Retraites : à quoi ressemblerait une réforme alternative portée par l’intersyndicale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les syndicats doivent être reçus à Matignon ce lundi.
Les syndicats doivent être reçus à Matignon ce lundi.
©Bertrand GUAY / AFP

Vers un dialogue ?

Les syndicats doivent être reçus à Matignon ce lundi. Au-delà de leur unité dans le rejet, seraient-ils capables de s’accorder sur un projet ? Et lequel ?

Florence Legros

Florence Legros

Doyenne d'ICN Business School, Florence Legros était auparavant professeur à l'université de Paris Dauphine où elle a dirigé l'école d'assurance, le magistère Banque-Finance-Assurance et le E-MBA Assurance. Ses recherches portent sur le vieillissement, les pensions, les politiques sociales, l'épargne et leurs effets sur la croissance économique et les flux financiers.

Elle exerce également des activités de consultance pour des administrations internationales, a été experte au sein du conseil consultatif des pensions du Premier ministre français et conseillère scientifique auprès de la Commission européenne. Entre 2008 et 2011, elle a occupé le poste de recteur de la région de Bruxelles-Capitale. Entre 1999 et 2004, elle a été directrice adjointe du CEPII, où elle a participé activement à la création du réseau européen Enepri.

Elle a écrit de nombreuses publications, articles et livres traitant de l'économie du vieillissement.

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Atlantico : Les syndicats doivent être reçus à Matignon ce lundi. Au-delà de leur unité dans le rejet, chacun à des propositions différentes sur les retraites. Dans quelle mesure y-a-t-il, selon les syndicats, plus ou moins de reconnaissance de la nécessité d’une réforme ? Quelles sont les différences de diagnostic ?

Florence Legros : Compte tenu de la faiblesse des débats sur le fond (combien de fois avons-nous entendu parler d’espérance de vie ?) on ne sait pas grand-chose sur la reconnaissance d’une nécessité à réformer ou non les régimes de retraite. On peut procéder par déduction d’après les discours syndicaux.

Pour tenter de simplifier, on peut considérer que deux sujets se superposent : d’une part, le sujet «traditionnel » c’est-à-dire celui de l’équilibre d’un régime de retraite par répartition dans un contexte de vieillissement de la population, d’autre part, celui de la contribution de l’Etat à l’équilibre du système et notamment des régimes spéciaux et de la fonction publique d’Etat, subvention chiffrée entre 0.7 et 0.9% du PIB à l’horizon 2070 par le COR dans un contexte d’objectif de dépenses publiques contraints.

Traditionnellement, et cette « réforme » n’échappe pas à la règle, la position des principaux syndicats est marquée par une opposition relativement nette même si le désaccord est général. 

Alors que la CFDT a plutôt été toujours sur une ligne d’augmentation des durées de cotisation face au vieillissement de la population qui n’est pas nié, afin de ne pas pénaliser ceux qui ont commencé leur carrière tôt, la CGT considère que toute réforme implique un effort de la part des salariés et seulement de ceux-ci dans un contexte qui ne nécessite pas de réforme. Aussi les entreprises doivent-elles faire des efforts alors que la démographie ne serait pas un sujet (le syndicat juge qu’il n’y a plus d’augmentation de l’espérance de vie).

Côté CFE-CGC, on pointe l’injustice faite aux femmes, l’augmentation de l’âge de la retraite neutralisant les trimestres de majoration pour enfants.

Pour FO, c’est le taux d’emploi des seniors qui semble poser problème, un problème auquel le CDI senior sera incapable de répondre de sorte que l’augmentation de l’âge de la retraite pèsera lourdement sur les personnes qui ne sont déjà plus en emploi avant l’âge de la retraite actuel. Autrement dit, il n’y a pas nécessité d’une réforme dès lors que le taux d’emploi des seniors est bas, autrement dit encore, il y a négation du lien entre âge de la retraite et taux d’activité des seniors.

Se superpose à ces généralités la question de la subvention de l’Etat aux régimes spéciaux. Le débat ne s’est que peu focalisé sur ces régimes et la nécessité de les maintenir même si les secteurs en pointe sur les grèves ont été ceux qui seraient touchés par une baisse de la subvention en question et – partant – par une réforme de leurs régimes. Le débat s’est alors focalisé sur le fait que l’état cherche à faire des économies sur le dos des salariés ; dès lors, un recours à plus d’impôt est évoqué notamment par la CGT. Sur le même sujet, la CFDT évoque le fait que la réforme des retraites (ie la baisse éventuelle de la contribution de l’Etat) ne peut être utilisée pour financer d’autres dépenses publiques comme l’éducation ou la transition énergétique.


Quelles sont, dans le détail, ces différentes propositions des grands syndicats pour ce qui serait une réforme alternative des retraites ? 

Pour la CFDT, le COR (Conseil d’orientation des retraites) prévoit un déficit de 3% des dépenses (note : elles se montent à 325 Mds d’euros) ce qui n’implique pas d’urgence financière. Pour autant le syndicat pose que si problème financier il y a il doit être réglé autrement que par une augmentation de l’âge de la retraite. 

La CFDT n’est traditionnellement pas contre une adaptation du système de retraite à condition qu’elle règle les injustices constatées actuellement : une réforme qui garantirait un minimum décent des pensions, prendrait en compte la pénibilité dans l’âge de départ à la retraite, maintiendrait le dispositif carrières longues, intégrerait les questions d’égalité hommes femmes. Par ailleurs, la CFDT a milité pour la mise en place d’un Cetu (compte épargne temps universel).

Pour la CGT, le problème est celui du comportement des entreprises qui met à l’écart les travailleurs âgés (avec la « bénédiction » du gouvernement). Des sanctions financières sont donc nécessaires pour maintenir en emploi ces travailleurs. Une augmentation massive des salaires serait également une source de revenus supplémentaires sous forme de cotisations. La réforme est plus une réforme de société, visant à faire payer les entreprises, qu’une réforme touchant les régimes de retraite.

Pour FO, le taux d’emploi des seniors est un vrai problème et l’augmentation de l’âge de la retraite ne peut modifier les comportements des actifs de sorte que la réforme va induire un taux de chômage majoré des seniors et une baisse de leurs pensions.

Pour la CFE-CGC c’est l’augmentation de l’âge qui est également mise en avant comme vecteur d’injustice.


Au regard des différences de proposition entre les syndicats, seraient-ils capables de s’accorder sur un projet commun  ? Y-a-t-il, sur le fond, suffisamment de convergence pour essayer de dresser une contre-proposition commune au gouvernement ? Si oui, laquelle ?

Compte tenu des différences d’approche : problème de société pour la CGT requérant une modification importante de la fiscalité, des contraintes accrues sur les entreprises que ce soit sur les salaires (notamment des femmes) ou sur le maintien en emploi des séniors, problème de paramétrages (même importants quand on parle de pénibilité, abandon de la mesure d’âge…) pour la CFDT par exemple, on voit mal émerger un projet commun hormis l’abandon pur et simple de la réforme. Même l’idée de faire appel à un médiateur partage les deux centrales. Une médiation est possible pour la CFDT mais non pour la CGT tant toute réforme est hors de propos.


Le contexte politique et les rapports de force entre syndicats permettent-ils au syndicat de s’accorder sur une proposition commune de réforme alternative ? 

Finalement la CFDT ne remet fondamentalement pas en cause le système actuel, assurantiel, et ipso facto pourrait accepter une réforme qui corrigerait les inégalités de traitement entre salariés, que ce soit hommes/femmes, carrières longues/carrières plus tardives, pénibilité/non pénibilité.

La CGT pointe un certain nombre de freins à l’équité : il faut contraindre les entreprises sur les salaires, sur le maintien en emploi des travailleurs plus seniors, sur les inégalités hommes femmes. Ce faisant, le syndicat réfute les mécanismes de marché et s’inscrit bien en amont de la réforme des retraites. Du reste, arguer qu’une augmentation des salaires rééquilibrerait les régimes des retraites repose nécessairement sur une hypothèse de stagnation de l’espérance de vie, autrement dit sur une remise en cause des prévisions effectuées par les différents organismes comme le COR. 

On voit donc mal une proposition commune à l’ensemble des syndicats émerger même si on peut imaginer qu’abandonner la référence aux 64 ans pourrait être de nature à relancer des discussions autour de la position de la CFDT.

 « Âge de la retraite » fait ici référence à l’âge auquel on peut, dans le secteur privé et hors carrières longues, faire valoir ses droits à la retraite sans décote si on a cumulé ses annuités, c’est-à-dire 62 ans (et non l’âge moyen de liquidation des droits ou encore l’âge automatique du taux plein).

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