Relire Stefan Zweig pour comprendre qui déploie aujourd’hui les mêmes stratégies que les fascistes des années 30<!-- --> | Atlantico.fr
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Affiches de l'homme politique italien, militaire et fondateur du fascisme Benito Mussolini dans un magasin de Predappio.
Affiches de l'homme politique italien, militaire et fondateur du fascisme Benito Mussolini dans un magasin de Predappio.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Travail de mémoire

La mémoire des années 1930, « les années noires », occupe une place centrale dans le monde éditorial, dans celui de la recherche historique, dans celui de l’enseignement et des médias.

Frédéric Le Moal

Frédéric Le Moal

Frédéric Le Moal est un historien spécialiste de l'histoire militaire et des relations internationales. Son intérêt se porte notamment sur les Balkans pendant les deux guerres mondiales, sur l'Italie mussolinienne et sur Pie XII.

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Atlantico : Vu la teneur de certains commentaires politiques, a-t-on oublié comment le fascisme s'est installé dans les années 30 ? 

Frédéric Le Moal : La mémoire des années 1930, « les années noires », occupe une place centrale dans le monde éditorial, dans celui de la recherche historique, dans celui de l’enseignement et des médias (il suffit de regarder les chaînes à thématiques historiques pour s’en convaincre). L’historien est donc capable de bien décrire et d’expliquer les mécanismes, sociaux, économiques, politiques et idéologiques, qui ont conduit à la grande catastrophe des fascismes et de la Seconde Guerre mondiale. Le grand public est donc bien informé. Pour autant, sans parler de ceux qui dans les salles de classe contestent cet enseignement et celui de la Shoah, une majorité de la population, sans nul doute, croit que les systèmes politiques de la démocratie libérale sont pérennes, que rien ni personne ne pourrait les renverser. Certes, l’histoire ne se répète jamais, insistons sur ce point. Cela étant dit, il existera toujours des forces subversives qui, insatisfaites du régime considéré comme illégitime, chercheront à le renverser. La tâche, pour ne pas dire le devoir, des autorités publiques est de bien identifier cette menace, de la cibler et de la neutraliser, et de ne pas se tromper d’ennemi. Encore faut-il en avoir la force, voire la volonté. Le régime libéral italien en 1922 et la république de Weimar sont morts sous les coups que chemises noires et brunes lui ont portés. Mais – précision capitale – il s’agissait de systèmes politiques malades, très affaiblis de l’intérieur, incapables de se défendre, parce qu’une partie de leur élite politique était prête soit à passer à autre chose, soit à se soumettre, soit à passer des compromis avec les fascistes, avec l’illusion de pouvoir les contrôler, voire de les adoucir... Cruelle illusion que je crains apercevoir dans les accommodements avec certains courants de l’islamisme. 

Dans les années 30, Stefan Zweig a observé et analysé la montée progressive du fascisme. Selon lui, le succès d'Hitler était dû à la façon dont ses partisans ont utilisé la violence et l'intimidation pour faire taire ses opposants et augmenter le coût de leur réunion et de leur rassemblement public. Est-ce qu'il a théorisé ce qui nous arrive aujourd'hui ? Y a-t-il un danger politique ? 

Soyons clair : ce que Zweig a connu, la montée des fascismes et leur prise du pouvoir, l’installation de régimes totalitaires conduisant à la guerre mondiale, n’existe plus. Le fascisme est mort en 1945, sous les bombes des Alliés et les horreurs inédites qu’il avait engendrées. Certes, l’antifascisme d’opérette de la gauche aime à croire le ventre fécond mais cette fantasmagorie ne résiste pas à l’analyse historique un tant soit peu sérieuse. Par contre, Zweig et d’autres ont analysé avec pertinence la façon dont des groupes minoritaires agissent en dehors du cadre parlementaire et s’emparent du pouvoir par la force subversive de la rue. Le fascisme c’est le principe même de la négation de la médiation parlementaire, de la résolution des conflits dans l’hémicycle. Ni le Rassemblement national ni Reconquête! n’agitent cette menace factieuse, tandis que la police est solidement tenue par le régime républicain. Force est donc de se tourner vers l’extrême gauche qui exploite les effets de la crise identitaire provoquée par le mondialisme. Le danger politique actuel, s’il fallait le définir, réside donc dans la nébuleuse des groupes d’extrême gauche qui s’allie avec les réseaux islamistes, et attendent le bon moment pour régler leurs vieux comptes avec le régime libéral en général, et la Ve République en particulier qu’elle a toujours exécrée.

