Retrait de l’armée française : les Maliens de France tiraillés entre inquiétudes et satisfaction<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les Maliens vivant en France sont partagés
Les Maliens vivant en France sont partagés
©Daphné BENOIT / AFP

Opération Barkhane

Le départ des militaires français de l'opération Barkhane laisse un sentiment ambivalent aux Maliens habitant en France.

Jean-Claude Félix-Tchicaya

Jean-Claude Félix-Tchicaya

Jean-Claude Félix-Tchicaya est praticien chercheur pour l'Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) en géopolitique, géostratégie, sociologie et psychosociologie au sein du groupe Afrique / Europe.

Voir la bio »

Atlantico : La France a annoncé lundi avoir achevé le retrait de ses troupes du Mali avec le départ du pays des derniers soldats de l’opération Barkhane. Les Maliens de France semblent tiraillés entre l’inquiétude et l’incertitude vis-à-vis de l’avenir du Mali et le fait de voir une page se tourner avec le départ des troupes françaises ? Quelle est la réalité au sein de la communauté malienne en France ? Comment cet événement est-il vécu ? Les familles sont-elles divisées ?

Jean-Claude Félix-Tchicaya : La communauté malienne, qui est assez nombreuse en France, a vécu ce départ comme un événement géopolitique et géostratégique majeur, voire historique au regard des liens entre la France et le Mali. Il y avait un regard emprunt d'attention et d'acuité certaine. La communauté malienne dans son ensemble  demande et réclame légitimement depuis des décennies que le Mali soit vu et analysé avec des prismes et des paradigmes renouvelés mais qui malheureusement se heurtent souvent à une involution de ceux-ci de la part de l'extérieur, et notamment des autorités françaises. La venue en 2012 de François Hollande sous certains cris de joie ne doit pas opérer un trompe-l'oeil analytique. Cette fin de cette France-Afrique restait une demande forte et majoritaire au Mali et dans la diaspora.Les différents présidents français, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron s’étaient engagés à mettre fin à la France Afrique.

En vain.

Ce qui était souhaité, n'était ni une intervention d’une France « Saint-Bernard » et/ou aux réflexes tutélaires venant jouer le rôle de sauveur, ni une France arrogante et paternaliste, posture anachronique ce qui a généré encore une fois, que l'on puisse se permettre de convoquer plusieurs présidents du Sahel qui sont les homologues du Président français à Pau, faut-il le rappeler truisme volontaire (tel un préfet qui convoquerait ses sous-préfets) n’ont pas été bien perçues. Tout cela a été perçu et ressenti comme une offense volontaire faite à l'Afrique et aux Africains et en premier lieu aux Maliens ou aux Français d’origine malienne. Le ton condescendant et arrogant fit déborder un vase déjà bien plein.

À Lire Aussi

Le retrait du Mali marque la refondation des relations franco-africaine

Plusieurs sentiments cohabitent au sein de chaque Malien et de la diaspora malienne. Ils sont conscients que la fin de Barkhane constitue un épilogue majeur. Ils ont néanmoins une vision réaliste de la situation sécuritaire de leur propre pays. La majorité privilégie des solutions "malio-maliennes" de solutions de sortie de crise avec une recouvrement de la souveraineté malienne par et pour les Maliens avec  des rapports internationaux revus et corrigés.

Les autorités maliennes sont très populaires au Mali et au sein de la diaspora. La communauté malienne souhaite que puisse s’enclencher de nouveaux rapports entre le Mali et la France. Cela a conduit pour l’instant à un départ.

Les membres de la communauté malienne sont inquiets pour leurs parents et leurs familles vivant au Mali. Une inquiétude persiste sur les moyens manquants sur le plan régalien et sur le plan militaire.

Une aspiration forte pour une résolution concerne une résolution malio-malienne sur le plan militaire afin que le Mali puisse prouver à ceux qui en doutant et à lui-même qu’il peut lutter contre le terrorisme au Mali et dans la région du Sahel.

Enjeu narcissique et souverain considérable.

