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Le logo de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD)
Le logo de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD)
©DRSD / Ministère des Armées

Menaces

Quand des ONG financées par des puissances étrangères, amies ou ennemies, visent à fragiliser l'industrie de défense française et européenne, la DRSD veille.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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Cédric Perrin

Cédric Perrin

Cédric Perrin est sénateur du Territoire de Belfort, auditeur de l'IHEDN et de L'IHEIE (école des Mines)

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Atlantico : En réponse au « contexte géopolitique créé par la guerre en Ukraine », l’avenir de la Base Industrielle et Technologique de Défense française (BITD), est plus que jamais scruté. Aussi, dans ce contexte, le Sénat dénonce l'influence de certaines ONG, qui, sous couvert d'activisme environnemental, social et de gouvernance (ESG), nuiraient par la bande à la BITD européenne et française. Que savons-nous vraiment de ces tentatives de déstabilisations pernicieuses ?

Franck DeCloquement : En fait il n'y a rien de nouveau sous le soleil quant aux objectifs et aux modes d'action : ils s’intensifient juste encore un peu plus avec l’augmentation des enjeux, et le durcissement indéniable du contexte géopolitique et géoéconomique actuel. 

En somme, chacun défend ses propres intérêts avec les outils du moment : légaux ou clandestins (au choix) selon les circonstances. Ce qui est nouveau en revanche, c'est de s'en rendre compte en redécouvrant certains fondamentaux : en orientant par exemple l'action discrète de nos services de renseignement sur ces manœuvres insidieuses comme nous le verrons plus bas, mais aussi l'action publique de nos parlementaires. C'est un premier bon point : la prise de conscience que notre indépendance est menacée. Car l'Etat français est au cœur du processus de construction de la nation. Et l'armée est l'axe autour duquel s'organise en définitive la souveraineté. Or, par d'armée sans armes, par d'armes sans industriels de l'armement. Au final, sans la DGA, Dassault, Nexter, Naval group et tous les autres : pas d'Etat français. Ne pas oublier qu'un Franc, c'est d'abord et avant tout « un homme libre », et donc le contraire d'un esclave. Et quel meilleur gardien de cette liberté que son épée ? « La France fut faite à coups d'épée » selon le grand Charles de Gaulle, et « l'épée est l'axe du monde, et la puissance ne se divise pas. » Le même...

La guerre est généralement une aubaine pour les différents complexes militaro-industriels. Mais ce n'est pas encore le cas pour l'industrie européenne de la défense. Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les contrats ont mis beaucoup de temps à se matérialiser, et la base industrielle du continent est toujours en friche après des décennies consécutives de sous-investissements en la matière. Si les différents ministères de la Défense continuent d'envoyer du matériel en Ukraine, tout en reconstituant et en modernisant leurs propres stocks, l'industrie anticipe de son côté une série de contrats pour reconstituer les approvisionnements qui se vident rapidement. La tâche qui attend l'industrie de défense européenne est immense, d’autant qu’une concurrence féroce se profile en dehors de l'Europe. 

Pourtant, « nous sommes dans la guerre économique » rappelait déjà fort justement en juillet 2021, dans la Tribune, le Général Eric Bucquet, l’ancien directeur emblématique de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) : « extraterritorialité, espionnage, cyberattaques, normes ESG, ONG... la filière défense est sous la pression constatant de très nombreuses attaques médiatiques, mais aussi très secrètes. » Son successeur à ce poste, le Général de corps d'armée Philippe Susnjara, n’est pas moins offensif est parfaitement lucide dans ses constats. Nous rappelant sans détours que « la France est en effet plongée dans une guerre économique permanente, menée tambour battant par des services de renseignement étrangers particulièrement offensifs, et capables de recourir à tous les moyens disponibles ». ONG y compris… dans le cas qui nous occupe ici. Il n’en demeure pas moins qu’« il y a un énorme écart entre l'augmentation des budgets de défense et l'encre sur le papier du contrat », a récemment déclaré Jan Pie, secrétaire général de l'Association européenne des industries de l'aérospatiale, de la sécurité et de la défense, qui représente en outre des poids lourds du secteur tels que KNDS, Dassault Aviation et Rheinmetall. « Il ne s'agit pas d'un manque de volonté politique », explique Jan Pie, « mais plutôt d'une conséquence des obstacles bureaucratiques et de la lenteur ». « Nous sommes (encore ?) dans une ambiance de paix avec tous ces processus », a-t-il déclaré.

