Schizophrénie française : obsession pour l’âge de la retraite, large indifférence aux mauvais traitements infligés aux vieux<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que le débat français tourne à l’obsession pour l’âge de la retraite, une large indifférence aux mauvais traitements infligés aux vieux.
Alors que le débat français tourne à l’obsession pour l’âge de la retraite, une large indifférence aux mauvais traitements infligés aux vieux.
©Flickr

Réforme des retraites

Derrière le défi du financement des retraites, celui de la dépendance et des énormes trous dans la raquette du traitement des plus âgés comme le rappelle la republication du livre de Victor Castanet sur le scandale Orpea.

Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Alors que le débat français tourne à l’obsession pour l’âge de la retraite, une large indifférence aux mauvais traitements infligés aux vieux. Comment expliquer cette schizophrénie française ?

Serge Guérin : Avec le débat sur les retraites, on se focalise sur un âge, avec une sorte de fétichisme, en oubliant qu’il y a des humains derrière et des problématiques qui se trouvent derrière : le sens au travail, l’emploi des séniors, etc. Il y a même une forme de retraitéphobie, dès qu’ils ne sont plus dans le travail, les séniors deviennent invisibles ou sont perçus comme des charges. Dès que cela touche aux plus fragiles, on détourne le regard.

Que ce soit la réforme des retraites, le grand vieillissement de la population ou le traitement des personnes âgées dans les Ehpad, tout cela pourrait et devrait participer d’une même approche. Comment faire, dans les métiers du soin, pour l’accompagnement des plus âgés qui vont être de plus nombreux ? Il faut recruter. Et ce sont des emplois, des cotisations, etc. Que faire pour que moins de gens soient en perte d’autonomie ? Il faut mettre l’accent sur l’enjeu de la prévention, qui est un angle mort du débat des retraites : si on veut plus d’actifs, il faut plus de gens en forme. L’espérance de vie en bonne santé augmente plus vite que l’espérance de vie et c’est une bonne chose, mais il faut accentuer les efforts. Sauf qu’à la place d’avoir une vision d’ensemble on découpe les sujets. Pourtant notre destin démographique, c’est le vieillissement, qui pose autant la question du financement des retraites que celui des dépenses de santé et de dépendance à moins qu'on agisse contre.

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Il y a un an, Victor Castanet sortait son livre sur le scandale Orpea. Il ressort aujourd’hui une édition augmentée sur les « coulisses » de la sortie de l’enquête. En un an qu’est-ce qui a changé… ou pas ?

Pas grand-chose, en tout cas sur le regard porté sur les personnes âgées et les questions afférentes. Le discours demeure très victimaire. Qu’est-ce qui a été fait ? On a, officiellement, renforcé les contrôles, soit. Mais on ne s’est pas du tout attaqué au recrutement dans ces secteurs, liés à la difficulté de trouver des candidats. Changer cela demande d’améliorer les carrières, le management, l’image de ces métiers, etc. et rien n’a été fait. La meilleure façon d’aider les personnes âgées et les aidants, c’est de s’assurer qu’il y ait plus de personnels qualifiés, motivés et valorisés dans ce secteur. C’est le nœud gordien. Sans cela, toutes les lois du monde ne feront rien à la situation. Cela demande de redonner du sens au travail et d’interroger la crise des vocations. Le problème est que puisque cela concerne les personnes âgées, il y a envie de regarder ailleurs.

Pour l’Etat, et en l’espèce Emmanuel Macron, c’est un sujet qui dérange. Victor Castanet raconte dans la version augmentée de son livre comment la majorité a craint que le scandale Orpéa ne soit un “caillou dans la chaussure du président” durant sa campagne présidentielle. La député LREM Annie Vidal, aurait subi de la part de la Macronie “une pression brutale sur cette députée de leur propre camp, afin qu’elle renonce” à signer une tribune dénonçant la situation, a affirmé Victor Castanet sur France Inter. La majorité aurait aussi bloqué la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire.

Est-on face à la double indifférence de la population et des pouvoirs publics ?

Tout à fait. Nous n’avons pas vu de mouvements massifs descendre dans la rue pour que l’accompagnement des personnes âgées soit de meilleure qualité. Pourtant c’est bien notre futur à tous. Mais ce sont des sujets où personne ne veut trop s’en mêler. Quand il y a un scandale, on verse une larme mais on ne se remet pas en question. La société comme les décideurs préfèrent regarder leurs chaussures. Du côté de la population, c’est sans doute du au manque d’envie de se projeter dans le grand âge, vieillir fait peur, inquiète. Et c’est soumis à un regard social particulier. La vieillesse est trop perçue comme une défaite. Pour le politique, ce n’est pas un sujet porteur, ce n’est pas sur cela qu’ils vont pouvoir faire carrière. Il est plus facile de vouloir investir sur les jeunes que sur les vieux.

Pourtant, il serait judicieux d’investir sur ce sujet. D’abord parce que tout être humain mérite qu’on investisse en lui, mais plus rationnellement car la vieillesse concerne de plus en plus de personnes, et de plus en plus longtemps. Il y a un intérêt humain et économique à s’attaquer à cet enjeu. Aujourd’hui, 21% de la population en France à plus de 65 ans (contre 16% en 2000) et le phénomène ne va que s’accentuer. Les premiers baby-boomers de 1946 auront 80 ans en 2026. 2026, c’est demain. Et 80 ans, c’est l’âge où la perte d’autonomie et les risques de maladies s’accentuent. Et pourtant, on préfère temporiser. Le rôle du politique, ce devrait être d’alerter, de préparer, y compris quand la société n’est pas prête, pour anticiper l’avenir. On aurait pu faire de ce sujet une thématique de la présidentielle, plutôt que d’en faire un sujet événementiel.

A quel point l’inaction est-elle la norme en matière d’action sur le grand âge ?

Le premier rapport sur le sujet date de 1962. Mais il y a toujours, d’une certaine manière, plus prioritaire que les vieux. Ils sont la dernière roue du carrosse. Il doit normalement, y avoir prochainement une loi Bien vieillir, un rapporteur a été nommé. Pour l’instant, on n’en sait pas trop plus. Cette loi doit reprendre les enjeux de la loi grand âge qui n’a jamais vu le jour au quinquennat précédent.

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