4 ans après la crise : l'Allemagne, nouvel homme über-fort de l'Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Allemagne : nouveau numéro de téléphone diplomatique de l'Union européenne ?
L'Allemagne : nouveau numéro de téléphone diplomatique de l'Union européenne ?
©Reuters

Gott bless the Queen

Quatre ans après les débuts de la crise, retour sur ses conséquences en Europe. Cinquième épisode : la redistribution des cartes diplomatiques à la faveur de la crise.

Jean-Luc  Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est professeur associé à l'Université Paris-Dauphine.

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A (re)lire, les épisodes précédents :

1 - Pourquoi le monde n'est-il plus le même ? Premier volet : les chiffres et les politiques économiques.

2 - La crise, 4 ans après : l'Europe abandonnée par les Européens

3 - La crise, 4 ans après : la vérité des chiffres

4 - 4 ans après la crise, la fracture : le Sud de l'Europe est-il sur le point de se révolter contre l'Union pour survivre ?

La crise économique et financière traversée par l’Union européenne depuis 2008 a eu des répercussions importantes sur les rapports de forces au sein des 27 Etats membres qui la composent. Cette modification tire son origine principale de l’absence de compétence précise et opérationnelle donnée à l’Union européenne en matière de coordination des politiques économique, financière et budgétaire. L’inexistence d’un pilier politique au sein de l’Union économique et monétaire a, pour partie, entraîné un recul de l’intégration européenne.

Le principe de l’égalité entre les Etats membres (article 4 du traité sur l’Union européenne, ci-après TUE), fondateur de l’aventure communautaire, a, de fait, volé en éclat. Il paraît injuste aux acteurs des « grands pays » européens : comment accepter que Chypre, le Luxembourg ou les pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) pèsent autant quela France, l’Allemagne ou la Pologne ? Sa reconnaissance est pourtant un rempart nécessaire au retour du rapport de forces comme mode de résolution des conflits en Europe.

Les solutions apportées à la crise de la zone euro depuis 2009 reposent sur l’engagement des Etats « lourds » de la zone euro, principalement l’Allemagne et la France. La majeure partie des fonds apportée aux Etats en difficulté (Grèce, Portugal, Espagne, Italie et Irlande) provient de structures financées par la garantie ou l’argent national des Etats membres de la zone euro par le biais du Fonds européen de stabilité financière (ci-après FESF) ou du Mécanisme européen de stabilité (ci-après MES). La part propre de l’Union européenne par le biais du Mécanisme européen de stabilité financière piloté par la Commission européenne (ci-après MESF) est, en proportion, très faible. Or dans les relations interétatiques traditionnelles, le créancier commande au débiteur. Bien sûr, les discussions continuent de se dérouler au sein de l’Eurogroupe à 17 ou du Conseil européen à 27 à la lumière du principe d’égalité entre les Etats, mais certains participants sont, du fait de leur situation économique et financière, plus égaux que d’autres.

Après être intervenue entre Etats membres débiteurs et Etats membres créanciers, la remise en cause de l’égalité entre les Etats membres étend son ombre au sein des Etats créanciers eux-mêmes, entre les plus « vertueux » et les moins vertueux, entre ceux qui sont solides économiquement et ceux qui le sont moins. Le rôle de locomotive revient à l’Allemagne : un taux de chômage de moitié de celui de la moyenne européenne (5,4% contre 10,3% en avril 2012), une activité économique soutenue et une compétitivité internationale reconnue. Au-delà de ces statistiques, l’attractivité du modèle économique allemande est manifeste. L’enseignement de l’allemand a progressé en Europe et ceci principalement dans les pays en difficulté (Grèce, Portugal, Italie et Espagne)[1]. Ce soudain goût pour la langue de Goethe précède ou est concomitant à l’immigration des élites économiques desdits pays en difficulté vers l’Allemagne. L’influence de ce pays se renforce. Bien sûr, le sentiment anti-germanique s’étend à proportion, essentiellement au sein de certaines catégories de populations, celles les plus touchées par la crise et peu susceptibles de bouger. D’autres signes de cette affirmation économico-stratégique pourraient être cités : les travaux du « groupe sur le futur de l’Europe » ou groupe Westerwelle[2] (ministre des affaires étrangères allemand) qui travaille à des propositions institutionnelles et qui rassemble, sous l’autorité de ce dernier, les ministres des affaires étrangères d’Autriche, de la Belgique, du Portugal, de Pologne, du Luxembourg, d’Espagne et d’Italie et dans lequel les Pays-Bas, le Danemark et la France ont envoyé des « observateurs » ; les relations diplomatiques privilégiées qu’a sues établir Angela Merkel avec la Chine ou la Russie.

