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Les coulisses du débat entre les candidats Les Républicains à l'élection présidentielle française, le 30 novembre 2021.
Les coulisses du débat entre les candidats Les Républicains à l'élection présidentielle française, le 30 novembre 2021.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Plusieurs pistes

Désormais, on connaît les principaux candidats à la Présidentielle française : Hidalgo, Jadot, Le Pen, Macron, Mélenchon, Pécresse, Zemmour, par ordre alphabétique bien sûr. Quels sont les deux qui vont gagner au premier round, est la question du moment. Pour y répondre, quatre voies se présentent

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Un la voie des sondages : elle est classique, mais de plus en plus décevante. Elle s’avère tortueuse, au risque d’erreurs d’itinéraire graves et désormais fréquentes. Normalement, il s’agit de prévoir les deux candidats les mieux classés dans les enquêtes, de faire jouer les comptabilités ou les incompatibilités des enquêtés entre les concurrents. Compatibilités : c’est simple, il s’agit de classer les préférences. Incompatibilités, c’est plus compliqué. C’est le jeu de ceux qui veulent que « l’autre » échoue, jeu marginal pourrait-on dire, mais qui peut faire basculer la balance, en tout cas qui entretient la confusion. On l’a compris : analyser les sondages est difficile, sachant que les réponses mêlent toujours choix directs : « je préfère X » à des choix stratégiques, comme : « je vais dire que je préfère Y pour qu’il monte et que ‘les autres’ l’attaquent, ce qui fera monter X ! ». 

Ceci sans oublier les influences médiatiques, de plus en plus présentes, qui mettent en avant les présentations clivantes, celles qui ont le grand mérite de faire de l’audience. On l’a sans doute vu avec Eric Zemmour, poussé un temps avant d’être laissé, son maximum d’attrait ayant (peut-être) été atteint. C’est pourquoi la voie des sondages est à la fois la plus présente et la moins sûre, le dernier résultat de la Primaire des Républicains en étant la meilleure preuve : ni Xavier Bertrand, ni Michel Barnier n’ont été aux premières places, alors qu’on leur promettait. Donc, première voie sondagière : attention aux simplifications, aux évidences et aux manipulations ! Macron à 23%, Le Pen à 15, Zemmour à 14%, Pécresse à combien : 20% le 7 décembre ! Le nouveau match médiatico-sondagier sera-t-il celui de la remontada de Pécresse au-delà de Le Pen ? C’est bien ce qui semble se passer et… Zemmour ? Que feront alors les gauches, assistera-t-on à une autre remontada : celle de Mélenchon (8%) par rapport à Jadot (7%), Hidalgo étant estimée à 3%, illustration d’un France très bipolarisée ? Rien n’est donc fait.

Deux, la voie politique, autrefois royale, devient plus compliquée et non chiffrable, dans l’archipel français actuel. Les études s’empilent sur l’émiettement économico-social du pays, en même temps qu’on entend qu’il tourne de plus en plus à droite. Pour autant, le temps n’est plus de « la » fracture sociale de Jacques Chirac en 1995 : loin de s’être réduite, elle s’est multipliée et diversifiée. Toutes les questions arrivent alors : permanentes sur le pouvoir d’achat, les retraites et l’emploi, récentes avec l’euro et l’Europe, plus les récentes sur l’écologie, le nucléaire, la biodiversité, sans compter maintenant metoo, transexualité, woke, tout un ensemble de sujets que l’on pourrait juger plus sociétaux que politiques, et qui s’inscrivent partout. Plus complexes encore, d’autres mouvements se répandent, sans source ou affectation politique claire comme les gilets jaunes, sans oublier le vieillissement, l’islamisme, l’immigration, le virus, les hackeurs, les cryptomonnaies ou les GAFAM (aujourd’hui : AAMAM, Alphabet ex Google, Apple, Meta ex Facebook, Amazon, Microsoft). 

Tout se mélange et rien n’est automatique : il n’y a plus de « vote ouvrier » ou de « vote paysan », sachant en outre que ces deux catégories sociales ne représentent plus guère que quelques pourcents de la population. Donc attention : les revendications sont multiples et hétérogènes. Aucune ne l’emporte politiquement assez pour éclipser les autres, sans compter les détestations qu’il est difficile de mesurer. Moralité : l’analyse politique ne donne plus de résultat certain, non parce que elle est la preuve de la liberté des choix des électeurs, mais parce qu’elle traduit leur incertitude. 

