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Remettre de la rationalité dans le discours public : la mission impossible de la commission anti-complotisme
©BERTRAND GUAY / POOL / AFP

Travail ardu

Emmanuel Macron confie ce mercredi au sociologue Gérald Bronner la délicate mission de trouver des solutions pour lutter contre le complotisme. En oubliant que l’enjeu premier est celui de la restauration de la crédibilité d’une parole publique abîmée par des années de démagogie, de lâcheté et de mensonges politiques…

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Emmanuel Macron a confié à Gérald Bronner la délicate mission de trouver des solutions pour lutter contre le complotisme. Cette ambition louable est-elle atteignable sans restaurer d’abord et avant tout la parole publique ?

François-Bernard Huyghe : Le macronisme s’est rapidement situé dans le camp du bien, du vrai, du raisonnable, contre les « réacosphères » ou la fachosphère. Il a adopté un courant très présent chez les démocrates américain qui consiste à estimer que nos démocraties sont menacées par trois phénomènes : les fake news, le complotisme et la désinformation.  Alors que nous avons une excellente loi de 1881 qui permet déjà de punir les fausses nouvelles qui pourraient troubler l’ordre public, le macronisme a adopté une loi en 2018 contre les infox et les fake news, pour punir les images truquées, les fausses déclarations, etc. Il a aussi créé Viginum, une cellule de 70 personnes dirigée par le secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale, Stéphane Bouillon, contre la désinformation, les tentatives de déstabilisations par une puissance étrangère. Reste la lutte contre le complotisme. C’est une démarche intellectuelle qui consiste à expliquer les évènements historiques, non par des hasards ou des rapports de force mais par l’action de groupes d’individus tout puissants. Michel Rocard disait « Toujours préférer l'hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot demande un esprit rare ». Je suis assez d’accord avec cette idée. Personnellement, je ne crois pas que le complotisme soit aussi fort qu’on le dit. L’erreur n’est pas de croire qu’il y a des complots mais de les croire tout puissants. L’opposition à ce trio est devenue l’idéologie de base des libéraux progressistes qui se présente comme le parti de la vérité, du pragmatisme et de l’absence d’idéologie. 

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A-t-on justement cessé d’être suffisamment exigent avec la parole dite rationnelle et notamment celle des autorités ? 

Oui. Souvent c’est un peu « celui qui dit qui y est ». J’avais même développé la notion de méta-complotisme. En disant que le Brexit, le referendum catalan ou l’élection de Trump étaient la faute des trolls russes, c’est leur donner beaucoup d’importance. On a trop tendance à revenir à l’idée de la seringue hypodermique en psychologie sociale. Il y a eu une résistance à la parole officielle très importante pendant le Covid, j’ai notamment travaillé dessus pour l’IRIS. Une partie de la population ne croit pas à la parole des élites, des experts, etc. Le complotisme existe mais expliquer l’histoire par ça au détriment d’autres hypothèses me parait une erreur. Le complotisme est devenu un joker idéologique dont il faut se méfier énormément. Ce qui ne m’empêche pas de penser beaucoup de bien de Gérald Bronner et de ses écrits. 

Le courage d’accepter de reconnaitre ses erreurs n’est-il pas le premier pas pour restaurer une certaine confiance dans la parole publique ? 

Absolument. Il est vrai qu’il y a une parole officielle mais il est très facile de rappeler qu’il y a eu des erreurs : les charniers du Kossovo, les armes de destruction massive de Saddam Hussein ou moins dramatique, l’inutilité des masques évoquée par Sibeth Ndiaye. Il y a un problème de crédibilité des « bien-pensants », de ceux qui prennent la parole. Jamais la méfiance n’a été aussi forte. Après le 11 septembre, il y a eu un fort sentiment qui s’est développé que les gouvernements manquaient. Et de fait ils mentent parfois. Il y a une crise générale de l’autorité politique, médiatique et même scientifique depuis le Covid. Et pas seulement chez les populistes d’extrême droite peu éduqués. 

Comment restaurer cette parole publique ? 

Je ne crois pas que multiplier les lois, censurer des comptes sur les réseaux sociaux ou traiter les gens de crétins soit la solution. Cela suscite plutôt l’effet inverse et le sentiment qu’on cache quelque chose. Il faudrait travailler sur l’éducation. On peut se référer à la manière des Grecs face aux sophistes. Le Clemi dans l’Education nationale fait des choses très bien. Former des esprits est la base de la démocratie. Si on pense que seuls les énarques sont suffisamment éduqués pour voter, il faut rétablir le suffrage censitaire. C’est le vieux débat qui opposait déjà Aristote à Platon. Il faut former des gens mais cela prend du temps et de l’effort. La bonne nouvelle, est que celui qui croit une bêtise peut aussi être ridiculisé sur les réseaux sociaux et débunké. Il y a des journalistes qui font du bon fack-checking, mais cela demande du travail. La vérité est quelque chose de couteux. 

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