L’arrêt de ce qu’il reste des vestiges de la France Afrique est un des objectifs principaux, un des sentiments qui prédomine. La communauté malienne souhaite œuvrer et travailler à la construction d’un nouveau Mali. La popularité des nouvelles autorités maliennes va dans ce sens. Mais la population reste et demeure attentive à l'évolution économique et sociale de leur quotidien. Les Maliens savaient que Barkhane allait s’interrompre, cela leur paraissait inéluctable. La diaspora malienne a aussi des légitimes exigences politiques, économiques à l'égard des nouvelles autorités. 

Les membres de la communauté malienne souhaitent que leurs familles et concitoyens maliens bénéficient d’une sécurité garantie montant en puissance face au terrorisme. Ils veulent également être protagonistes de la réinitialisation, mise à jour et renouveau du Mali.

Participer à cette épopée nationale.

Ils savent que la première responsabilité est au pouvoir malien et à la société civile qui s’est soulevée. Les militaires ont pris le pouvoir après une insurrection populaire. 

Il y a donc un sentiment mêlé dans la diaspora malienne. Malgré une suite de déplorations, l’espoir persiste, tout en étant arrimé à un narcissisme malien national qui se veut souverain et respecté par tout le monde, que l’on soit de nationalité malienne ou non.

Le Mali et la France n’ont pas vocation à avoir des relations bilatérales rompues. La diaspora malienne œuvre afin que tout puisse se résoudre à travers un mouvement réciproque entre la France et le Mali et qu’il y ait une initiation de nouveaux rapports.       

Selon Baïdy Dramé, président du Conseil supérieur de la diaspora malienne de France, une organisation qui fédère une cinquantaine d’associations, « globalement, la communauté malienne est moins favorable aux autorités de transition que les Maliens vivant au pays. Dans sa grande majorité, la diaspora souhaite des relations pacifiées entre la France et le Mali », d’après lui. A quel point les Maliens vivant en France partagent, ou non, les vues de la junte et du peuple malien sur place ?

Il s’agit de sentiments mêlés. Un sentiment narcissique prédomine avec la volonté d’une solution malio-malienne. Certains membres de la  communauté malienne sont néanmoins méfiants vis-à-vis de la classe politique qui a été défaillante. Il y a aussi le résultat de la migration. De nombreux représentants de la diaspora malienne ont quitté leur pays d’origine car leur vie est accidentée sur le plan social et économique.

Les militaires savent que leur place est plutôt à la caserne qu’au pouvoir. Même les plus fervents partisans du pouvoir en place au Mali restent méfiants car l’histoire du pays a été jalonnée par les crises.

La diaspora malienne ne souhaite pas qu’il y ait une tension qui perdure entre le Mali et la France. Mais les membres de la diaspora malienne savaient qu’ici et là-bas les rapports ne pouvaient plus demeurer dans ce statu quo. Nous assistons à une surenchère.

La diplomatie malienne, française et européenne doivent initier un nouveau discours.

Toute initiative inédite devra se faire de manière réciproque. Tout ne peut pas se faire depuis la France mais avec les autorités politiques d’aujourd’hui et de demain, les sociétés civiles, le champ économique...

Il est nécessaire de sortir positivement de cette crise grâce à un mouvement réciproque via l’initiation de nouveaux rapports.

Une grande partie des Maliens sont nés à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Une réinitialisation se met en place. Certains d’entre eux sont prêts malheureusement à soutenir des régimes autoritaires extérieurs. Il s’agit de détours mêlés, complexes et revanchards ou des tentations vengeresses. Mais la majorité aspire à ce que les rapports avec la France changent car ils savent bien que certains autres partenaires, comme la Russie notamment, peuvent se servir du Mali comme outils géostratégiques, comme l'est également le système France-Afrique. 

Ce qui monte en puissance au Mali et en Afrique, c'est no tutelles. Sortir de toutes les tutelles et reconstruire de véritables rapports internationaux multi-latéraux.

Les Maliens et la diaspora malienne expérimentent au quotidien pour beaucoup ces inquiétudes sociales et économiques. De nombreux membres de la diaspora envoient des sommes d’argent afin de participer aux quotidiens de leurs proches au Mali. 

- Quelles pourraient être les conséquences politiques au sein de la communauté malienne en France vis-à-vis du pouvoir au Mali suite au retrait de l’armée française et après les tensions diplomatiques entre les deux pays en février dernier suite à l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali ? Et aux accusations récentes du Mali contre la France ?

