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Quand le confort d’utilisation de votre Smartphone comme Pass Navigo masque le danger grandissant pour nos vies privées
©Reuters

Big Brother

L'utilisation des smartphones permet de nous faciliter la vie tout comme le Pass Navigo nous permet de nous déplacer. Mais le risque serait que nous soyons tous traqués, et ce, au détriment de notre vie privée.

Frank Puget

Frank Puget

Frank Puget est directeur général de KER-MEUR S.A (Suisse), société d'intelligence économique, cyber sécurité et formation.

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Atlantico : À quel point les smartphones sont-ils équipés de capteurs ? Souvent les applications doivent demander une autorisation pour accéder à tel fichier, ou pouvoir contrôler telle fonctionnalité. À quel point le smartphone sait tout ce que l'on fait et jusqu'où le sait-on ? (on sait pour le GPS, la Caméra, moins pour le gyroscope ou l'accéléromètre par exemple)

Frank Puget : En règle générale, les smartphones sont équipés de six capteurs au moins et qu’il faut différencier des applications de navigation. Leur rôle est bien entendu une fonction de confort pour l’utilisateur. Ils lui permettent de se repérer et de se déplacer plus aisément, par exemple. De mesurer la distance parcourue et la vitesse, etc. Ce sont certes des fonctions fort intéressantes lorsque l’on cherche sa route et vérifier que l’on se dirige dans la bonne direction.

Maintenant, au-delà de l’aspect pratique, il faut se demander comment tout cela fonctionne et quel impact cela peut avoir sur notre intimité ? Le premier constat est que tous ces capteurs fonctionnent avec votre navigateur. Ce qui sous-entend que, potentiellement, les résultats des actions demandées à ces capteurs sont enregistrables et contrôlables à distance. Quand on dit « enregistrables », je devrais dire « enregistrées » car il est le plus souvent facile de retrouver l’historique des actions, demandes, recherches, etc. qui demeurent stockées un temps plus ou moins long dans l’appareil…si ce n’est chez l’opérateur. A cet aspect, il faut ajouter celui, de l’enregistrement volontaire de l’utilisateur. Prenons un exemple avec une application de course à pied (GPS, accéléromètre, podomètre, chrono… Cette fonction vous permet de préparer vos itinéraires, de les stocker, d’affecter à chacun d’eux la date et le temps de parcours. Certains logiciels, avec des capteurs externes que vous rajoutez, suivent pendant la course votre rythme cardiaque, votre tension, voire votre température. Ces données sont stockées dans l’appareil, mais également sur les serveurs du fournisseur et parfois sur ceux de l’appli. Une manne pour certaines personnes indélicates qui peuvent revendre ces informations aux assurances, banques, etc. Ou qui peuvent s’en servir comme sous-marin pour pénétrer votre ordinateur lorsque vous sysnchronisez.

La morale de cette histoire est que vous avez un « mouchard » dans la poche, mais un mouchard volontairement accepté, souhaité même pour beaucoup. En revanche, il serait intéressant d’enquêter sur le niveau de conscience qu’ont les utilisateurs de ce «traçage » ? Il y a fort à parier que peu de gens en sont véritablement conscient. Et quand bien même le sont-ils qu’ils n’y voient pas malice. Vous me direz que nous avons la même chose avec la carte bancaire qui dévoile notre mode de vie à qui sait la lire. Mais accepterait-on de se passer maintenant de sa carte de crédit ou de son smartphone ? C’est ici que résident à la fois le Diable et le génie.

En quoi cet aspect "big Brother" du smartphone aujourd'hui représente-elle un risque ? Que peut-on faire une limiter ce risque ?

Nous venons d’évoquer le cas de la carte bancaire qui est très indiscrète sur notre mode de vie. Big Brother s’est invité dans notre quotidien depuis bien longtemps maintenant et avec, le plus souvent, notre assentiment…ou notre résignation impuissante.

