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Restrictions d’âge pour les sites porno : une tragi comédie française
©Photo AFP

Problème insoluble

L’Arcom menace de fermeture des sites pour non respect des règles que personne n’a su définir

Marc Rees

Marc Rees

Marc Rees est journaliste, rédacteur en chef de Next INpact.

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Atlantico : Des sites pornographiques sont menacés de fermeture par l'Arcom. Pourquoi ? Que se passe-t-il ? 

Marc Rees : Deux texts sont centraux. L'un est dans le code pénal, l'autre dans une loi adoptée en juillet 2020, la loi contre les violences conjugales. Dans le code pénal, c'est le fameux article 227-24 qui indique qu’il est absolument interdit de rendre accessible aux mineurs des contenus pornographiques. Et il était précisé, toujours avec la loi de juillet 2020, que la présence d'un disclaimer d’âge, c'est à dire d'une déclaration d'âge sur à l'entrée d'un site pornographique ne suffisait pas. C’est-à-dire que quand bien même un site porno affiche un disclaimer d'âge, on a toujours une problématique d'accessibilité des contenus pornographiques aux mineurs. Le disclaimer d'âge n'est pas un paravent suffisant pour empêcher la concrétisation de cette infraction.

Le deuxième article, l’article 23 de la loi contre les violences conjugales, prévoit une procédure de blocage entre les mains du président de l’ARCOM. Cette procédure est simple : dès lors qu'un site rend accessible des contenus pornographiques -qu’il ait ou non un disclaimer d’âge- le président de l’ARCOM peut enjoindre son éditeur à trouver une autre solution dans les 15 jours sous la menace d'une assignation du fournisseur d'accès aux fins de blocage. Si l’éditeur n'arrive pas à trouver cette solution dans la quinzaine, l’ARCOM peut assigner l'ensemble des fournisseurs d'accès devant la juridiction parisienne aux fins de blocage. Et c'est exactement la situation dans laquelle on se retrouve aujourd'hui puisque 5 sites n'ont pas été capables de trouver cette fameuse solution de contrôle d'âge à distance et donc les frais de son accès ont été assignés aux fins de blocage.

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Le fait intéressant est que les sites pornos sont intervenus volontairement -c'est une des possibilités ouvertes par le droit français- pour défendre leurs causes. Ils ont mis en avant quelques "soucis" dans la législation française, tout du moins dans le caractère pratique de ce contrôle d'âge, étant donné que la situation est très floue. C'était donc l'enjeu de l'audience qui s'est tenu la semaine dernière, pendant 3h30 au tribunal judiciaire de Paris.

L’ARCOM menace donc de fermer des sites en leur demandant d'imposer une règle que personne n'a véritablement définie ?

L’ARCOM a une lecture très brutale des textes, ceux-ci étant très binaires. Les sites pornographiques essaient quant à eux de mettre en avant leurs nuances. En réalité, ils se retrouvent quasiment face à une obligation impossible puisqu'on leur demande de contrôler un âge sans leur expliquer comment faire. L’ARCOM leur répond que ce n’est pas à elle de leur expliquer comment se débrouiller, qu’ils ont le choix des moyens pour trouver des solutions.

La situation devient de plus en plus épineuse parce qu’on a d'autres sites qui ont été mis en demeure de trouver une solution, Jacquie et Michel notamment. L’an dernier, leur astuce consistait à réclamer un numéro de carte bancaire pour filtrer les mineurs. Et l’ARCOM a considéré que, dans la mesure où il peut détenir une carte bancaire, un mineur peut théoriquement accéder à Jacquie et Michel, donc ce n’est pas suffisant. 

Dans le même temps, la CNIL s’est aussi penchée sur le sujet. Pourquoi ? Parce que dès lors que vous avez une solution de contrôle d'âge à l'entrée d'un site pornographique, il y a nécessairement des problématiques de données à caractère personnel qui se posent. Donc là, on nage en plein RGPD ! La situation est d'autant plus critique qu’on est face à des contenus sensibles. Pourquoi, selon les critères du RGPD ? Parce que des catégories visitées sur les sites pornographiques, un éditeur peut finalement déduire l'orientation sexuelle du consommateur. Donc on touche à des données sensibles au cœur de l'intimité et de la vie privée de chacun. Et la CNIL, contrairement à l’ARCOM, a indiqué qu'elle se satisferait de la carte bancaire. En revanche, elle a repoussé les systèmes de reconnaissance faciale et a estimé qu’il y aurait une solution qui serait intéressante, celle qui consisterait à passer par un tiers de confiance, qui lui va contrôler l'âge de de l'internaute et va ensuite lui donner une sorte de jeton virtuel que l'internaute va pouvoir utiliser sur le site pornographique que l'individu soit identifiable : c'est une opération triangulaire qui exige quand même qu'il y ait des textes et des process qui soient correctement établis et reconnus. Et là, pour l'instant on a peu de choses, et les sites pornographiques sont dans un brouillard total. 