Une partie de la diaspora est organisée au Mali. Il faut aussi entendre une partie plus jeune qui est non-organisée mais qui essaye elle aussi d’avoir un regard objectif et qui souhaiterait être entendue. 

Attention pour certains au rejet de l'aspiration démocratique, en rejetant la démocratie et ses institutions dans certains pays africains, ces nations se rapprochent des Etats autocratiques et autoritaires. Un axe mondial est en train de se former. 

Les membres de la diaspora malienne en France perçoivent un peu plus cette réalité sur le plan géopolitique.

Certaines voix au Mali plaident pour un pouvoir fort et autoritaire malheureusement, en revanche ils restent minoritaires. 

Lorsque vous lisez les slogans et la plus grande partie des revendications politiques que cela soit au Mali mais aussi au sein de la diaspora sur la volonté de participer à l’avènement d’un nouveau Mali et à une amélioration des rapports entre la France et le Mali,  ils ne lâchent rien sur les enjeux démocratiques. 

La participation de tous est pourtant bien la solution. Tout le Mali doit recouvrer ce territoire qui est trois fois plus grand que la France. Une partie du Mali se vit quelque peu ostracisée. Il est important que tout le monde soit entendu et que le Mali puisse se retrouver.

Une relance du dialogue par la délibération démocratique est nécessaire via la diaspora également qui se trouve en France, en Europe, en Afrique.

Nous sommes à un moment clé, à un point de bascule soit vers un avènement démocratique pour une relance totale du Mali. Au regard des attentes, les aspirations démocratiques l’emporteront car elles touchent à la vie quotidienne des Maliens.

Pour que la France change son regard, il est nécessaire d’entendre tous les Français qui souhaitent que le rapport à l’Afrique évolue. 

Quelles vont être les conséquences du retrait des soldats de l’opération Barkhane pour les Maliens résidant en France ?

Cela constitue un vide. 5.000 militaires surentraînés, les forces spéciales… Même s’il y a un bilan, contrasté pour certains observateurs, il y a dorénavant un grand vide, notamment au regard de la superficie par rapport à l’expansion et à la métastase des groupes terroristes sur le Mali et l’Afrique de l’Ouest, sur tout le Sahel. Cela peut créer des failles. 

Les forces qui viennent de Moscou et qui seraient au nombre de 1.000 ne sont pas du tout au niveau des troupes déployées lors de l’opération Barkhane. La Russie n’a pas recours à une armée conventionnelle au Mali. Leur champ d’action et leurs pratiques sont contestables. Si la France avait envoyé des mercenaires à la place d’envoyer les troupes de Barkhane et l’armée officielle, cela aurait déclenché un scandale au Mali, en Afrique et en France. Il y a une contradiction totale au regard du fait que la population accepte cette offense magistrale qui consiste à envoyer des mercenaires plutôt qu’une armée conventionnelle.

Le vide sera et doit être comblé par les autorités maliennes et autres partenaires internationaux. se relance. Une nouvelle politique de redéploiement des forces en présence s'effectue devant la menace chaque jour toujours plus forte des groupes armés terroristes.

Il y a une montée en puissance des forces armées étatiques de la région pour lutter contre ce fléau du terrorisme. 

Il ne faut pas oublier également le journaliste Olivier Dubois, otage au Mali depuis plus de 500 jours. Je lui adresse ma solidarité ainsi qu'à sa famille.

Il faut aussi rendre hommage aux 53 soldats français qui sont tombés au Mali et les 59 qui sont tombés dans tout le Sahel mais également à tous les soldats, qu’ils soient Maliens ou non, qui ont perdu la vie en combattant contre le terrorisme. Un hommage doit aussi être rendu aux milliers de civils massacrés et tués.

Malgré les critiques sur Barkhane, il est important de rappeler cette réalité. Des militaires français ont donné leur vie pour l’Afrique, pour le Mali, pour la France, pour la paix, pour un combat contre le terrorisme, comme les militaires maliens, et sahéliens en très grand nombre et autres victimes des partenaires internationaux. Il ne faut pas oublier cette effroyable réalité.

Hommage et reconnaissance à tous.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !