Qui a vraiment fait plier Apple en Chine ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Le PDG d'Apple a écrit une lettre dans laquelle il s'excuse de ne pas traiter les clients chinois de l'iPhone de la même manière que ses autres clients.
Le PDG d'Apple a écrit une lettre dans laquelle il s'excuse de ne pas traiter les clients chinois de l'iPhone de la même manière que ses autres clients.
©Reuters

Bras de fer

Tim Cook, le PDG d'Apple, a écrit une lettre publique dans laquelle il s'excuse de ne pas traiter les clients chinois de l'iPhone de la même manière que ses autres clients.

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot

Jean-Joseph Boillot est agrégé de sciences économiques et sociales et Docteur en économie.

Il est spécialisé depuis les années 1980 sur l'Inde et l'Asie émergente et a été conseiller au ministère des Finances sur la plupart des grandes régions émergentes dans les années 1990. Il est aujourd'hui chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et coprésident du Euro-India Group (EIEBG).

Son dernier livre :  "Utopies made in monde, le sage et l'économiste" paru chez Odile Jacob en Avril 2021.  
Il est également l'auteur de "L'Inde ancienne au chevet de nos politiques. L'art de la gouvernance selon l'Arthashâstra", Editions du Félin, 2017.   et de "Chindiafrique : la Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain" paru chez Odile Jacob en Janvier 2013.

Voir la bio »

Atlantico : Suite au bras de fer entre Pékin et Apple, qui a fait les frais de la colère de la presse chinoise, la marque à la pomme a publié ses excuses en chinois sur son site mardi matin. Qu’est ce qui explique principalement cet abandon d’Apple pourtant connu pour son inflexibilité ?

Jean-Joseph Boillot : Globalement, dans le domaine de la téléphonie mais aussi des ordinateurs, le monde a basculé. L’ère du retour triomphant d’Apple se termine. Il ne s’agit pas là d’un facteur "Chine" mais d’abord d'un facteur "pays émergent". C’est-à-dire que sur le véritable monde qui tire aujourd’hui la technologie, ces fameux pays émergents, la norme Apple ne s’est imposée qu’à une petite partie de la population : les gens riches et des classes moyennes supérieuresSi on prend le cas de l’Inde ou de l’Afrique, respectivement 700 millions et 950 miliions d'utilisateurs de téléphones portables, avec une croissance de 30% par an pour l'Afrique par exemple, Apple n’est pas du tout la norme. Il n’est pas du tout notamment sur le fameux segment de marché BOP, "Base of pyramid" c’est-à-dire la base de la société, celle qui n’a que quelques dollars par jour mais qui s’équipe de cette technologie.

Prenons le cas de l'Inde, Apple a une bonne réputation bien sûr, mais Samsung fait le tiers du  marché, suivi par Nokia et BlackBerry fait son retour. Pendant ce temps, Apple ne fait que quelques pour cents à cause de son système fermé et du prix très élevé de son hardware comme de son software. Ces marchés du bas de la pyramide sont beaucoup plus réceptifs au système ouvert d’Androïd. En Afrique, le pouvoir d’achat encore plus bas fait encore plus de mal à Apple et donne la part belle, hors fabricants locaux, au trio évoqué précédemment: Samsung, Nokia et BlackBerry.

Le marché des tablettes est également un bon exemple de la fin de partie pour Apple, au moins dans le monde émergent (même si Samsung a pris le leadership en Angleterre l'an dernier). L’iPad a été un immense succès mondial, mais avec ses 400 dollars minimum sur les marchés émergents, il n’est pas de taille à lutter contre la tablette Samsung deux fois moins chère et surtout contre celles assemblées sur place pour environ 50 dollars. La stratégie d’Apple est donc complètement décalée par rapport au coeur du marché de ces pays qui finalement est aussi celle des pays développés qui voient les classes moyennes se réduire de jour en jour. Tant qu’Apple ne redéfinit pas un nouveau business model, la marque à la pomme sera éternellement limitée aux classes sophistiquées minoritaires. C'est un peu le choix cornélien entre BMW et Toyota.

Au-delà de cette logique globale, dans quelle mesure le rapport entre Apple et la Chine a-t-il influencé cette décision de s’excuser ?

La Chine est le seul marché "émergent " où Apple ait vraiment pris pied. Il est souvent dit qu’Apple est allé fabriquer ses produits chez Foxcon pour des raisons financières mais ce n'est qu'en partie vrai. Il y a un an, la direction d’Apple a d'ailleurs annoncé qu’elle allait rapatrier une partie de la production d’ordinateurs aux Etats-Unis. Grâce aux lignes entièrement automatisées, c'est en réalité aussi intéressant financièrement qu’en Chine, et moins risqué. C’est ce que l’on appelle la relocalisation du made in China qu'on observe de plus en plus, notamment pour les produits assez sophistiqués. Le fait est que si Apple produisait autant en Chine,  c’était aussi largement en raison de l’engouement du marché chinois pour ses produits, et du reste partout en Asie, à l’exception du Japon dont les producteurs locaux tiennent bien  le marché. Cela vaut la peine de réfléchir au pourquoi.

