Réforme de l’ENM : les ambitions à la baisse d’Eric Dupond-Moretti<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Dupond-Moretti
Eric Dupond-Moretti
©LUDOVIC MARIN / AFP

Justice

Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a présenté ce lundi 21 septembre ses idées pour réformer l'Ecole de la magistrature. Il a notamment proposé que l'avocate Nathalie Roret soit nommée à la tête de l'institution.

Atlantico.fr :  En juillet déjà, Eric Dupond-Moreti était revenu du bout des lèvres sur sa volonté affirmée en 2018 de fermer l'Ecole Nationale de la Magistrature. Cette école en l'état est vraiment à bout de souffle?

Hervé Lehman : Tenir des propos débridés au cours d’une émission quand on est un avocat à la mode et définir une politique gouvernementale sont évidemment des choses très différentes. Personne n’a vraiment cru qu’Eric Dupond-Moretti allait, d’un coup de baguette magique, fermer l’Ecole nationale de la magistrature, pas plus d’ailleurs qu’Emmanuel Macron ne supprimera l’ENA avant la fin du quinquennat.

L’ENM n’est pas à bout de souffle. Le recrutement de ses élèves se fait à un haut niveau de sélection, et la formation y est de qualité. Les juges qui en sortent sont bien formés et généralement compétents. 

Le problème est ailleurs. Les magistrats sont formés dans cette école au sortir de la faculté de droit, ils partent ensuite en juridiction où ils restent quarante ans. Ils ne verront jamais ce qu’est une entreprise et resteront dans leur bulle protégée par leur statut. Plus que supprimer l’ENM, il faut plonger les magistrats dans la société réelle. Ils  devraient, avant d’exercer leurs fonctions juridictionnelles, aller travailler un an en entreprise, puis tous les cinq ans retourner une année en entreprise. Ce qu’il faut, c’est ouvrir la magistrature à des personnes qui ont une expérience professionnelle, ce qui se fait déjà en partie, mais aussi plonger les magistrats dans la réalité de la vie professionnelle des citoyens. Les juges rendent la justice « au nom du peuple français », mais ils ne le connaissent pas ; alors qu’ils aillent le rencontrer là où il travaille.

N'est-ce pas surtout un problème profond de culture qui « encaste les jeunes gens dans un moule dont ils ne sortiront jamais » comme le dit le Ministre ?

En effet, le problème est bien celui de l’autarcie. Les juges sont recrutés par des juges, formés par des juges, notés par des juges, dirigés par des juges, promus ou sanctionnés (très rarement) par des juges, jusqu’à la retraite où on les recrute encore comme magistrats temporaires. Il serait extraordinaire que cela ne crée pas une légère sclérose.

Les juges français qui sont la plupart du temps honnêtes, dévoués, compétents, ce qui est  très précieux, souffrent d’une fermeture au monde réel dans lequel ils n’ont jamais évolué. Cela a ainsi de lourdes conséquences sur la lenteur de la justice. Quand on ne se frotte pas à l’évolution comme on la vit dans l’entreprise, on travaille de manière archaïque et inefficace et on n’apprend pas à remettre en cause sa façon de faire. Regardez comme la justice a été démunie pendant le confinement : le télétravail n’a presque pas fonctionné parce que l’informatique judiciaire a cinq ou dix ans de retard sur celle des entreprises.

Un tel chantier pour se réaliser ne doit il pas être pris de front plutôt que par à-coups comme cela semble se dessiner? 

Je ne crois pas du tout qu’Eric Dupond-Moretti, qui était un très grand avocat pénaliste, réformera la justice. Il n’en a pas le temps avant les prochaines élections présidentielles, et le président de la République n’est pas vraiment un grand réformateur.

J’ajoute que ce n’est pas en prenant les magistrats de front qu’on les amènera à se réformer. Nicolas Sarkozy l’a éprouvé quand il a voulu supprimer le juge d’instruction, et il en paie encore les conséquences. Nommer la vice- bâtonnière de Paris directrice de l’ENM, c’est une provocation qui amuse certains avocats pénalistes, de même que  nommer le plus grand avocat pénaliste garde des Sceaux a été ressenti par les magistrats comme une claque, mais ce n’est pas réformer la justice. Que pourra faire la nouvelle directrice, qui ne connait pas les rouages du ministère de la Justice, chapeautée par la Première présidente et le Procureur général de la Cour de cassation, entourée de sous-directeurs et de maitres de conférences tous magistrats ?

Il faut pour réformer ne pas provoquer mais convaincre. Dessiner un projet cohérent, un objectif mobilisateur, et s’y tenir dans le temps. Prendre exemple sur Jean-Michel Blanquer.

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