Trois, la voie économique ne parle que des principaux choix des candidats classiques qui se prêtent au jeu, ayant les pires difficultés avec ceux qui se veulent « en rupture ». Combien ça coûte, combien ça rapporte : de multiples experts vont nourrir leurs programmes informatiques des propositions chiffrées des candidats, dans la mesure où ce sera possible (d’ores et déjà, Eric Zemmour semble difficile à « chiffrer », l’écologie et les extrêmes seront également complexes à intégrer). Nous aurons alors, autant que possible, les fiscalités comparées, les revenus par niveaux, l’emploi, l’inflation, la croissance et le déficit budgétaire à attendre du quinquennat, selon les divers projets et par rapport à une hypothétique « tendance ». 

Mais les débats chiffrés sur les programmes, qui furent très en vogue dans les années 1980 sont aujourd’hui très datés. Outre les querelles d’experts qu’ils suscitent, les préférences sont de plus en plus nettement différenciées : le PIB n’emporte plus l’adhésion. Le vert ou les limitations de l’immigration gagnent, sans qu’on en mesure les effets. Le vert est-il inflationniste, mauvais pour l’emploi alors qu’il s’inscrit normalement dans la longue durée ? Les encadrements de l’immigration sont-ils compatibles avec la croissance et l’allure de la démographie à moyen terme ? Il y a l’emploi certes, mais de plus en plus d’autoentrepreneurs et de télétravailleurs à temps partiel : comment l’intégrer et le soutenir ? La croissance pollue et abime les paysages, la sobriété et le recyclage semblent respecter la nature, mais que devient l’emploi ? Auto ou vélo ? Nucléaire ou gaz importé plus éoliennes ?  Le profit ou les Engagements socialement responsables et les Entreprises à mission ? Bref, l’archipel français a, aussi, fracturé une lecture univoque de l’économie au-delà du PIB, de l’emploi et de la dette publique : ils sont moins discriminants qu’avant. Les candidats « sérieux » seront-ils mieux vus, s’ils ne veulent pas « cramer la caisse » ? Les candidats de rupture pourront-ils échapper aux comptes ? La bourse, les marchés financiers, les patrons et les syndicats vont-ils parler d’énergie et d’écologie, et peser ?

Quatrième, la voie géopolitique est la plus importante et la plus difficile, donc la moins empruntée de toutes, jusqu’à présent du moins. De fait, elle demande de « donner » beaucoup avant, pour « rendre » plus tard. Renforcer la société française est le souhait majoritaire, qui va sans aucun doute avec l’idée de renforcer l’économie, donc l’emploi, dans un contexte européen à renforcer aussi – mais sans trop le dire. Les rapports en France et Europe, avec l’Allemagne et Italie sont cruciaux dans cette dynamique où la France est actuellement, avec le Royaume-Uni, 5éme-6ème PIB du monde, et dans dix ans ? La zone euro est le 3ème PIB du monde, et dans vingt ans ? Comment renforcer la France, sans en même temps renforcer l’Europe ? Comment peser par rapport à la Russie par rapport à l’Ukraine ? Et la Chine ? En même temps, la démographie européenne s’approche de son point haut, alors que l’Afrique est le seul réservoir démographique du monde, à cinquante kilomètres de nos côtes. Comment renforcer la France et l’Europe sans des accords qui développeraient l’Afrique ? 

Enfin, ce monde devient plus illibéral. 70% de la population mondiale vit dans des pays qui ne sont pas des démocraties, ou bien où elle régresse, dont les États-Unis, contre 9% seulement qui vivent dans des démocraties de « hautes performances » selonl’étude « The Global State of Democracy 2021 ». Une étude publiée le 22 novembre 2021, juste avant la réunion des 9 et 10 décembre 2021, où le Président Biden organise un colloque (virtuel) des leaders publics et privés de 100 pays du monde pour parler des menaces contre la démocratie. Et comment traiter ce sujet sans parler de renforcer l’armée française, sans nouer des liens avec celles d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne, sans créer un début de force européenne, pour peser plus, avec l’Otan, par rapport à la Russie, à la Turquie, à l’Iran et à la Chine, sachant que la parapluie américain est moins sûr qu’avant. 

Mais on comprend que demander de travailler plus et plus longtemps pour être plus puissant, avec des alliances avec l’Afrique, peut avoir moins d’attrait que l’inverse. Il demeure que la seule politique française qui tient doit être géopolitique, si elle entend rester française.



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