En effet, les producteurs chinois sont capables de faire des téléphones low cost mais pas des smartphone élaborés comme ceux d'Apple ou de Samsung. Or le niveau de technologie moyen des téléphones des Chinois est parmi le plus sophistiqué du monde car le consommateur chinois moyen -des centaines de millions de jeunes- y accordent une très grande importance et y consacre donc une part très importante de leur revenu. Ce n’est plus un marché émergent dans ce domaine, il est devenu mature. Officiellement, c’est le deuxième marché mondial pour Apple mais j’ai tendance à penser que c’est en réalité le premier et Apple y a consacré beaucoup d'efforts ces dernières années. Et c'est ainsi que Apple a bénéficié d’une nette avance technologique pendant quelques années, et donc d'une situation de quasi monopole. Et voilà que cela se retourne contre lui. D'abord parce que les consommateurs chinois n'ont pas beaucoup aimé les conditions léonines que leur imposait la marque à la pomme, comme à propos des garanties qu'Apple n'aurait jamais osé imposer sur un marché développé. Ensuite, parce que la Chine souhaite remonter en gamme et ne pas dépendre d’un unique fournisseur. Pour les ordinateurs, elle a ainsi racheté la  branche d’IBM qui est devenu Lenovo, premier fournisseur désormais sur le marché chinois, et qui tente de s'imposer leader mondial. Pour les téléphones c’est différent car c'est plus difficile à miniaturiser. Les technologies comme celles des écrans et des processeurs sont beaucoup plus pointues. La Chine souhaite donc rentrer rapidement sur ce marché et elle a profité d'un moment de faiblesse mondiale d’Apple pour lui faire comprendre qu’il doit désormais compter avec elle. Par exemple, transférer plus de technologie, ou encore être moins regardant sur la copie par des fabricants locaux. C’est "l’art de la guerre" chinois: gagner les batailles sans les livrer.

Cette affaire peut-elle permettre à d’autres pays, ou d’autres marchés, de mettre Apple à genoux et à le contraindre à certains transferts de technologie ?

Dans le cas chinois, il y avait véritablement un abus de position. Les consommateurs étaient très mal traités sous prétexte de vendre des produits fabriqués en Chine qui étaient pourtant aussi cher, voire plus qu’aux Etats-Unis.Le parti communiste chinois a alors repris à son compte le ressentiment des consommateurs par le biais du ministère des Affaires étrangères, puis de l’organe de presse officiel qui a fait un éditorial sanglant à propos de "l’arrogance" d’Apple. Pour autant, si la Chine a réussi à inverser le rapport de force, ce n’est pas le cas ailleurs et d'abord parce que Apple est nulle part en position de force et que peu de pays souhaitent remonter en gamme sur la production de smartphones. Si je reprends les exemples de l’Inde et de l’Afrique, Apple se fait battre à plate couture par Samsung et ne se permet donc pas des contrats léonins. 

Qu’en est-il de l’effet du "marketing Apple" sur les Chinois dans cette négociation ? 

Les pays émergents sont bien souvent mis dans un même sac sur le plan du marketing. Il s’agit là d’une erreur qui traduit une grande méconnaissance de ces marchés. Chacun a des traits culturels très particuliers et il faut donc décliner son produit et sa communication de façon très fine. Sur le marché chinois par exemple, on observe une grande mutation du consommateur. Il est jeune mais de plus en plus trentenaire désormais, et il devient donc de plus en plus sophistiqué dans ses goûts et ses choix. Lorsque l’Apple Store de Shanghai a ouvert il y a un an, il a fait l’objet de plus d'un soin encore plus important que lors de l'ouverture de celui de New York.

Pendant plus d’un mois, il y a eu toute une théâtralisation de cette ouverture entourée de secret. C’est une grande leçon pour tous les produits que nous exportons en Chine, pas seulement Apple, mais aussi les grandes marques de luxe françaises, nos vins etc. Elles doivent savoir qu’elles arrivent sur un marché de plus en plus sophistiqué et exigeant, et de plus en plus développé en termes de droit du consommateur. On se rapproche à grand pas de la sophistication du marché coréen ou japonais et sur un volume gigantesque. Il faut donc arrêter de sous-estimer le marché chinois, sans quoi tout le monde s’expose à ce genre d’événements contre Apple.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !