Quand les rebelles syriens négocient secrètement avec les Russes : la marginalisation de l’Occident aura-t-elle des conséquences sur la résolution du conflit ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les rebelles syriens négocient actuellement en secret à Ankara avec des émissaires du gouvernement russe.
Les rebelles syriens négocient actuellement en secret à Ankara avec des émissaires du gouvernement russe.
©Omar haj kadour / AFP

Les absents ont toujours tort

Alors qu'à Alep, la situation militaire et humanitaire est aujourd'hui catastrophique pour les rebelles syriens, ces derniers tenteraient de négocier avec le gouvernement russe une sortie de crise. Et ce, sans les Occidentaux.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Alors que la situation des rebelles d'Alep est de plus en plus critique, ces derniers négocient actuellement en secret à Ankara avec des émissaires du gouvernement russe, et ce dans le but de ranimer le plan proposé en octobre par Staffan de Mistura, l'envoyé spécial de l'Onu en Syrie. En quoi consiste ce plan, et a-t-il des chances d'être adopté selon vous ?

Alain Rodier : Ces négociations ne sont pas vraiment secrètes puisqu’elles sont connues par la presse. Les premières informations sur ce sujet semblent provenir essentiellement du Financial Times qui les aurait obtenues de quatre responsables de mouvements rebelles syriens. Ankara n’a bien sûr pas confirmé. Elles ne sont pas non plus les seules puisqu’une résolution de l’Onu (certes rejetée par Damas qui dit ne pas avoir été consulté) a été lancée mercredi à l’initiative de l’Egypte, de la Nouvelle-Zélande et de l’Espagne, proposant une trêve de dix jours.

Globalement, le vice-ministre des Affaires étrangères russe, Mikhail Bogdanov, a déclaré il y a quelques jours que Moscou souhaitait que l’affaire soit réglée avant la fin de l’année. Il semble évident que Damas et ses alliés souhaitent une solution comme celle qui était intervenue à Deraya dans la banlieue de Damas. En août 2013, cette localité assiégée durant trois ans avait été évacuée par environ 700 combattants rebelles qui avaient rejoint avec armes et bagages la province d’Idlib tenue majoritairement par le Front al-Nosra (devenu depuis le Fateh al-Cham).

Les couloirs humanitaires existent depuis un certain temps mais ils sont contrôlés par les forces syriennes (et leurs alliés russes qui en sont à l’origine). Ils ne peuvent être utilisés que dans le sens des départs et aucune aide humanitaire ne peut rejoindre les zones tenues par les rebelles. C’est la technique de base de tout siège. L’Histoire l’a démontré à de multiples reprises.

L'un des éléments marquants de ces négociations en Turquie est l'absence des Occidentaux (Europe et États-Unis). Quelles sont les raisons de cette absence ? Selon vous, est-ce un facteur qui pourrait faciliter l'obtention d'un accord entre rebelles et pouvoir syrien, ou au contraire la rendre plus difficile ?

Comme d’habitude, il convient de rester extrêmement prudent. Nul ne sait si ces négociations sont vraiment sérieuses et, si oui, si elles ont une chance d’aboutir. Les forces rebelles présentes à Alep ont annoncé avoir fusionné en un seul mouvement appelé "l’Armée d’Alep" qui regrouperait notamment le Fateh al-Cham, le Ahrar al-Cham, le Front du Cham, la brigade Zinki et quelques groupuscules. S’il n’y a effectivement plus qu’un seul interlocuteur du côté des rebelles - un commandement opérationnel commun existait déjà -, cela devrait être un peu plus facile (ou un peu moins difficile). Qu’en face il n’y ait que les représentants du régime - mais ce ne sont pas eux qui étaient présents à Ankara mais les Russes - permettrait aussi de parler d’une seule voix. Des négociations entre deux partis sont plus aisées qu’entre de multiples intervenants.

Ankara aurait joué les intermédiaires mais, à son habitude, le président Erdogan a soufflé le chaud et le froid annonçant mardi que l’opération "bouclier de l’Euphrate" déclenchée en août par l’armée turque "en appui" de groupes de l’Armée Syrienne Libre (ASL) avait pour but de renverser Bachar el-Assad avant de dire le lendemain qu’il avait été mal compris et que son seul objectif était les destructions des groupes terroristes (dans son esprit, il pense à Daesh mais aussi aux Kurdes du PYD syrien). La Turquie peut effectivement jouer un rôle dans la mesure où les rebelles accepteraient d’évacuer Alep. A savoir que les "modérés" et leurs familles rejoindraient la ville de Jarablus, sous le contrôle d’Ankara depuis août, et les "radicaux" la province d’Idlib. Le problème, c’est que la confiance entre les différents protagonistes est pour le moins extrêmement limitée !

Quant à l’absence des Etats-Unis, elle s’explique par la période de passation de pouvoirs qui a actuellement lieu entre l’administration Obama et celle de Trump. Et elle ne sera définitivement actée que le 20 janvier !

Quant à l’Europe, il y a longtemps qu’elle est hors-jeu car elle est désunie sur le plan de la politique étrangère (et pas que…). Pour le moment, elle est majoritairement du côté de Washington et comme les Etats-Unis ne bougent plus pour l’instant...

A Alep mais pas seulement, quelles peuvent être les conséquences de la relative "discrétion" actuelle de l'Occident ? Que peut-il perdre concrètement ? Le pouvoir syrien et ses alliés russes et iraniens peuvent-ils en profiter pour asseoir un peu plus leurs positions sur ce conflit ?

La fin de la bataille d’Alep, si elle survient - ce qui serait un moindre mal, l’irréparable ayant déjà été commis et la poursuite des combats ne pouvant qu’augmenter encore les pertes civiles, les rebelles étant acculés (1) -, ne signifie en aucun cas la fin de la guerre. Les rebelles tiennent solidement la province d’Idlib et Daesh l’est du pays. Il est d’ailleurs assez peu question du siège conduit par Daesh de Deir ez-Zor qui s’éternise. Quant à la prise de Raqqa, elle ne semble pas être pour demain. A savoir que les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui conduisaient l’offensive ont vu les unités arabes quitter la coalition car leurs chefs estimaient ne pas être assez représentés dans l’état-major conjoint (2).

Il est évident que les Russes et les Iraniens profitent de la vacance de pouvoir à Washington pour placer leurs pions. Ensuite, il conviendra de voir quelle est la ligne suivie par le président Donald Trump. Ses premières déclarations restent pour le moment assez contradictoires. S’il souhaite renouer des relations de confiance avec Moscou, il semble beaucoup moins bien disposé vis-à-vis de Téhéran. En retour, le président Vladimir Poutine, lors de son traditionnel message à la nation diffusé le 1er décembre, s'est dit "prêt à coopérer avec la nouvelle administration américaine" ajoutant : "nous avons en commun la responsabilité d'assurer la sécurité dans le monde".

Ce qui est sûr, c'est que la situation en Syrie est extrêmement compliquée et dépasse largement ce pays. C’est un conflit par procuration où de nombreux intérêts contradictoires sont présents. Si Washington et Moscou parvenaient enfin à un début d’entente, cela constituerait un signe encourageant. Mais les tourments auxquels sont soumis les Syriens sont bien loin d’être terminés.

  1. (1) Ce qui ne les a empêche pas de mener de furieux combats avec parfois des contre-attaques gagnantes.

  2. (2) Cela ne veut pas dire qu’ils ne vont pas revenir car les Américains conditionnent leur aide matérielle à leur participation à la coalition.

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