes voisins, mes voisins vont pousser leurs voisins, qui vont pousser leurs voisins et une vague de pression physique va se propager dans différentes directions jusqu'à atteindre des objets statiques comme par exemple un mur. A ce moment-là, cette vague va revenir dans le sens inverse mais de manière un peu plus intense et dans l'autre sens.  Ces vagues vont se propager et s'amplifier surtout. Jusqu'à ce que les gens tombent, même se piétinent mais de manière complètement involontaire. Cela va donner lieu à des turbulences et la foule vue du dessus ressemble à une mer en pleine tempête. Mais c'est purement physique, c'est de la propagation de force et cela s'explique très facilement grâce à la physique newtonienne. On ne peut donc pas dire que la foule est "stupide".

La question qui reste en suspens relève du comportement des gens en cas de panique, quand ils commencent à avoir peur. Nous n'avons aucune certitude car les données sont manquantes. Il y a plusieurs écoles de pensée. Certains pensent que les membres de la foule vont se solidariser et agir de manière rationnelle, en s'aidant les uns les autres et en essayent de trouver une solution. D'autres pensent que les individus agissent de manière irrationnelle, qu'ils vont se bousculer, voire se blesser pour être les premiers à s'enfuir. D'un point de vue éthique il est impossible de mettre les sujets en situation de panique et il est impossible de se trouver sur le terrain au bon endroit au bon moment pour observer de tels phénomènes.

Quelle est la différence avec ce que l'on appelle l'intelligence des foules "psychologiques" ?

L'intelligence des foules psychologiques se constate dans des exercices d'estimation. Cela fonctionne si on veut deviner une valeur numérique ou le nombre de billes dans un vase. Généralemen la moyenne des estimations de chacun sera plus précise que le résultat du meilleur individu de cette foule.La moyenne de l'avis collectif est généralement plus précise, c'est un jeu de statistique car avec les moyennes, les erreurs vont s'annuler. Plus le nombre d'individus est grand, plus la moyenne sera précise. Mais ces expériences doivent être très cadrées car les effets d'influence sociale peuvent entraîner les avis dans un sens ou dans l'autre.

Propos recueillis par Carole Dieterich

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