D'autant plus que si l’on en revient à la loi contre les violences conjugales, un décret d'application a été pris pour rendre praticable cette loi et il invite chaudement l'ARCOM avec la CNIL a établir des lignes directrices sur la fiabilité des procédés techniques qui pourraient être mise en œuvre par les sites pornographiques. À ce jour, l’ARCOM n'a pas produit sa ligne directrice qui aurait pu apporter une espèce de guide, une rampe sur laquelle auraient pu s'accrocher les sites pornographiques. On a donc a le furieux sentiment que côté de l'ARCOM, c'est le travail minimum qui est effectué pour aider les sites pornographiques.

L'ARCOM affirme que la problématique est simple, qu'elle devrait être résolue et que ce n'est pas de son ressort. Mais est-ce si simple ?

Cette problématique est si simple que l’ARCOM n'a produit aucune ligne directrice... Alors certes, on a le politique qui est intervenu dans l'arène, à savoir Jean-Paul Barrot, ministre délégué à transition numérique, qui a promis dans les colonnes du Parisien une expérimentation sur une sorte de contrôle d'âge avec une possible mise en œuvre en septembre. Mais le calendrier est quand même surprenant. On a l'impression qu'on fait les choses complètement à l'envers.

En fait, cette expérimentation aurait dû être envisagée avant le vote de la loi. On aurait dû avoir des travaux parlementaires bien plus solides que ce qu'ils ont étés afin de pouvoir sécuriser juridiquement tous ces acteurs. Je rappelle une petite chose. La pornographie n’est pas illicite. C'est son accessibilité aux mineurs qui l’est. Il y a donc une problématique de communication et de liberté d'entreprendre outre évidemment la périlleuse nécessité de protéger les mineurs.

L’AFP, dans une de ses dépêches, cite Thomas Romer, fondateur d'Open -une des associations de la protection de l'enfance, qui avait saisi le régulateur en 2021- qui dit que « la publication de ligne directrice, c'est un piège dans lequel les sites veulent nous embarquer, on se bat pour qu'elle n'ait pas lieu. » À quel point est-ce que ça complexifie encore la chose ? Et pourquoi est-ce que certaines associations de protection de l'enfance veulent que la publication de lignes directrices n’aient pas lieu ?

C'est assez curieux de se battre pour ne pas publier ces lignes-là alors qu'elles ont été appelées par le gouvernement. Si on avait une ligne directrice, on aurait un petit peu les points centraux sur lesquels les sites pornographiques pourraient s'articuler et essayer de travailler pour trouver une solution qui y réponde.

C'est quand même une approche assez particulière.

Ce qui est intéressant c'est qu’on demande finalement à l'industrie du porno de réfléchir à cette solution, qui puisse satisfaire l’ARCOM, sans que les travaux parlementaires aient été suffisamment évocateurs. Les travaux parlementaires expliquaient que la liberté de choix dans ce moyen technologique serait laissée intégralement entre les mains des éditeurs de site pornographique. Il y avait au moins une stratégie que de laisser le marché se débrouiller. Je ne sais pas si c'est très judicieux en 2023 que de se lancer dans une telle démarche de conflit plutôt qu'une approche de co-construction de norme avec les acteurs du secteur.

Initialement, dans le dossier, les éditeurs de sites ont douté du caractère nécessaire et proportionnel de la mesure française, dans la sens où on a une loi sur le logiciel de contrôle parental qui a été adoptée. Celle-ci impose au fabricant d'écrans connectés au sens large, donc ordinateur, tablette, smartphone, etc. d'installer un logiciel de contrôle parental qui serait activé au premier démarrage, au libre choix des parents. Et ils expliquent que cette mesure permet d'atteindre à peu près l’objectif, mais en étant beaucoup moins problématique puisque ce sont les parents qui vont contrôler les promenades numériques de leurs enfants. Et d'autant plus qu’ici, on ne touche pas aux serveurs, l'approche est donc beaucoup plus pertinente. Mais l’ARCOM ne veut pas se retrancher uniquement sur le contrôle parental. En somme, le problème semble insoluble. 

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