Les capteurs et les applis connectées des smartphones ne sont qu’une étape supplémentaire, essentiellement due au progrès d’une part et à l’appétence des utilisateurs pour les gadgets technologiques d’autre part. Cela augmente-t-il leur risque ? Oui, sans aucun doute. Encore faut-il définir ce risque, ou plutôt ces risques. Je les classe, sans exhaustivité, en deux grandes catégories :

Le risque de traçage par les autorités et les professionnels du marketing. L’un veut pouvoir tout connaître de votre vie, laquelle n’a plus rien de privée. L’autre veut pouvoir individualiser son marketing pour vous vendre le maximum de choses, même si vous n’en n’avez absolument pas besoin.

Le risque de hacking par des professionnels de la cambriole en ligne ou par une personne malveillant mais experte en informatique. Car tous ces capteurs, étant connectés comme nous l’avons déjà dit, sont autant de passerelles supplémentaires pour pénétrer dans vos systèmes (voir l’étude récente – début 2017 – de l’université de Newcastle sur ce sujet). Et ce, d’autant plus, que tous ces capteurs, toutes ces applis, permettent à des objets connectés de communiquer entre eux, parfois à votre corps défendant par ce qu’à un moment vous avez machinalement dit « Oui » à une demande d’autorisation de connexion. Et souvent, ces demandes sont suffisamment perverses, pour vous bloquer un autre accès, plus important pour vous et que de guerre lasse après sept clics sur le « Non » sans résultat, vous finissez par dire « Oui ».

Limiter le risque supposerait que le constructeur le veuille (techniquement il le peut) et que l’utilisateur en ressente parallèlement un besoin crucial. Or, le premier, n’a pas forcément envie de brider ses applications et les rendre plus difficiles à mettre en œuvre ou à télécharger (c’est du business, ne l’oublions pas). Et, le second, n’en ressent pas véritablement un besoin vital. Généralement, il est même plutôt inconscient du problème et la seule chose qui l’intéresse, c’est que ça fonctionne, vite et bien. On est face un phénomène proche du syndrome de Stockholm. Il reste la voie législative, mais là aussi, l’absence, peut-être pas d’intérêt, mais de compétence des pouvoirs publics, en particulier des élus, bride les tentatives qui, souvent, sont très en retard sur le progrès. Donc, très clairement, le risque est présent. Il perçu, mais pas redouté par les uns, ignoré par les autres et craint par un petit nombre dont la voix résonne un peu dans le désert.

Est-on prêt à abandonner notre smartphone et son côté utilitaire pour fuir le risque "big Brother" qu'il représente dans un monde où le téléphone mobile est devenu indispensable ?

A titre personnel, je serais tenté de vous dire oui bien que, à l’instar de tout un chacun, j’ai aussi un smartphone et que je m’en sers. Mais, revenir à un simple téléphone ne m’effraie pas. Pour autant, sur un plan purement sociétal, je ne crois pas que les utilisateurs de tous âges et de toutes catégories soient disposés à se priver de fonctions de confort et de loisir à seule fin de protéger leur vie privée. Ce dont souvent ils n’ont même pas conscience. C’est un peu comme la vidéosurveillance. Au départ beaucoup de gens récriminaient. Maintenant, presque plus personne n’y fait attention, mieux, dans le contexte de tension actuelle, on en réclame. Les caméras sont devenues un voyeur invisible parce qu’elles se sont banalisées et intégrées dans notre paysage familier.

Je crois que c’est le même processus avec les smartphones, surtout chez les plus jeunes chez qui, bien souvent, toute pudeur disparaît avec ce qui est devenu une prolongation de leur personnalité. Alors, à moins d’un accident et / ou d’une révélation ayant une conséquence violente sur la vie des gens (par exemple un méga piratage des comptes bancaires via la captation des codes d’accès contenus dans les smartphones), il y a peu de chances pour que nous assistions à une remise en cause du phénomène.

La guerre est-elle perdue, le fait est-il irrémédiable ? Je ne le crois pas, mais la prise de conscience qui pourrait influer sur le comportement des fabricants et concepteurs n’est, à mon sens, pas pour demain. Accepter d’abandonner, les capteurs de mouvements, gyroscopes, GPS, détecteurs de luminosité et autres moyens qui créent la notion de Smart Gesture n’est pas envisageable sur le plan sociétal. Il reste à faire comme avec un couteau affûté ou la montagne ou la mer: apprendre à pratiquer dans de bonnes conditions en alliant plaisir et sécurité.

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