Revenons quelques instants sur notre sujet principal, la BITD face aux actions délétères conduites par certaines ONG très inamicales : le marché de l'armement n'est pas organisé en « B to C » comme les autres. Un autre acteur intervient : l'Etat, qui est normatif, client, organisateur et régulateur de ce marché. Il existe aussi un marché à deux niveaux : le haut de gamme qui nécessite des investissements en recherche et développement importants, marque de la puissance. C'est celui-ci qui est souvent visé, car c’est aussi le monopole des pays riches. Le second est le marché de l'occasion ou du « low-cost », au profit de pays moins riches, qui est aussi le monopole de certains pays qui sont capables de produire de grandes quantités (USA, Chine, Russie). Celui-ci n'est jamais attaqué, alors même qu'il engendre l'essentiel des trafics illicites. Le marché « B to C » est souvent attaqué sur sa finalité : « les raisons de la guerre », et donc sur une forme de « moralisation du choix politique ». Les réseaux sociaux sont des armes redoutables pour dénoncer et prendre à témoin les opinions publiques. Mais cela a aussi une limite : contrairement aux marchés individuels (voir par exemple le ministre Le Maire négocier face aux distributeurs alimentaires français), le « client-contribuable » n'a pas d'effet sur les choix géopolitiques. Le moyen le plus efficace pour une puissance étrangère d’agir se révèle donc être le « B to B »,  et donc de s'attaquer à la finance des entreprises. Soit par une manœuvre menée de biais, grâce à des ONG diligentées ayant la capacité de faire pression sur « la moralisation des banques » par exemple (qui pour le coup, vivent de « Jacqueline » ou « Madame Michu » et leurs cartes bleues »), soit en agissant insidieusement sur les petits porteurs en AG (Assemblée Générale) pour les grands groupes, comme c'est d’ailleurs le cas pour les énergéticiens. Aussi, cela nous en dire long sur les acteurs internationaux en capacité d’agir de la sorte. Et donc sur l’identité de ceux qui sont à la manœuvre. 

Comme nous l’indique en quelques phrases sur son site, la Direction Générale de l’Armement (DGA) : « l’industrie de défense est une industrie stratégique pour notre pays. C’est le terreau de notre souveraineté. La base industrielle et technique de défense est le fruit d’un investissement continu de l’État depuis plus de 60 ans ». Ceci posé, et face à un contexte budgétaire contraint (bien qu’en croissance apparente), mais aussi un marché de l’armement en perpétuelle évolution, « préserver les compétences et la compétitivité de notre industrie de défense demeure un véritable défi », pour reprendre à notre compte les mots de l’article, « car l’industrie française est capable de concevoir et de produire en France la quasi-totalité des équipements nécessaires à nos armées. La BITD possède en cela un poids économique indéniable dans notre pays, avec en outre des métiers souvent très qualifiés, et par nature peu délocalisables, répartis dans des centres de production et de recherche sur l'ensemble du territoire français. C’est d’ailleurs l’un des rares secteurs avec l’aéronautique à contribuer positivement à la balance commerciale du Pays ». Voilà donc une cible de choix rêvée pour nos adversaires.  

Corrélativement, et à ce titre, notre base industrielle et technologique de défense est soumise à une confrontation économique sans précédent, et de très haute intensité, depuis le déclanchement de la guerre en Ukraine. Se pose aussi la question de son contour, de son pilotage, des chevauchements éventuels et des recouvrements naturels avec l'action de l'État. Avec ses forces et ses faiblesses qu’il nous est nécessaire d’identifier avec une très grande acuité pour ne pas nous faire surprendre par l’adversité, et la concurrence internationale. Dans l’objectif de mieux soutenir nos efforts sur le grand échiquier d’une compétition mondiale devenue encore plus fratricide et violente. Dans le cadre de votre première question, et face à la menace, rappelons à nos lecteurs que la DRSD – dont la devise « Renseigner pour protéger » – est le service de renseignement dédié du ministre des Armées en charge d’assurer la protection des installations, des personnes, des systèmes, des matériels et des informations du ministère. Le champ de compétences de cette direction très secrète couvre naturellement la sphère de défense élargie : à savoir le ministère des armées et les personnels qui y servent, mais aussi les familles, les anciens militaires, les réservistes et bien entendu la base industrielle et technologique de défense (BITD), composée d’environ 4 000 entreprises, rappelons-le. Et parmi les quatre axes d’efforts identifiés pour le service par son nouveau chef, l’un concerne justement « l’adaptation, dans le domaine de la contre-ingérence, aux nouvelles conflictualités, principalement liées aux États déployant des actions intrusives, au premier rang desquels figurent bien entendu la Russie et la Chine ». Mais pas uniquement pourrions-nous ajouter. Car les anglo-saxons et leurs intermédiaires, comme leurs différents proxys, jouent également – et de façon discrète ou clandestine – contre nos intérêts stratégiques dans cette affaire. Et le deuxième axe d’effort consiste justement à « répondre à la forte progression des actions hostiles à la BITD ; le contexte économique et géopolitique actuel montre bien que cette tendance est appelée à durer » selon les propos du général Susnjara prononcés devant nos parlementaires de l’assemblée Nationale en avril dernier. 

