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Qui sera le grand maître des idées ? Derrière la guerre Amazon/Hachette, le pouvoir de décider ce que nous pourrons lire (ou pas)
©REUTERS/Rick Wilking

Il ne doit en rester qu'un

Amazon, de par sa stratégie agressive de réinvestissement permanent, est sur le point de monopoliser le marché de l'édition. La variété des publications pourrait être considérablement réduite, au profit uniquement des best-sellers.

Nicolas Gary

Nicolas Gary

Nicolas Gary est directeur de la publication du magazine ActuaLitté. Après un cursus universitaire dans le bordelais et les langues anciennes, il entre dans le webjournalisme, avant de fonder ActuaLitté en février 2008.

Il est Intéressé par le monde de l’Open source et des licences Creative Commons, et tout ce qui permet la démocratisation des savoirs.

 

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Atlantico : Depuis plusieurs mois, Amazon et Hachette se sont engagés dans une guerre quant aux termes du prochain contrat qui devrait les lier. Quel est le poids d'Amazon sur le marché de l'édition et quels sont les risques à laisser Amazon en prendre davantage ? 

Nicolas Gary : On se focalise aujourd’hui sur ce conflit, à raison certes, car le clash est assez violent, mais derrière cela il ne faut pas oublier le procès contre Apple qui s’est déroulé en juillet 2013. Apple a été condamné, et les éditeurs ont préféré payer une amende plutôt que d’aller au procès.

Amazon espère faire payer Hachette plus cher pour que les produits de l'éditeur soient davantage mis en valeur sur le site, c'est ce que l'on appelle "le co-op". Voyant leur marge diminuer, les éditeurs ne risquent-ils pas d'être tentés de prendre moins de risques dans les œuvres qu'ils publieront ? 

Le "co-op", de toute façon, existe simultanément en numérique et en papier. Amazon a effectivement cette volonté de faire remonter les marges, car les actionnaires veulent désormais des bénéfices, et donc mettre fin à un modèle qui consiste uniquement à réinvestir en permanence.

S'agissant des oeuvres de non-fiction, la tendance est globale. En France par exemple elle a baissé de quatre points dans la production et l’achat. Mais des exceptions existent, comme la biographie de Steve Jobs, dont il était assuré qu’elle fasse un carton. Globalement par contre, il est certain que les ouvrages de non-fiction passent de plus en plus souvent à la trappe. Dans le système de co-op et de mise en avant des ouvrages sur les sites ou dans les librairies physiques, les éditeurs n’investissent de toute façon que sur les livres pour lesquels ils disposent d’un budget marketing. Les Presses universitaires ne publient que des essais et des ouvrages de vulgarisation politique, elles auront donc un budget qui y est consacré. Mais Hachette, que ce soit dans les librairies ou en ligne, ne mettra de budget co-op que dans les James Patterson ou les J.K. Rowling.

On considère qu’en France un livre vendu sur dix l’est pas Amazon. On ne peut pas vraiment parler de danger, car, au risque de paraître cynique, on ne peut plus croire qu’il est possible d’empêcher Amazon d’être le numéro un. La seule alternative qui existe et que l’on puisse souhaiter à Hachette et aux autres, ce serait un embargo posé par le groupe Hachette US, Penguin Random House, Harper Collins, Macmillan, et que tous, en bloc, rejouent le coup de l’entente pour lequel ils ont déjà été condamnés, et qu’ils refusent de vendre sur Amazon. Ce serait le dernier coup d’éclat avant la fin, car la justice américaine sanctionnera quand même. Amazon a de toute façon gagné, il n’y a pas d’autre alternative : livraison, service, innovation… dans tous les secteurs de la vente, ils transcendent tout le monde. Sans parler de l’optimisation fiscale, où la aussi ils sont les meilleurs !

Quels sont les inconvénients pour les lecteurs à laisser Amazon prendre un tel poids ?

Quand un acteur est monopolistique, c’est lui qui impose sa loi. En France les libraires indépendants se mettent à aimer ce qu’ils vendent, et non à vendre ce qu’ils aiment, car vendre du Marc Levi ou du Guillaume Musso (avec tout le mérite que j'accorde à ces derniers), c’est ce qui les sauve. Lorsque Amazon décrétera qu’il n’aime plus que Patterson car c’est ce dernier qui se vend le plus, alors il n’y aura plus que du Patterson sur les étals numériques d’Amazon.

Le phénomène de "bestsellerisation", qui est déjà constaté partout dans le monde, va s’accentuer plus encore, le top 10 ne changera plus. Les autres maisons ne sortiront plus les autres auteurs, ce qui donnera lieu à un retour de la petite édition, qui elle, peut trouver un relais dans Amazon. On assistera aussi à une explosion de l’autopublication. Les auteurs vendront en format numérique et en impression à la demande, et devinez qui est le meilleur en la matière : Amazon.

Amazon a monté une quinzaine de maisons d’édition, ce qui signifie que dans quelques mois ou années les auteurs signés chez Amazon seront les plus nombreux. Le patron de Hachette s’est dit peu inquiet dans le Figaro, mais il a parlé un peu vite car en réalité il est pris à la gorge.

Quelles seraient les œuvres les plus affectées ? 

Je pense que les premiers romans seront davantage refusés, les nouveaux auteurs s’autopublieront et se feront redécouvrir par les maisons d’édition en vendant plusieurs milliers de livres numériques. Ceux qui souffriront le plus, ce sont les bouquins "pointus". Il est évident qu’un ouvrage de vulgarisation sur la théorie de la relativité ne passera plus. Quand Hachette rachète Astérix, ce n’est pas pour la beauté de l’art mais parce que "ça vend". Les ouvrages de genre – romance, science-fiction, young adult… – ne subiront pas cette influence. C’est le pouvoir des niches.

Hachette est le groupe français par essence aux Etats-Unis. Et il est le seul éditeur attaqué par Amazon. Le fait qu’il représente la Loi Lang, c’est-à-dire le prix unique, agace Amazon. Ce prix unique est tout à fait mesurable au contrat d’agence passé par Apple, qui consiste à dire que le prix de vente est fixé contractuellement pour les livres numériques. En filigrane, Amazon s’attaque au petit Gaulois. ll aurait pu le faire avec les autres – qui y passeront aussi – mais il a tout de même décidé de commencer par le Français. Et si les autres maisons d’édition américaines ne réagissent pas, c’est parce qu’elles ont peur que la justice américaine les accuse d’entente. Elles se remettent tout de même d’une amende qui leur a coûté 166 millions de dollars...

Le réseau de librairies indépendantes qui existe en France change-t-il tout de même la donne ?

Oui, dans la mesure où ils auront l’exigence de proposer les œuvres qui leur plaisent, mais ils auront tout de même l’impératif de vendre des livres qui plaisent aux Français. Dans n’importe laquelle des librairies, il serait absurde sur le plan économique de ne pas vendre les bestsellers de Musso ou Levi. Ce qui sauve la France, c’est le prix unique, qui empêche les fortes remises et la vente à perte. Amazon essaye de tirer les prix vers le bas au maximum via la gratuité des frais de port, la remise de 5 %. On invente donc en France une loi interdisant la gratuité des frais de port pour rétablir une concurrence qui soit la plus loyale possible. Sauf qu’Amazon a lancé Amazon Prime, qui pour 49 euros permet d’avoir les frais de port gratuits… si on est logique jusqu’au bout, les frais ne sont pas offerts, puisqu’on paye, et la loi française est déjà contournée alors qu’elle n’existe pas encore... Fnac a d’ailleurs créé le même service il y a quelques jours seulement. Amazon a donc gagné, et maintenant il faut se battre pour la gloire, tel Cyrano de Bergerac.

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