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Un rassemblement dont les membres ont été désignés comme appartenant à "l'ultra-droite". Paris, 6 mai 2023
Un rassemblement dont les membres ont été désignés comme appartenant à "l'ultra-droite". Paris, 6 mai 2023
©Xose Bouzas/Hans Lucas via AFP

Stratégie

Alors que les médias qualifient ces groupes d’« ultra-droite », la répression à leur encontre par les autorités françaises s’est intensifiée

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun a étudié à l'École Normale Supérieure de Paris. Elle a enseigné la littérature et la civilisation françaises à Harvard et a obtenu un doctorat en Histoire à la Sorbonne. Elle est l'auteur de l'Histoire de l'Autriche (Perrin, 2021).

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Depuis quelques mois, le concept d’« ultra droite » fait fureur parmi les journalistes français, qui semblent avoir trouvé un nouvel ennemi à abattre. Épouvantail destiné à remobiliser une population trop habituée au terme « d’extrême droite », l’« ultra droite » pourrait avoir l’effet inverse de celui escompté : elle pourrait normaliser davantage le discours de la droite nationale.

En France, le terme « extrême droite » (extrême-droite) est traditionnellement utilisé depuis des décennies pour désigner le parti fondé par Jean-Marie Le Pen, du Front National. Pendant longtemps, le principal parti de droite des partis gouvernementaux était le Rassemblement pour la République (RPR), successeur du parti du général de Gaulle, rebaptisé plus tard Union pour un mouvement populaire (UMP) et aujourd'hui Les Républicains (LR). Le Front National était qualifié d'« extrême droite » dans les sondages d'opinion, dans les émissions télévisées électorales, à l'Assemblée, et représenté par une couleur bleu foncé tirant parfois vers le noir. Depuis le président socialiste François Mitterrand, il existe un cordon sanitaire séparant les partis acceptables de « l'extrême droite », avec laquelle aucune alliance n'était possible ni aucun participation politique, que ce soit au niveau local ou national. 

Depuis l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 – véritable traumatisme pour les partis de gauche – beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Jean-Marie Le Pen a cédé la place à sa fille Marine Le Pen, et depuis 2018, le Front National est devenu le Rassemblement National, un terme qui a été choisi pour être plus rassurant.

Les efforts constants et incessants de la présidente du Rassemblement National pour tenter de normaliser la formation politique héritée de son père ont en partie réussi. Même si les dernières élections présidentielles ont prouvé que l'avènement de Le Pen au pouvoir n'est pas encore envisageable, le parti n'est plus relégué à l'extérieur de la sphère publique – une évolution confirmée par l'entrée, en juin 2022, de 88 députés de le Rassemblement National en Assemblée Nationale. La guerre entre Israël et le Hamas a été un tournant, contribuant à blanchir la réputation du Rassemblement National, désormais sans ambiguïté dans le camp des partisans d'Israël, alors que l'extrême gauche continue d'entretenir des relations dangereuses avec l'organisation terroriste palestinienne. 

La « dé-diabolisation » du Rassemblement National – dédiabolisation, pour reprendre le terme officiel dans la presse française – a fait l'objet d'une critique. Un élan significatif avec l'arrivée à droite d'Éric Zemmour et de son parti Reconquête, qui a récupéré des combats et des éléments de langage abandonnés par le Rassemblement National en quête d'acceptabilité. Des expressions telles que le Grand Remplacement et la remigration sont devenues partie intégrante du discours des cadres de la Reconquête, alors que le Rassemblement National hésite désormais pour les utiliser. Certains combats ont été abandonnés, comme la sortie de l'Union européenne ou de l'euro ou l'abolition de la double nationalité. 

Pour les journalistes habitués à condamner ces éléments du programme et à en faire des marqueurs d'acceptabilité, le terme « d'extrême droite » prouve ses limites. Jusqu'à présent, il a été utilisé pour stigmatiser le Rassemblement National et encourager un réflexe pavlovien de rejet chez l'électeur français moyen. Désormais, deux partis partagent le même espace politique, et le nouveau venu est plus radical sur de nombreux sujets que son prédécesseur. Ce que les deux partis ont en commun, c'est qu'ils refusent tous deux d'être décrits comme « d'extrême droite ». Zemmour y voit un vieux stratagème stalinien, comme à l'époque où le Komintern ordonnait que tous ses opposants soient traités de « fascistes ». Marine Le Pen réfute également vigoureusement le terme, qu'elle qualifie de « délibérément péjoratif », et le rejette d’autant plus qu’elle siège désormais à l’Assemblée nationale avec un groupe conséquent de 88 députés situés… à l’extrême droite de l’hémicycle. Elle s’oppose à ce que la position géographique de son groupe au sein de l’hémicycle soit transformée en jugement de valeur. 