Nos compétiteurs et adversaires stratégiques, principalement les Etats-Unis, la Chine et la Russie dans la perspective des services de renseignement français, disposent de moyens très puissants et variés, qui obligent les différentes centrales et parties prenantes à conserver la capacité de traiter et d’exploiter les données – la « guerre de la donnée » n’est pas une vaine expression – et à toujours posséder un temps d’avance dans la mesure du possible. Et dans le cadre de la nouvelle LPM, « la DRSD a mis en avant la nécessité de poursuivre le développement de sa nouvelle base de données souveraine pour y inclure des outils technologiques en capacité de lui permettre de traiter les données, de mettre en relation des signaux faibles, de déterminer des schémas d’attaque d’adversaires, de mieux orienter en outre ses capteurs, afin de accompagner et conseiller la BITD pour renforcer sa protection ». Un arsenal normatif à même de prévenir les ingérences étrangères serait également en développement, de même qu’un travail au renforcement du contrôle déontologique des militaires, anciens et actuels, afin d’éviter la fuite de savoir-faire, comme la presse s’en est fait d’ailleurs l’écho ces dernières semaines au sujet des pilotes de chasse Français, visés par une « opération séduction » déployée par la Chine.

Ce deuxième axe qui touche – comme nous le rappelions plus haut – aux actions hostiles contre la BITD, demeure les tentatives de prédation et de déstabilisation de la base industrielle et technologique de défense. Et celles-ci se sont en effet multipliées : « Elles prennent la forme d’ingérences légales, au travers des normes et de la réglementation, ou extralégales, avec, par exemple, des attaques contre la réputation d’une entreprise concourant à un marché, des captations d’informations, l’affaiblissement d’un concurrent, etc. ». L’augmentation du budget de la défense et la mise en avant des matériels occidentaux aiguisent naturellement certains appétits internationaux très inamicaux. « Dans ce domaine, la Chine représente la menace principale : elle agit dans de nombreux secteurs, pas uniquement celui de la défense, et se montre particulièrement intrusive dans la recherche. Nous devons nous montrer vigilants sur les normes et les réglementations, notamment anglo-saxonnes, car la Chine et d’autres pays souhaitent se doter de moyens importants en la matière » exposait Philippe Susnjara devant nos parlementaires. A ce titre, la DRSD travaille très étroitement et de manière coordonnée avec les autres acteurs du renseignement dits du « premier cercle » : la DGSI et Tracfin en tête. « Dans le cadre de l’économie de guerre, nous avons identifié avec la direction générale de l’armement (DGA), au-delà des entreprises connues possédant des savoir-faire particuliers, les petites et moyennes entreprises (PME) de la chaîne logistique qui peuvent constituer une cible pour nos adversaires. À cet égard, notre objectif est de se doter d’un outil utilisant la cartographie en 3D et la technologie des jumeaux virtuels pour disposer d’une meilleure vision de l’ensemble des installations et d’une connaissance en temps réel et à jour de nos niveaux de protection ».

Cédric Perrin : Il y a forcément une influence qui se met en œuvre. Certains services bien renseignés sont influencés par des ONG financées par des pays étrangers et contraires aux intérêts français. Ces ONG sont conscientes que la BITD est puissante (elle pèse 11 milliards dans la balance commerciale), avec un matériel technologique qui s’exporte bien, et elles prennent un malin plaisir à mettre la pression sur les conseils d’administration des banques pour qu’elles ne financent plus des projets liés à la défense.  

 Il est urgent de réfléchir et d’enquêter sur le sujet pour pouvoir mettre des noms sur ceux qui commettent ce genre de choses. La BITD, c’est 200 000 emplois directs, quasiment autant pour les emplois indirects. Son poids économique est primordial. 

Des gens ultra minoritaires mais très bruyants ne comprennent pas que favoriser l’industrie de la défense en la finançant, c’est aussi favoriser la capacité des pays occidentaux à maintenir la paix. Ce sont les nouveaux terroristes intellectuels, qui sont ultra minoritaires mais qui font énormément de bruit. 

Au niveau européen, je voudrais alerter sur le fait que la Banque centrale européenne (BCE) ne joue pas le jeu puisqu’elle catégorise le financement de la défense au même titre que le financement de l’écoterrorisme ou d’activités illicites graves. Il faut dénoncer tout ça dans le cadre d’une commission au Sénat.

« Certaines ONG, qui n'en ont que le nom, sont financées par certains pays et ont pour seul objectif de nuire à la BITD européenne et française », pointe du doigt Pascal Allizard, co-auteur avec Yannick Vaugrenard d'un rapport d'information sur le programme « Environnement et prospective de la politique de défense ». Avons-nous une idée des pays impliqués dans ces actions ?

Franck DeCloquement : l’Europe et la France prennent enfin conscience – disions-nous – qu’elles sont minées de l’intérieur par ces ONG « mercenaires », agissant le plus souvent sous fausse bannière, et à des fins jugées ouvertement offensives par les spécialistes des actions d’influence. Et le rapport du Sénat que vous évoquez enfonce encore le clou dans cette affaire, car il dénonce sans ambages les liens particulièrement troubles qu’entretiennent ces organisations non gouvernementales avec certains états étrangers parfaitement identifiés, et qui manœuvrent habilement en s’attaquant de biais à l’industrie française de la défense, à des fins de déstabilisation ou d’entrave. 

Petite précisons au passage : la guerre en Ukraine a mis soudainement un frein au projet européen de « taxonomie », lesquels prévoyait d’élaborer pléthore de règlements visant à classer les activités économiques selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Et ceci, afin d’orienter les investissements réalisés par les organismes financiers vers des activités liées à la transition écologique, dites « durables ». On perçoit bien entendu ici l’objectif sous-jacent de la manœuvre mise partiellement en échec. Mais cette épée de Damoclès plane encore indéniablement sur la BITD, comme le souligne Éric Trappier, le patron de Dassault Aviation, lors de son audition au Sénat : « Sur la taxonomie, je rappelle que si en Europe la stigmatisation des industries de défense a été mise de côté, il n’en reste pas moins qu’à Bruxelles et au Parlement européen en particulier de nombreux discours critiquent l’industrie de défense. Ce type de discours profite aux Américains ou à nos ennemis », a-t-il avancé de manière particulièrement explicite. Et de reprendre avec véhémence, en doublant sa salve dénonciatrice : « La taxonomie sociale a été mise de côté, mais n’en demeure pas moins une ambiance de méfiance vis-à-vis des industries de défense. Il faudrait pouvoir être fier de contribuer à développer des matériels militaires dans un cadre démocratique, au lieu d’être montrés du doigt. Analysons ceux qui montrent du doigt : d’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? On serait surpris de voir que certains attaquent plutôt l’Europe que leur propre pays ». 

Pour le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, Christian Cambon, il s’agit ici d’un vrai sujet (on ne saurait ici le contredire) : « Nous savons que des pays qui veulent nuire à nos industries se servent de certaines ONG. Même si la plupart d’entre-elles sont évidemment respectables et font un travail essentiel, d’autres sont cependant instrumentalisées pour pousser ces projets de taxonomie dans un sens défavorable à notre BITD ». 

Le rôle particulièrement délétère tenu par ces ONG diligentées dans les  attaques à la réputation contre la BITD française n’est pas une nouveauté, comme nous l’indiquions d’emblée en introduction. Il avait d’ailleurs été parfaitement pointé du doigt par le général Éric Bucquet, alors à la tête de la DRSD : « Je pense que lorsqu’une ONG bloque un port français pour empêcher l’exportation d’armes, il y a un intérêt économique derrière, la difficulté étant de le prouver » et « si les militants agissent en toute innocence, avec naïveté, les financements, eux, proviennent parfois de puissances qui œuvrent contre les intérêts de la France », avait-il expliqué fort calmement en audition aux députés Français. Difficile aussi de reconnaitre pour beaucoup d’officiels, que bien souvent, le « partenaire américain » à l’instar des ennemis désignés (Russie et Chine en tête), participe très activement de ces actions de déstabilisation de nos intérêts de défense. Et cela, malgré son rôle d’allié par ailleurs sur les terrains militaires communs. Ukraine en tête. 