Cette rupture de l’égalité ne concerne pas que les relations des Etats entre eux. Elle touche le processus décisionnel européen en lui-même. La « méthode communautaire » se trouve à présent fragilisée. Elle repose sur l’équilibre entre les acteurs institutionnels européens en charge d’intérêts différents : celui des peuples (le Parlement européen), celui des Etats (le Conseil européen et le Conseil des ministres de l’UE), et celui de l’intérêt commun européen (la Commission européenne). La montée en puissance des gouvernements des Etats membres comme acteurs de la politique européenne s’est traduite par l’affirmation du Conseil européen comme véritable moteur de la décision européenne. Cette situation a marginalisé la Commission européenne et le Parlement européen. La Commission européenne, institutionnellement responsable de la rédaction des propositions de législation, s’est vue contester ce rôle par le renouveau d’un droit conventionnel classique interétatique (FESF, MES, TSCG[3]) dont elle essaie d’encadrer les dispositions par certaines initiatives marquantes (directive et règlements du « six pack » ou du « two pack »). Mais le souhait de certains Etats membres de lui retirer sa force de proposition pour en faire une sorte de secrétariat général chargé de la mise en œuvre des décisions du Conseil européen semble se réaliser. Quant au Parlement européen, il est affaibli par la déstabilisation dela Commission européenne et par l’absence de relations institutionnelles directes avec le vrai décideur qu’est devenu le Conseil européen. Il n’a pas affaire au patron (le Conseil européen) mais à ses employés (les formations du Conseil des ministres de l’UE) qui se contentent d’appliquer les consignes. De plus, l’égalité de droits entre les différents commissaires européens ou la participation pleine et entière des parlementaires issus d’Etats membres de la zone euro en difficulté ou d’Etats non-membres de ladite zone peut-être perçue comme affaiblissant la légitimité des décisions adoptées par l’une ou l’autre de ces institutions, vis-à-vis du Conseil européen.

Face à cette redistribution des cartes en Europe, Helmut Schmidt, ancien Chancelier allemand, vient de rappeler au monde politique de son pays que, du fait de son passé nazi, l’Allemagne ne pouvait ni ne devait postuler à un rôle prédominant dans la conduite de l’Europe politique. Ce point n’est pas contesté en Allemagne et ses élites politiques sont sincèrement attachées à la construction d’une intégration politique renforcée en Europe. Cette proposition est la seule alternative à un espace européen morcelé entre Etats ou groupes d’Etats rassemblés par affinités plus ou moins solides.

Comment empêcher une telle régression historique ? La France a un rôle majeur à tenir dans la relance de l’aventure européenne. Elle doit pour cela changer de perspectives. Elle doit quitter la posture consistant à considérer ladite aventure comme son simple prolongement, substitut de son ancienne puissance coloniale. Dans l’esprit de l’article 4 du TUE,la France doit penser l’Europe comme un continent dont elle serait, aux côtés de l’Allemagne, le moteur et non le conducteur. Pour cela, elle doit tirer profit du « modèle allemand » dans deux domaines : celui de la puissance économique et celui de la démocratisation de la politique européenne. Sans retour à des résultats économiques solides, la France ne sera pas écoutée par ses partenaires européens. Sans mutation des modalités de la préparation et du suivi des décisions européennes par une meilleure association des parlementaires français et des collectivités territoriales aux positions prises, sa voix ne sera pas entendue du fait de son absence d’assise au sein de la population française. La voie de la démocratie autoritaire n’est pas imposée par la mondialisation. A l’Europe de prouver qu’elle a toujours à apporter aux autres pays, par la démonstration qu’il existe une démocratie transnationale capable de répondre aux défis de la mondialisation économique.

[3] Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, qui prévoit la règle d’équilibre budgétaire dite « règle d’or ».

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