Russie : Les tests d’armements stratégiques se poursuivent à cadence accélérée<!-- --> | Atlantico.fr
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L'armée poursuit sa course à l'armement avec des missiles et des armes de plus en plus sophistiquées et puissantes.
L'armée poursuit sa course à l'armement avec des missiles et des armes de plus en plus sophistiquées et puissantes.
©DR

Course à l'armement

Dans le cadre de la nouvelle "guerre des étoiles" face aux Etats-Unis, la Russie continue de développer et de produire des armes de haute technologie afin de renforcer son pouvoir de dissuasion.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les président Joe Biden déclare qu’il souhaite rencontrer son homologue russe Vladimir Poutine lors de son voyage en Europe prévu en juin. Il est vrai que les relations entre les deux pays se sont considérablement dégradées depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration démocrate qui est traditionnellement anti-Kremlin en général et très anti-Poutine en particulier. Mais les deux partis n’ont pas attendu le début de l’année pour relancer ce qui peut être considéré comme une nouvelle « guerre des étoiles ».

Tout le monde se souvient du discours du président Poutine le 1er mars 2018. Il avait alors énuméré la liste des dernières armes de haute technologie que la Russie développe depuis des années : des missiles de croisière à portée illimitée ou hypersoniques, des torpilles à propulsion nucléaire, une arme laser « dont il est trop tôt pour évoquer les détails ». Pour lui, ces nouvelles armes répondent à l’activité militaire des États-Unis qui déploient leurs boucliers antimissiles en Europe de l'Est (soit-disant contre la menace balistique iranienne) et en Corée du Sud. Il leur reproche également d'adopter une doctrine militaire visant se doter d’armes nucléaires de faible puissance (dites « tactiques »). On revoit surgir le spectre de l'arme du champs de bataille. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou avait aussi affirmé que les armes russes étaient désormais capables de « surpasser tous les systèmes antimissiles existants ». En résumé, chacun montre ses muscles rappelant qu’il peut pulvériser l’adversaires et, accessoirement, détruire la planète.

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Dans cette logique de retour à l’« équilibre de la terreur » comme durant la Guerre froide, certaines grandes puissances semblent avoir accéléré les tests de leurs armes nucléaires stratégiques.

Si la France a effectué fin avril un essai réussi d’un missile mer-sol M-51 (portée de 9.000 à 10.000 kilomètres), les Américains ont connu un échec début mai avec le (très) ancien missile sol-sol LGM-30 Minuteman III qui devait être lancé depuis la base aérienne de Vandenberg en Californie. Le dernier échec d’un tir d’un missile de ce type date de 2018 quand un Minuteman III qui devait parcourir 7.000 kilomètres avait été détruit en vol à cause d’un « dysfonctionnement ». Il est probable que ce type d’armement ne sera pas renouvelé dans l’avenir, Washington se tournant depuis des années vers de nouvelles technologies.

Sur le plan de l'emploi, selon le revue Kommersant, les conditions pour lesquelles Moscou pourrait utiliser l’arme nucléaire sont: « la réception d’informations fiables sur le lancement de missiles balistiques attaquant le territoire de la Russie et [ou] de ses alliés […] l’utilisation d’armes nucléaires ou d’autres armes de destruction massive par l’ennemi et ses alliés […] l’impact d’une attaque ennemie sur les installations critiques et militaires du pays au point que la capacité de riposter avec des armes nucléaires est perturbée […] une agression avec des armes classiques susceptible de menacer l’existence même de l’État. ». Parmi les menaces potentielles, la doctrine russe cite la détention par d’autres pays d’armes nucléaires et d’autres types d’armes de destruction massive, la prolifération incontrôlée d’armes nucléaires, le déploiement d’armes nucléaires offensives dans d’autres pays qui n’en sont initialement pas dotés (comme la volonté supposée de l’OTAN d’installer des armes nucléaires aux marches de la Russie), l’installation de moyens de défense anti-missiles et de systèmes de frappe depuis l’espace ainsi que l’accroissement de forces près des frontières de la Russie. Pour ce dernier point, l’OTAN et les USA sont clairement désignés.

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Sur le plan technologique, le Kremlin a mis la barre très haute depuis plusieurs années en dévoilant - parfois « par erreur » - la conception d’armes nouvelles cataclysmiques. Au début 2021, les analystes estimaient que la Russie détenait environ 4.500 têtes nucléaires. Dans le détail, environ 800 sur des missiles terrestres, 624 sur des sous-marins et 200 sous aéronefs. Le reste est stocké en réserve stratégique. Il y aurait encore 1.760 têtes retirées du service mais encore disponibles si le besoin s’en faisait sentir.

L’Agence Tass a rapporté que trois tirs de missiles balistiques intercontinentaux Sarmat RS-28 était prévus cette année. Le RS-28 est le successeur du SS-18 Satan qui a un demi-siècle d'existence et de sa version modernisée R-36M2 Voevoda. Le site de lancement est celui de Plesetsk situé à 800 kilomètres au nord-ouest de Moscou. Le polygone de tir de Koura (ex-Kama) à 130 kilomètres nord-ouest de la ville de Klioutchi dans le Kamchatka devrait être l’aire ciblée, au moins lors du premier tir. L’un des trois devrait atteindre la portée maximale du RS-28 : 18.000 kilomètres. Ce missile qui pèse 108 tonnes peut emporter une charge militaire de dix tonnes. Comme presque tous les engins de dernière génération, il est doté de considérables contre-mesures pour brouiller les défenses adverses et pourrait atteindre la vitesse de 24.000 kilomètres/heure rendant théoriquement impossible son interception. Cet armement est la partie enterrée en silos de la force stratégique russe. Selon son commandant, le général Sergueï Karakaev, ce système d’arme devrait commencer à être déployé sur la base militaire de Krasnoïarsk en 2022.