À cet égard, les textes touchant à l’environnemental, le sociale ou la gouvernance, tels que les projets de « taxonomie » ou « d’écolabels » que nous évoquions plus haut, « constituent de véritables épées de Damoclès pour la BITD », accuse Pascal Allizard. Pour le sénateur Cédric Perrin : « il y a une pression exercée par certaines ONG qui, j’imagine, sont financées par des pays étrangers. Il me semble qu’il faut désormais mettre des noms sur ces organisations qui n’ont aucun intérêt à ce que notre BITD se développe […] il faut arrêter de croire que les conseils d’administration des banques décideraient spontanément, du jour au lendemain, d’arrêter de financer les entreprises de la défense ». 

Conséquence directe de ces actions d’influence délétères menées en sourdine contre nos intérêts : les établissements financiers se montrent toujours très réticents à financer des entreprises de la BITD, ou même à accorder des crédits à leurs employés. Car les propositions visant à amender ce projet de taxonomie n'ont pas été faite à ce jour. La Commission européenne avait pourtant promis de revoir sa position concernant le financement des industries de défense en réponse au « contexte géopolitique créé par la guerre en Ukraine », rappelle en substance la sénatrice Catherine Dumas. Peine perdue à l’heure où nous rédigeons ces lignes. Affaire à suivre donc !

Quel est le mode d’action et les stratégies que ces ONG actionnent contre nous ? Ces actions de déstabilisation sont-elles dénouables ?

Franck DeCloquement : Nous l’avons déjà évoqué en creux plus haut. Mais résumons-le très schématiquement pour nos lecteurs : en agissant sur les banques par pression diffuses, en usant de l’arme sociétale et normative portée par certaines ONG diligentées à cet effet. Qui les activent discrètement en arrière-plan, les monitorisent et les vectorisent indéniablement contre nos intérêts : « On serait surpris de voir que certains attaquent plutôt l’Europe que leur propre pays » avançait Éric Trappier, le patron de Dassault Aviation en audition devant les sénateurs. Une allusion très directe aux visées américaines, bien connues pour être par ailleurs les champions en la demeure des stratégies d’actions indirectes dans le registre économique. Et ceci, bien avant la Russie ou la Chine. 

En définitive, les États-Unis, qui fournissent traditionnellement plus de la moitié de l'équipement militaire européen, menacent toute augmentation des dépenses de défense. « J'entends encore des gens dire que les constructeurs aéronautiques français profitent de la guerre en Ukraine. En ce qui concerne Dassault Aviation, c'est zéro », a déclaré le PDG de Dassault Aviation, Éric Trappier, devant les sénateurs français le mois dernier. « Ceux qui profitent de la guerre en Ukraine sont les États-Unis d'Amérique — point final. Il n'y en a pas d'autres. Du moins en ce qui concerne les avions de chasse ». Eu égard pour leur défense vertueuses et frontales des grands principes à travers leurs ONG, bien souvent activées en sous-main, au bénéfice de leur seuls intérêts stratégiques, commerciaux ou de sécurité national. Certains semblent toujours et encore redécouvrir sempiternellement la lune en la matière. Mais critiquer le partenaire américain peut parfois ralentir ou ruiner certains plans de carrière pour les plus ambitieux. Alors beaucoup reprennent l’antienne du « ne nous fâchons pas » et « pas de vague ». Cela ne mange pas de pain. 

