Quand le Covid déclenche des psychoses chez des malades sans aucun antécédents mentaux<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Le New York Times rapporte des cas de psychoses apparus chez d’anciens patients covid sans antécédents psychiatriques.
Le New York Times rapporte des cas de psychoses apparus chez d’anciens patients covid sans antécédents psychiatriques.
©Loic VENANCE / AFP

Impact psychologique

Selon des informations du New York Times, des personnes touchées par la Covid-19 ont rapporté des cas de psychoses alors qu'ils ne présentaient pas d'antécédents psychiatriques.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

Voir la bio »

Atlantico : Le New York Times rapporte des cas de psychoses apparus chez d’anciens patients covid sans antécédents psychiatriques. De quoi s’agit-il et quelle est la réalité de ce phénomène ?

Jean-Paul Mialet :  Peu de temps après le début de la pandémie, on avait déjà noté que la Covid occasionnait des troubles psychiatriques. Dans la plupart des cas, il s’agissait de décompensations de troubles préalablement existants, mais dans certains cas, assez rares, apparaissaient des troubles nouveaux, plutôt dépressifs ou anxieux. On notait également, après 60 ans, une plus grande fréquence d’occurrence de troubles du type alzheimheirien que sur une population de référence n’ayant jamais eu de Covid. Incontestable, cet impact psychiatrique restait un fait d’observations statistiques, sans description clinique. Deux recherches se concentrant sur les conséquences neuropsychiatriques de la maladie, une en Angleterre et l’autre en Espagne, qui observaient par ailleurs de façon concordante que dans une proportion sensible de cas (environ 6%) des troubles psychiatriques aigus étaient relevés au décours de la Covid chez des patients sans antécédents de troubles psychiatriques.

Il ne s’agissait donc là que de chiffres. Mais des descriptions cliniques nouvelles émergent. Récemment, le Dr Hisam Goueli (psychiatre à hôpital de Long Island) a alerté le New York Times sur un certain des cas de psychoses aigües apparues brutalement à distance de l’infection. Plusieurs points sont à relever. L’infection a souvent été modeste et n’a pas nécessité d’hospitalisation. Le délai de survenue est variable de quelques semaines à quelques mois. L’âge des patients est plutôt jeune, entre 30 et 60 ans. La psychose se présente comme une bouffée délirante se déclenchant brutalement, sans prodromes, chez des patients sans aucun antécédent psychiatrique. Le délire est richement hallucinatoire, avec des hallucinations visuelles et auditive. Les thèmes sont plutôt persécutifs, très angoissants, et pouvant conduire à des conduites dangereuses pour soi-même ou ses proches : une femme, raconte-t-il, était tellement convaincue qu’on la poursuivait pour lui voler ses enfants qu’elle a tenté de les mettre à l’abri en les faisant passer à travers le guichet d’un drive in ; un autre patient était devenu convaincu que son cousin voulait le tuer et a tenté de l’étrangler. L’expérience délirante est toujours très douloureuse : c’était comme un film horrible, raconte une patiente, où mon enfant était écrasé par un camion ; une autre parle de scènes décapitation. Un aventurier que rien n’avait fait reculer jusque-là parle de l’épreuve la plus angoissante qu’il ait jamais connu.

À Lire Aussi

Ces séquelles psychiatriques du Covid dont on parle peu

De mon point de vue, par leur nature, ce genre de psychoses aiguës, persécutives et richement hallucinatoire évoque les états psychotiques que l’on rencontre lorsqu’il y a une irritation cérébrale (lorsque le tissu cérébral est irrité par une substance toxique ou altéré par une dégénérescence). De telles bouffées délirantes ne se rencontrent quasiment jamais dans la schizophrénie et demeurent exceptionnelles dans les troubles bipolaires. Or on sait que le covid a souvent un impact le cerveau : on a décrit des encéphalites inflammatoires et des atteintes hémorragiques cérébrales. Ces observations donnent à penser qu’une Covid même modeste pourrait avoir des conséquences cérébrales à distance liées à des processus immunitaires ou à des atteintes vasculaires et inflammatoires qui altèrent le tissu cérébral.

Faut-il s’inquiéter d’un éventuel développement de ce phénomène ?

Non, le phénomène reste rare et il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Si on ne l’a pas observé plus tôt, c’est que l’on a été depuis le début concentré sur l’atteinte pulmonaire du virus qui provoque des troubles respiratoires parfois vitaux. Il faut du recul pour observer les atteintes d’autres organes qui ne s’expriment pas aussi bruyamment, et prennent du temps à se manifester. Ces bouffées délirantes exceptionnelles démontrent toutefois que la Covid peut avoir des conséquences cérébrales dont on doit tenir compte pour interpréter certains phénomènes, ceux que l’on constate dans le covid long par exemple. Il attire aussi l’attention sur des dégâts que le virus peut produire même chez des sujets jeunes et en l’absence d’atteinte respiratoire importante. D’autres organes pourraient-ils également être atteints insidieusement lors d’une infection par le virus ?

Quelles réponses peut-on mettre en avant contre ces troubles psychotiques ? 

La bonne nouvelle c’est que ces psychoses aiguës se soignent apparemment très bien avec des neuroleptiques à petite dose. Tous les autres traitements essayés se sont révélés inefficaces, note le Dr Goueli. Là encore, ces épisodes aigüs se comportent comme beaucoup de bouffées délirantes « toxiques », toujours spectaculaires, mais cédant rapidement sous neuroleptique. Naturellement, quelles sont les conséquences à long terme de l’irritation cérébrale dont elles sont vraisemblablement la manifestation ? La question reste entière et ne pourra être évaluée qu’avec le temps.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !