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Rémunération des grands patrons : pourquoi les fonds d’investissement pourraient être la solution aux excès français (quand il y en a)
©Reuters

Patron, méfie-toi du Grand Capital

Alors que le thème de la rémunération des grands dirigeants d'entreprises est de plus en plus présent dans le débat politique et médiatique, le plus grand fonds souverain du monde a annoncé ce lundi vouloir se pencher sur le dossier.

Bertrand  Jacquillat

Bertrand Jacquillat

Bertrand Jacquillat est économiste spécialiste de l'économie financière, de finance d'entreprise, de micro gestion des entreprises et des marchés financiers. Il a notamment enseigné à UC Berkeley, à la Graduate Business School de Stanford, la Hoover Institution, HEC Paris, l'Université de Lille et l'Université Paris Dauphine.

Il a écrit de nombreux livres traitant de ces sujets de prédilection dont « Marchés financiers, gestion de portefeuilles et des risques », Dunod, 5ème édition, 2009

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Atlantico : Ce lundi, le plus gros fonds souverain au monde (le fonds public norvégien) a annoncé vouloir se pencher très prochainement sur la rémunération des dirigeants des entreprises dans lesquelles il possède une participation. Alors que les responsables politiques s'émeuvent régulièrement des rémunérations des grands patrons, quel pourrait être l'impact d'une telle décision par des grands fonds d'investissement sur le comportement des entreprises ? 

Bertrand Jacquillat : C’est une décision extrêmement importante prise par le plus ancien et le plus important fonds souverain, celui de la Norvège dont les actifs, sagement constitués et régulièrement abondés à partir des revenus de la rente pétrolière, s’élèvent à près de 1000 milliards de dollars investis dans plus de 9000 sociétés à travers le monde dans lesquelles  sa participation moyenne est de 1,3%. Le directeur général du fonds YnaveSlyngstad a souligné que cette décision était une première qui va affecter la gouvernance  des grandes entreprises mondiales. En effet, jusqu’à présent, le fonds norvégien qui était déjà en pointe en matière d’influence sur la gouvernance des entreprises dans lesquelles il était investi, notamment quant à la composition des conseils d’administration, s’était effectivement aussi déjà focalisé sur ces questions mais par le biais de la structure des rémunérations mais pas de leur montant. Le changement d’attitude a plusieurs explications,la première est que les rémunérations des dirigeants en Norvège n’ont rien à voir avec celles de leurs homologues en Grande Bretagne et aux Etats-Unis qui sont un peu la référence pour beaucoup en la matière, parce qu’elles sont significativement plus élevées qu’ailleurs et sont par conséquent beaucoup plus inégalitaires. Loin est le temps où le célèbre banquier d’affaires, J.Pierpont Morgan, déclarait que l’écart de rémunération entre les extrêmes pour une entreprise ne devait pas dépasser 30 pour 1.

Aujourd'hui, il n'est pas rare que les écarts soient 10 fois, même 100 fois plus élevés. D'aucuns parlent alors de goinfreries des dirigeants. Aussi , le fonds norvégien a estimé  que la position de neutralité qui était la sienne sur cette question n'était plus tenable et qu'il en allait de sa responsabilité sonétale, dans les prochains mois, montrer du doigt une ou plusieurs entreprises dont elle s'estime en désaccord quant au montant des rémunérations de leurs dirigeants.

Concrètement, quels peuvent être les leviers d'action des investisseurs et des actionnaires pour "forcer" les dirigeants à voir leur rémunération mieux encadrée ? Une telle auto-régulation, par les forces mêmes des marchés financiers, n'est-elle pas la plus efficace pour éviter les excès ? 

Les leviers d'action des investisseurs et des actionnaires sont le "Say on Pay" aux Assemblées Générales d’actionnaires où des résolutions sont présentées par les Conseils d’Administration, mais peuvent maintenant être proposées à l’initiative des investisseurs et des actionnaires. Il est clair que la puissance du fonds norvégien est sans aucune mesure avec celle de la veuve de Carpentras, puisqu'il représente à lui seul en moyenne 1,3% du capital des 9000 sociétés dans lesquelles il est investi. D'autant que c'est fort probable qu'il a ouvert une brèche dans laquelle vont s’engouffrer d’autres fonds souverains.Les entreprises britanniques seront probablement les premières visées comme ce fut le cas récemment avec le refus à une large majorité des actionnaires d’accorder une augmentation de 20% au patron de British Petroleum ou celle votée à 72% contre les propositions de rémunération de la société d’ingénierie britannique Weir Group. Voter contre les résolutions relatives aux rémunérations des dirigeants est le premier levier d’action dont disposent les investisseurs. Mais le fonds norvégien réfléchit à d’autres formes d’action sous forme d’un "position paper" un peu dans la tradition des rapports de gouvernance émis il y a quelque vingt ans en Angleterre synthétisant les réflexions de la commission ad hoc présidée par Sir Adrian Cadburry quant à la gouvernance des entreprises britanniques (avec son équivalent en France que fut le rapport Vienot). Nul doute qu’un tel « position paper » ne manquerait pas d’avoir une influence très en amont sur les réflexions des comités de rémunérations et de nominations des conseils d’administration des sociétés, et sur leurs recommandations. Une telle auto régulation par les acteurs des marchés est sûrement plus efficace que toute autre forme de régulation, et notamment par l’étendue mondiale et pas seulement nationale de leurs recommandations comme ce serait le cas avec des dispositions législatives ou gouvernementales, de telles recommandations émanant d’acteurs mêmes du marché dont l’autorité morale est plus contestable.

Quels seraient les freins à une telle auto-régulation ? En France, le système des conseils d'administration des grandes entreprises est régulièrement pointé du doigt à ce propos, est-ce justifié ? Existe-t-il des moyens de résistance à ces grands fonds ?

Le fonctionnement du conseil d'administration des entreprises françaises, et la connivence des administrateurs appartenant aux comités des rémunérations et des nominations avec les dirigeants sont critiqués à cet égard, même s'il est de fait que les rémunérations des dirigeants français sont très en deçà de celles de leurs homologues étrangers, bien entendu toutes choses égales par ailleurs. Cette concurrence résulte d'une certaine consanguinité des administrateurs et des dirigeants même si celle-ci s'est fortement atténuée dans un passé récent, et notamment avec la féminisation grandissante des conseils. Mais cette auto régulation est en marche et rien ne pourra l'arrêter sauf à vouloir se couper d'un actionnariat institutionnel certes très puissant mais très professionnel et dont la présence est souvent érigée par les entreprises comme un signal d'excellence. La mondialisation de l'actionnariat avec la présence de grands investisseurs institutionnels « étrangers » est en marche. Elle ne fait d'ailleurs que commencer et rien ne saurait l'arrêter. Et c'est tant mieux car la présence de tels investisseurs est un gage d'efficacité opérationnelle de ces entreprises.

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