À ces questions d’identification, les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense ont eux aussi quelques idées de réponses en tête bien précises, que nous pouvons rappeler. Les « difficultés d’accès aux financements privés résultent de la prise en compte par les acteurs concernés de deux risques : un risque juridique – et force est de constater que les investisseurs privés sont soumis à un nombre croissant de règles et normes contraignantes – et un risque d’image, ‘réputationnel’, alimenté en partie par certaines organisations non-gouvernementales et des lobbies », selon Pascal Allizard, co-auteur du rapport d’information sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », remis à l’occasion de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30. Et de reprendre : « Cela nous a été très clairement expliqué lors de nos auditions. Certaines ONG, qui n’en ont que le nom, sont financées par certains pays et ont pour seul objectif de nuire à la BITD européenne et française. À cet égard, les textes en matière environnementale, sociale et de gouvernance, tels que les projets de taxonomie ou d’écolabels, constituent de véritables épées de Damoclès pour la BITD ». Aussi, selon Yannick Vaugrenard, le rapport rendu recommande de « pousser la Banque Européenne d’Investissement à revoir sa politique interne qui lui interdit actuellement de financer des investissements dans le secteur de la défense », ce qui serait un « signal fort à l’égard des investisseurs privés ». Mais les deux auteurs du rapport appellent surtout à « établir une cartographie précise des ONG et lobbies actifs en matière ESG et dont l’action peut avoir des conséquences sur notre industrie de défense ». Nul doute que nous aurons certaines surprises à la clef, si toutefois les résultats devaient être rendus publics, au risque de fâcher. Car beaucoup « d’amis » ne révèlent bien souvent être aussi, et dans le même temps, nos meilleurs ennemis. « Coopétion » oblige. 

Cédric Perrin : Ces ONG viennent à la sortie des conseils d’administration des grandes entreprises, ou dans le cadre de comptes rendus annuels des banques. Ce ne sont pas de grandes manifestations mais une pression mise sur les acteurs directement. De par leur entrisme, elles agitent et tendent de faire plier les acteurs financiers, qui pour certains ne sont pas insensibles à leur discours. L’année dernière, lors d’une table ronde avec les PDG de Nexter, Dassault, etc, je disais que les petites et moyennes entreprises avaient des difficultés. Les grands groupes me disaient que non. L’audition il y a quelques semaines du PDG de Dassault, Eric Trappier, a interpellé. Celui-ci dit qu’à présent, cela touchait également les grands groupes de la défense. Tout le monde est touché aujourd’hui. L’industrie de la défense est puissante en France, donc certains aimeraient lui couper l’herbe sous le pied.

In fine, quels sont les dangers de ce genre d'action pour la défense française ?

Ils sont nombreux et peuvent naturellement impacter une somme considérable d’acteurs et de partenaires industriels, mais aussi de sous-traitants très vulnérables aux aléas du marchés. Durant son audition, le patron de la DRSD, le Général de corps d’armée Philippe Susnjara, nous indiquait quelques éléments de réflexions particulièrement centraux sur ces dangers, et sur les moyens de les contrer efficacement. Certains devant nécessairement rester discrets : « Nous investissons déjà le champ informationnel ; comme dans le domaine cyber, nous partageons la tâche avec le Comcyber : celui-ci s’occupe du ministère des armées et nous nous focalisons sur la BITD. Service de renseignement, nous nous inscrivons dans la contre-ingérence informationnelle pour voir dans quelle mesure certains acteurs peuvent attaquer la réputation d’une entreprise et divulguer de fausses informations, par exemple pour l’empêcher d’obtenir un marché. Une petite cellule suit ces dossiers, notre objectif étant, dans l’année qui vient, de nous brancher sur ceux, dans la sphère institutionnelle ou industrielle, qui mènent déjà des actions très intéressantes ; les grands groupes font déjà de la veille informationnelle, mais pas forcément dans leur chaîne logistique. Comme pour le cyber, il peut y avoir des attaques contre les petites entreprises, qui sont des maillons de cette chaîne, pour contourner la protection que déploient les grandes sociétés. Nous essayons d’effectuer une veille générale tout en nous focalisant sur quelques thématiques, par exemple celle des marchés d’exportation vitaux pour certaines entreprises. Ensuite, il faut être capable de faire remonter l’information vers les acteurs qui peuvent agir ». 

Espérons alors que ces acteurs agissent vraiment… 

Cédric Perrin : Cela conduit à une perte de financement, une perte d’investissement mais aussi à une perte d’innovation, ce qui menace à moyen ou long terme la défense française. Sans financement, l’industrie aura du mal à survivre. Et comme je l’ai dit plus tôt, la BCE ne nous aide pas du tout. Pour pouvoir garantir un certain nombre d’emprunts que la Banque publique d’investissement française (Bpi) par exemple met en œuvre, la BCE demande de la part des entreprises de vérifier qu’elles ne financent pas des projets dans la défense. Un certain nombre de fonctionnaires européens vivent dans le monde des bisounours. Cette guerre en Ukraine n’a pas changé les choses, ou beaucoup moins que ce que je le pensais. 

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