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Qui paiera les pots cassés de la guerre fratricide entre Manuel Valls et Emmanuel Macron ?
©Capture d'écran Dailymotion

Avis à ceux qui jettent de l’huile sur le feu

Les propos moqueurs de Luc Carvounas, sénateur PS proche de Manuel Valls, à l'encontre d'Emmanuel Macron viennent jeter un nouveau pavé dans la mare entre le Premier ministre et le ministre de l'Economie. Une rivalité de plus en plus prégnante tolérée par François Hollande, à ses risques et périls.

Jean-Jérôme Bertolus

Jean-Jérôme Bertolus

Jean-Jérôme Bertolus est un journaliste politique français. Spécialiste des questions de l'Elysée et du Gouvernement pour i-Télé, il a déjà publié divers ouvrages dont Tir à vue: La folle histoire des présidentielles, avec Frédérique Bredin, aux édtions Fayard, 2011 (disponible ici). 

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Atlantico : Ce jeudi, le sénateur Luc Carvounas, proche de Manuel Valls, a adressé plusieurs piques à Emmanuel Macron et son mouvement "En marche !", sur fond de polémique sur le patrimoine du ministre de l'Economie, notamment en déclarant : "Je veux bien qu'il soit 'en marche'. Déjà, il va être en marche pour aller payer ses impôts, si j'ai bien compris". La rivalité entre Manuel Valls et Emmanuel Macron est-elle en train de franchir un nouveau cap ? Jusqu'où cet affrontement peut-il réellement aller ?

Jean-Jérôme Bertolus : Cette rivalité est un processus dynamique. Tant que l'un et l'autre joueront leur partition, elle ne s'arrêtera pas. Il est donc normal qu'elle franchisse un nouveau cap. Je parlerais même de nouvelle étape, plutôt que de nouveau cap, car il n'y a pas de changement de ligne. C'est juste une étape supplémentaire.

A l'origine, Manuel Valls a suggéré Emmanuel Macron au président de la République, donc il peut avoir le sentiment de s'être fait avoir. Par ailleurs, lors de sa nomination et de son échange avec le président de la République, Emmanuel Macron a imposé sa liberté (à la fois en terme de marge de manœuvre pour ses réformes et à la fois parce qu'il demande au Président un peu de temps pour réfléchir). La rivalité n'a pas cessé depuis que Macron a obtenu cette liberté.

Par rapport à ses impôts, Emmanuel Macron y voit une manœuvre politique. Peut-être, mais on peut remarquer que trois ans pour se mettre à jour est un laps de temps assez conséquent, plus long que la plupart des contribuables et que certains politiques. Le fait que cela sorte maintenant relève peut-être de la manœuvre, mais on peut se demander s'il n'a pas, à l'inverse, bénéficié d'une forme de clémence.

Je ne sais pas si c'est un règlement de comptes, et s'il vient de Matignon ou d'ailleurs, mais il est clair que ça ne va pas cesser. Les impôts d'Emmanuel Macron seront un feuilleton. Ce sera en tout cas son baptême du feu en tant qu'homme politique, lui qui se revendique comme une personnalité originale ne suivant pas le cursus politique traditionnel. C'est une étape initiatique pour lui. Par ailleurs, sa défense – il refuse de s'expliquer sur la provenance et la finalité de son prêt personnel de 550 000 euros – va alimenter le feuilleton. Alors qu'il se veut moderne et que la modernité est aujourd'hui synonyme de transparence, ce sera compliqué à gérer pour lui.

Luc Carvounas tape donc effectivement là où ça fait mal.

Dans quelle mesure cette rivalité interne au gouvernement sert-elle les intérêts de François Hollande ? A l'inverse, par quels aspects dessert-elle le président de la République ?

D'une part, cette rivalité l'a d'abord servi pour contenir Manuel Valls et lui faire passer le message subliminal selon lequel il serait vite remplacé s'il avait des velléités de quitter le gouvernement.

Elle le sert aussi car il a toujours laissé les initiatives se développer pour voir comment elles se déroulaient et pour se placer au centre du jeu.

Troisièmement, cela lui permet aussi de toucher une cible – la droite du PS, les centristes sociaux, etc. – qui lui permet de ratisser large.

Une fois cela dit, on constate effectivement que cette rivalité peut le desservir. Ces deux hommes ont des ambitions personnelles qui les poussent tous les deux à s'affirmer d'une façon de plus en plus évidente et donc mettre à mal son autorité de président de la République. On sait que "laisser faire les choses" est la façon d'agir de François Hollande, mais il y a un moment où cela apparaît comme du laisser-faire. Un président de la République s'incarne aussi dans son autorité. Ce quinquennat a été trop souvent pris en défaut, au moins au niveau des ministres.