Comment décririez-vous Stefan Zweig ? 

C’est l’écrivain lucide sur son temps, issu d’un monde dont la disparition l’a laissé inconsolable, le « monde d’hier », celui de la monarchie des Habsbourg, multinationale et unie autour de la fidélité à la Maison impériale. Un monde de haute culture et de raffinement, d’une élite cultivée, imprégnée d’humanité, d’humanisme et d’histoire européenne, d’une société tolérante pour la judéité à laquelle il appartenait. Un esprit européen au sens le plus noble du terme, qui utilise l’histoire pour comprendre son époque et qui ne se remit jamais des horreurs de la Grande Guerre, de la montée du nazisme et de ses violences barbares. Il préféra alors la mort à l’apocalypse.

Quels sont les groupes politiques (ou autres) qui déploient la même stratégie que les fascistes dans les années 30 ? 

C’est du côté de l’extrême gauche qu’il faut se tourner, une nouvelle fois. Elle use de deux moyens déjà utilisés par Mussolini et Hitler : d’une part la comédie parlementaire, en faisant élire des députés qui, ainsi, investissent les rouages de l’Etat et donnent une image démocratique. Les deux chefs fascistes se sont en effet appuyés sur leurs députés élus respectivement en 1921 et en 1932 pour se frotter aux institutions. Mais cette fausse normalisation marchait de concert avec la violence subversive des groupes paramilitaires qui terrorisaient les opposants, quand ce n’était pas dans l’hémicycle lui-même, comme le firent les jeunes députés fascistes italiens ! De nos jours, l’extrême-gauche entretient cette ambivalence avec la violence dans des manifestations, organisée ou excusée. L’histoire de l’extrême-gauche est limpide : il s’agit de favoriser un chaos latent dans la société, une atmosphère de guerre civile, et attendre le bon moment pour s’en prendre à l’Etat. Elle a à sa disposition ses armes traditionnelles : des groupes disciplinés, des militants idéologisés, la violence théorisée et légitimée, des minorités agissantes capables d’intimider les opposants et une caisse de résonnance médiatique qui la juge avec indulgence.

Mais comment se fait le lien avec l’islamisme, mouvement religieux qui n’a guère de points communs avec l’athéisme structurel de l’extrême gauche ? La réponse est simple et se trouve dans la nature de l’islamisme, dès sa naissance en Egypte : un mouvement révolutionnaire qui cherchait à renverser les régimes politiques établis dans le monde musulman, trop laïcs, modernes, occidentalisés, bref, impurs. Cette nature révolutionnaire est clairement apparue avec la révolution iranienne, chantée en 1979 par toute la presse progressiste. C’est autour de la haine de l’Occident libéral auquel Israël appartient que sont scellées les noces islamo-gauchistes. La même qui présida au pacte entre Hitler et Staline en 1939 qui ne se limita pas à un simple accord de non agression. 

Ceux qui n'ont pas vu le fascisme s'installer dans les années 30 sont-ils les mêmes aujourd'hui ? 

J’ai en bien peur, et la liste est longue. Elite politique et médiatique, intellectuels enfermés dans leurs certitudes, hommes politiques à courte vue, sans culture, sans recul, sans perspective, qui croient aux mensonges qu’ils profèrent. Les clairvoyants sont mis de côté, ostracisés, comme le fut Churchill. Mais les peuples ont aussi leur part de responsabilité, ne l’oublions pas. Dans les années 1930, aucun dirigeant politique n’aurait pu se faire élire sur un programme de guerre contre les Etats fascistes tant le pacifisme de l’opinion était profond, quasi structurel. D’où la baisse des budgets militaires jusqu’au milieu de la décennie. Certes, elle fut ensuite enrayée mais si on peut sans difficulté réinjecter de l’argent dans l’armée, il est plus compliqué de sortir un peuple de sa propre torpeur. Toute l’élite de cette époque a vécu la Grande Guerre et en a été marquée. Il est faux de dire que les gouvernements ne voyaient pas le danger du régime hitlérien mais ils usaient d’instruments en réalité inadaptés à la menace qu’il représentait, dont le pire reste la politique de l’appeasement dont on pensait qu’elle désamorcerait les risques de conflit. Oui, les peuples anglais et français réagirent, mais à l’extrême limite du danger, en 1938-1939. Le drame de la France fut de ne pas trouver, dans la guerre, un régime politique et un dirigeant capable de lui donner le souffle nécessaire pour résister. C’est là que se situe le devoir du politique.

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