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En ce qui concerne la composante mobile de missiles sol-sol, la Russie va recevoir en 2021 treize RS-24 « Yars » (désigné par l’OTAN SS-29 ou SS-27 Mod 2). C’est un missile balistique intercontinental thermonucléaire à têtes multiples tiré depuis un véhicule MAZ-7917. Cet armement testé en 2007 est entré en service en 2010. Il a remplacé le R-36 et l’UR-100N utilisés durant un demi-siècle. Ces armes sont déployées dans des garnisons proches de Kozelsk, Yasny, Uzhur, Novossibirsk, Ioshkar-Ola et dans la région d’Orenbourg.

Pour l’US Navy, « l’Arctique est un corridor stratégique potentiel entre l’Indo-Pacifique, l’Europe et l’Amérique du Nord, dans un contexte de concurrence accrue. La force sous-marine doit rester prête en y menant des manoeuvres afin de s’assurer qu’elle sera en mesure de protéger les intérêts de sécurité nationale et de maintenir des rapports de forces favorables dans l’Indo-Pacifique et en Europe le cas échéant ».

Bien sûr, le Kremlin est du même avis. Ainsi, en avril, Moscou a annoncé qu’une base avait été installée sur l’archipel François-Joseph de la Terre d’Alexandra et qu’elle accueillerait des bombardiers furtifs, des dispositifs de guerre électronique et peut-être des sous-marins.

Selon le directeur général du centre de recherche scientifique Nic-Rezonans, Alexandre Shramchenko, deux autres bases devraient être opérationnelles dans l’avenir.

Elles pourraient accueillir le système océanique polyvalent Status-6 Poseidon 2M39. Ce serait une arme sous-marine à conduite autonome à propulsion nucléaire dont la tête serait dotée d’une une ogive thermonucléaire dont la puissance pourraient aller de 2 à 100 mégatonnes.

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Dans le domaine naval, le président Poutine semble avoir renoncé pour l’instant à la construction de portes-aéronefs qui ne répondent pas aux besoins (ni aux moyens) de la Russie qui n’a pas, comme les États-Unis, l’ambition de pouvoir intervenir partout sur la planète. Par contre l’effort est fait dans le domaine sous-marinier.

Si l’US Navy développe deux types de submersibles, les SNA de la classe Virginia et les SNLE de la classe Colombia, la Russie construit aujourd’hui six types de sous-marins.

Sept SNLE Boreil-II (Projet-955 et 955A) doivent former l’ossature de la force nucléaire maritime stratégique. Le premier de la série 955A, le « Knyaz Vladimir » (Prince Vladimir) a été livré en juin 2019. Chaque bateau de cette classe peut être armé de 20 missiles nucléaires intercontinentaux R-30 Bulava ou RSM-56 (8.000 kilomètres de portée, de 6 à 10 ogives/missile) ; les trois « Projet-955 » en service depuis 2013-2014 ne pouvant en emporter « que » 16.

Après le Typhoon, le « cuirassé » K-329 Belgorod sera le sous-marin le plus imposant au monde. C’est à la fois un navire espion et le vaisseau mère pour le mini sous-marin Losharik AS-12 et AS-31 à propulsion nucléaire destiné à plonger à de grandes profondeurs. Ce dernier, mis en service en 2003, peut intervenir sur les câbles sous-marins reliant les différents continents.

Le sous-marin stratégique de classe Khabarovsk ou projet 09851 armé de six torpilles Poseidon comme le K-329 Belgorod est le navire de plus mystérieux de la série. Le premier exemplaire devrait être lancé cet été.

Enfin, dans le domaine de la guerre navale classique, le SNA de classe 885M Yasen a la réputation d’être très furtif. Il est armé de trois types de missiles dont des mer-sol Kalibr (comparable au Tomahawk), les supersoniques mer-mer Oniks (qui peuvent toutefois aussi viser des cibles terrestres) et les hypersoniques Zircon. Cinq exemplaires seraient opérationnels.

La Russie continue à développer des submersibles à propulsion classique (de classe 677 Lada) qui pourraient bénéficier dans l’avenir du système de propulsion anaérobie. Douze exemplaires sont prévus, trois sont terminés mais un seul est aujourd’hui opérationnel.

Les submersibles de classe Kilo datent des années 1980 mais des modèles modernisés sont toujours en construction. Les dernières versions peuvent mettre en œuvre des missiles Kalibr même si la capacité d’emport est inférieure à celle de la classe Yasen.

En matière de dissuasion, l’arme nucléaire peut également être emportée sous aéronefs mais les nouveautés semblent plus rares dans ce domaine si l’on excepte le drone de combat furtif Soukhoï S-70 Okhotnik qui reprend des caractéristiques du chasseur Su-57. Il devrait être opérationnel en 2024.

Sur le plan militaro-stratégique, selon Viktor Murahovsky, le rédacteur en chef de la revue Homeland Arsenal magazine : « le principal critère pris en compte par la Russie pour acquérir des armements et de se doter des dernières technologies en matière de dissuasion nucléaire. Notre objectif principal et d’empêcher nos ennemis potentiels d’attaquer notre sol. Ce type d’armement doit faire réfléchir à deux fois [un adversaire potentiel] avant de nous menacer ». Pour lui, la modernisation totale de l’arsenal nucléaire russe devrait être atteinte au milieu des années 2020.

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