Il y a deux ou trois semaines, Manuel Valls a fait directement appel au président de la République en déclarant qu'Emmanuel Macron n'était pas son problème mais celui du Président. Manifestement, François Hollande évite puisque dans l'interview accordée ce lundi à Sud Ouest, il a parlé d'une ligne rouge vis-à-vis d'Emmanuel Macron. Or, cette phrase a été supprimée à la relecture du papier. On voit donc bien que le Président ne force pas son naturel vis-à-vis de Macron, même s'il dit régulièrement à ses interlocuteurs qu'il a été trop clément avec lui.

Il laisse cette rivalité franchir de nouvelles étapes, ce qui finira par poser un problème. Il y a quelques mois, on s'interrogeait sur la capacité du Président à être candidat. "La France va mieux" a été sa réponse. Maintenant, certains estiment clairement que Manuel Valls et Emmanuel Macron sont dans une stratégie d'impeachment. Si le Président laisse ses deux ministres dans cette compétition rude, cette petite musique va réapparaître parce que son impuissance à ramener le calme dans ses troupes sera de plus en plus manifeste alors même qu'il chute dans les sondages. Viendra donc un mouvement où l'on s'interrogera de nouveau sur la capacité du Président à être candidat.

Alors que Manuel Valls et Emmanuel Macron apparaissent tous deux comme des alternatives, peut-on imaginer voir l'un ou l'autre, ou les deux, quitter le gouvernement avant la présidentielle de l'an prochain ? En quoi leur agenda peut-il être différent ?

La question s'est posée pour Manuel Valls ces derniers jours. Quand on analyse la crise sociale actuelle comme il le fait, avec selon lui une crise politique devant conduire à un assainissement politique, avec d'un côté les "bons" réformateurs et les "méchants" jusqu'au-boutistes, on joue ses responsabilités sur cette crise. Aujourd'hui, on semble se diriger vers une sortie de crise, mais ces derniers jours ont été sensibles autour de la loi El Khomri et de la crise sociale, avec notamment des "hollandais" qui reprochaient au Premier ministre la situation sociale du pays actuellement.

J'ai le sentiment que si Manuel Valls n'avait pas reçu l'assurance de François Hollande contre ces mêmes "hollandais", il serait parti. Ce n'est pas une information à proprement parler que je donne, mais je pense qu'il y a eu un moment extrêmement sensible.

Pour ce qui est d'Emmanuel Macron, c'est vraiment l'homme qui joue tous les tableaux à la roulette : rouge, noir, pair et impair. Il va continuer. Il a le syndrome du jeune politique à la mode (il y en a eu d'autres au cours de la Ve République), et cela va continuer malgré la douche froide de l'ISF. Il attend de voir ce qu'il va se passer. Il attend de voir si son épanouïssement politique personnel deviendra de plus en plus problématique pour François Hollande. Il essayera de voir si François Hollande devra nécessairement faire un ticket avec lui pour la présidentielle, à la manière de Michel Rocard et François Mitterrand. Il sera également dans l'attente par rapport aux législatives et au fait que si François Hollande repasse, il y a de grandes chances qu'il n'ait pas de majorité au Parlement.

Il continuera, et s'il doit quitter le gouvernement il le quittera. Je pense que c'est un homme relativement libre et moderne. Même s'il a tous les marqueurs de la vieille haute fonction publique (inspection des finances, banque Rothschild, etc.), il a une vie personnelle et un parcours qui montrent qu'il est libre. Il ne fera pas une carriere politique orthodoxe. S'il se dit à un moment donné qu'il doit quitter le gouvernement pour vivre son aventure, il franchira le pas. Surtout que pour lui, tout se joue en 2017.

Ce n'est pas forcément le cas pour Manuel Valls. Même si certains proches le poussent à quitter le gouvernement et estiment qu'il a été humilié par le dernier remaniement et par la manière dont Hollande le qualifie parfois en privé de "bon soldat", je ne suis pas certain qu'il envisage sérieusement sa candidature pour 2017.

La seule chose qui puisse vraiment l'interpeller, c'est sa dégringolade dans les sondages avec François Hollande. On pourrait penser qu'il ne serait pas forcément comptable du bilan du quinquennat, mais manifestement les Français l'associent au Président. C'est un élément qui peut le pousser à partir. Mais sinon, son calendrier n'est pas nécessairement le même que celui de Macron.

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