Par conséquent, dans le contexte de la campagne présidentielle de 2022, la presse a commencé à se poser des questions. Dans les mois et les semaines précédant le vote, les articles déroutants se sont multipliés. L'hebdomadaire Le Point titrait quelques jours avant le premier tour : « Présidentielle : Marine Le Pen est-elle d'extrême droite ? L'Express a qualifié l'expression « d'extrême droite » de « caillou sémantique » dans la peau du Rassemblement National : une gêne, certes, mais résiduelle. Des experts tels que le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste des mouvements extrémistes, et récemment le philosophe Pierre-Henri Tavoillot s'accordent de plus en plus sur le fait que le terme « extrême-droite » n'est plus approprié pour décrire le parti de Marine Le Pen. 

Mais la politique, comme la nature, a horreur du vide. Alors que le discours officiel commençait à s'édulcorer et à reconnaître l'inadéquation du terme « d'extrême droite » pour définir le Rassemblement National tout en hésitant à l'utiliser systématiquement pour Reconquête, un nouveau terme a peu à peu émergé : celui d'« ultra-droite ». pour dénoncer des groupuscules et des personnalités dont les déclarations sont jugées excessives et qui agissent en dehors des rangs du parti, historiquement identifié comme « l'extrême droite ». L'étiquette vise à inspirer la peur, à rappeler « les heures les plus sombres de la notre histoire », et il ne doit être utilisé qu’avec appréhension. Il n'en demeure pas moins que cette « ultra-droite », devenue objet de fantasme, est une pure construction : ceux qu'elle désigne appartiennent à des mouvements dont l'existence n'est pas nouvelle, même si certains groupes ont pu changer de nom, disparaître, ou réformé.

Yves Deloye, directeur de l'Institut d'études politiques de Bordeaux, reconnaît que l'usage généralisé du terme est récent mais nie que c'est une mode, expliquant qu'elle est utilisée depuis longtemps dans la littérature américaine. Il y voit un effet de la « droitisation de la société ». Ludovic Renard, chercheur dans son institut, fait une subtile distinction :

L'extrême droite fait référence à une idéologie et aux groupes politiques qui soutiennent cette idéologie. L'ultra-droite fait référence aux moyens utilisés, c'est pourquoi la police qualifie d'ultra-droite un groupe de groupes violents et xénophobes. 

D’une certaine manière, l’« extrême droite » est la forme officielle de l’idéologie méprisée, et l’« ultra-droite » en est le bras armé. Mais les représentations associées aux deux expressions ne sont pas les mêmes. Il y a un effet d’accoutumance au terme « extrême droite », tandis que l’expression « ultra-droite » continue de sentir l’enfer et la prohibition.

La multiplication des usages journalistiques du terme « ultra-droite » finit par produire un effet que les commentateurs de l’actualité politique n’avaient sans doute pas identifié à l’avance. En construisant de toutes pièces un nouveau répulsif, ils accréditent définitivement la thèse selon laquelle le Rassemblement National est normalisé et devenu acceptable, voire qu'il est possible de voter pour ce parti – ce qu'ils disent vouloir éviter à tout prix. 

Depuis que l'ultra droite a déferlé dans les colonnes des journaux et sur les écrans de télévision, la répression par les autorités de structures aussi diverses que Génération identitaire, la vénérable Action française ou l'Institut Iliade s'est intensifiée, comme en témoignent les interdictions arbitraires et répétées de réunions et de manifestations qui ont eu lieu ces derniers mois et dont nous nous sommes fait l'écho. Il y a quelques jours, un rassemblement à Paris en hommage à Thomas, victime de la tragédie de Crépol, a été interdit parce qu'il était lié à l'ultradroite, avant que le tribunal administratif de Paris, jugeant la décision illégale, ne l'autorise à nouveau à la dernière minute. La grande presse a alors scruté la manifestation à la loupe pour tenter de déceler les marques d'infamie attachées à cette "ultra-droite" fantasmée. Malheureusement pour les enquêteurs de la police de la pensée, rien de répréhensible n'a pu être identifié, et le rassemblement n'a donné lieu à aucun trouble. 

Plusieurs influenceurs de droite, s'amusant de cette surenchère sémantique, se réclament aujourd'hui de la "giga droite".

Pendant ce temps, ceux qui sont véritablement radicalisés au service de l’islamisme descendent dans la rue, tuant des innocents.

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