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Que deviendrait Samsung sans Apple ?
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Frères ennemis

En 2012, Samsung domine Apple sur le marché des smartphones, avec 30 % de part de marché mondiale contre 19 % pour Apple. L'un des vices-présidents de Samsung a récemment déclaré qu'il "tirait la majorité de ses idées du marché".

Gilles  Dounès

Gilles Dounès

Gilles Dounès a été directeur de la Rédaction du site MacPlus.net  jusqu’en mars 2015. Il intervient à présent régulièrement sur iWeek,  l'émission consacrée à l’écosystème Apple sur OUATCHtv  la chaîne TV dédiée à la High-Tech et aux Loisirs.

Il est le co-auteur avec Marc Geoffroy d’iPod Backstage, les coulisses d’un succès mondial, paru en 2005 aux Editions Dunod.

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Atlantico : Apple et Microsoft ont passé en août 2012 un pacte "d’anticlonage" bilatéral de leurs produits. Samsung a l’a refusé. N’est-ce pas là un aveu de la part de l’entreprise sud-coréenne ? Samsung n’est-elle pas davantage une entreprise de suivi des tendances plus que d’innovation ? 

 Gilles Dounès : Oui, ils revendiquent même l’appellation qu’on leur a donné de «suiveur rapide». Ils regardent le comportement du marché et du produit en essayant de coller le plus vite possible à la tendance, contrairement à Apple qui essaie d’innover, de proposer une contribution significative y compris en prenant la tendance à contre-courant. 

Samsung dépasse maintenant  largement Apple dans la vente de smartphones, avec 30, 3 % de part de marché contre 19,1 % pour Apple en 2012.  La stratégie d'Apple de ne se concentrer que sur quelques produits au lieu de diversifier ses modèles comme Samsung n’est-elle pas la raison de sa perte d’influence ? 

 Samsung est bien le premier vendeur en volume, avec une vingtaine de modèles de smartphone, contre 3 modèles d’ iPhone avec des capacités de stockage différente. Mais il faut différencier vendeur en volume et vendeur en valeur. Ce sont deux approches différentes : les consommateurs Samsung sont attirés par le prix, et le renouvellement très rapide des gammes, tandis qu’Apple s’adresse aux consommateurs avec une relation pérenne, de confiance. Apple a crée un marché avec un véritable système d’exploitation en 2008 qu’elle n’arrivait plus à satisfaire entièrement, la vague a grossi plus vite que ses capacités de production. Samsung, lui, en tant que principal fournisseur de composants d' Apple en plus de sa propre activité de manufacturier avait les capacités de production de satisfaire la demande, en copiant le design de l’iPhone à partir de 2010 avec le Galaxy. La différenciation perçue n’était plus assez différente, Samsung baissant ses prix très vite après avoir proposé des prix premium, il s’adressait à une partie plus large de la population. Samsung avait aussi un rapport plus souple aux opérateurs, alors qu’Apple prétendait redéfinir la façon de travailler des opérateurs. 

 Les géants de l’électronique, Samsung et Apple en tête, déposent à chaque sortie de modèle de nouveaux brevets afin de se protéger contre l’imitation. La guerre des brevets n’est-elle pas à l'origine du manque d'innovation ? 

 Il y a un équilibre à trouver entre les deux, le brevet n’est pas une bonne ou une mauvaise chose, c’est la façon dont les instances régulatrices les appliquent. En 2011, il y a eu une redéfinition des règles d’attribution des brevets aux Etats-Unis, afin de limiter l’apparition de «patent-trolls», qui sont des compagnies qui déposent des brevets sur des idées très générales afin d’obtenir des redevances des entreprises qui vont l’utiliser, alors que la valeur ajoutée par le premier brevet des «patent-trolls» était quasi nulle. Il faut maintenant revoir les brevets déjà déposés à la lumière de ces nouvelles règles. Les brevets permettent d'inciter les gens (ou les sociétés) à investir de l'énergie du temps et de l'argent à chercher des solutions originales parce qu'ils savent qu'ils pourront tirer une rétribution de leurs efforts. Il y a en gros deux types de brevets : les brevets qui portent sur la différenciation par rapport à la concurrence, notamment sur le design ou une solution originale, et  ceux qui portent sur l'amélioration d'une norme industrielle commune. C'est le cas en particulier de tout ce qu'on appelle les brevets FRAND, qui sont mis au pot commun d'un standard technologique comme par exemple la 3G, la LTE ou le Wifi, pour favoriser la cohérence des équipements entre eux. Normalement, ces deux types de brevets font l'objet d'un accord de licence entre les différents compétiteurs, le détenteur du brevet s'arrangeant pour conserver une longueur d'avance. Or c'est ce que Samsung a constamment refusé de faire et qui a conduit Apple, qui d'ordinaire est très réticent à attaquer en justice, à aller jusqu'au procès... Ceci étant aggravé par le fait que Samsung était jusque-là un partenaire de confiance, à qui Apple confiait la fabrication de ses processeurs, conçus à Cupertino ou dans son campus d'Austin, au Texas. Samsung a même contre-attaqué en poursuivant Apple pour contrefaçon sur des brevets FRAND, ce qui ne se fait jamais, avant de faire machine arrière. 

Selon James Allworth, chercheur à Harvard, les géants de l’électronique n’ont jamais été si innovants que depuis le début des procès pour contrefaçon. L’imitation n’est-elle finalement pas une condition nécessaire à l’innovation ? 

 C’est à double tranchant : elle peut être source de stimulation si force à se différencier. Mais si les innovateurs ne tirent pas profit de leurs recherches, ils n’auront aucun intérêt à innover. L’imitation peut encourager l’innovation, mais jusqu’à un certain point., où celui qui cravache pour se différencier risque au bout de s'épuiser : La copie de la concurrence a donc des conséquences, elle peut paradoxalement peser sur l’innovation. Et on ne peut pas se laisser porter par le courant. La raison d'être du brevet, c'est d'une part la rétribution des premiers d'avoir trouvé une solution originale, soit en leur ménageant une période d'exclusivité, soit en leur permettant de négocier des royalties, et d'autre part obliger les concurrents à explorer d'autres voies plutôt que de s'engager sur des chemins déjà balisés. Mais ce type de rupture peut se faire à l'intérieur d'une même entreprise. C’était le génie d’Apple d’avoir su abandonner le disque dur pour passer à la mémoire flash avec l’iPod Nano. Les innovations sont faites de ce genre de rupture, or ce n’est pas le marché qui le dicte. Si on se trouve dans la banalisation, on est plus dans l’avance : c’est un risque que prend Samsung avec ce genre de stratégie.

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