Quand la NSA pipe les dés : ce que les très grandes oreilles de Washington confèrent comme pouvoirs illégitimes aux Etats-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le but de la NSA est d’établir une cartographie gigantesque du monde et des relations entre les individus."
"Le but de la NSA est d’établir une cartographie gigantesque du monde et des relations entre les individus."
©Reuters

L'oreille du monde

Selon certains documents de l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) dévoilés par le journal Le Monde, les communications téléphoniques des Français auraient été interceptées de façon massive par cette dernière. Ainsi, plus de 70 millions d'enregistrements de données téléphoniques en France ont été effectués entre le 10 décembre 2012 et le 8 janvier 2013. Des écoutes et des fichiers qui donnent un avantage stratégique certain à la première puissance mondiale.

Atlantico: En l’espace de trente jours, entre le 10 décembre 2012 et le 8 janvier 2013, plus de 70 millions d’enregistrements de données téléphoniques de Français auraient, selon ces documents, été effectués. Quelles sont les raisons d'un espionnage d'une telle envergure ? Quels pouvoirs ces écoutes téléphoniques confèrent-elles concrètement aux États-Unis ?

Michel Nesterenko : Pour la NSA, avec des moyens financiers et techniques réellement illimités et agissant totalement "hors toutes les lois", il s'agit, avant tout purement et simplement, de poursuivre une logique de Big Brother, ni plus ni moins. Accessoirement, les informations servent les intérêts géostratégiques du gouvernement américain. En fin de compte, les banques de données peuvent servir à aider l'effort de guerre du Pentagone et de la CIA contre le terrorisme et les opérations du FBI en politique intérieure. Les écoutes téléphoniques servent avant tout à contrôler les positions et actions des dirigeants étrangers surtout alliés par un chantage plus ou moins subtil pratiqué couramment depuis le Président Lyndon Johnson.

Bernard Lamont: Depuis le 11 septembre, le département américain de la sécurité intérieure privilégie l’écoute téléphonique. C’est dans l’objectif même de la NSA : garder une trace de toutes les conversations téléphoniques. Officiellement, ils ne les écoutent pas, ils gardent seulement la trace qu’une personne en a joint une autre à une certaine date et une certaine heure. Leur but est d’établir une cartographie gigantesque du monde et des relations entre les individus, ainsi s’ils soupçonnent quelqu’un d’actes de terrorisme, ils pourront faire leur ciblage très rapidement. D’ailleurs, les documents révélés par Le Monde ne mentionnent pas si les contenus ont été écoutés. C’est ici l’équivalent des fadettes. Mais cela délivre un pouvoir certain aux États-Unis, leader en la matière.

Michel Van Den Berghe: Le premier objectif contrairement aux écoutes traditionnelles n’est pas le contenu, mais le contenant : Qui discute avec qui ? De quoi ?  Où et comment ? Cela permet donc de constituer ensuite une véritable carte sociale des relations. Toutes ces informations sont ensuite stockées et utilisées en fonction des besoins comme dans le business intelligence. Analyser les traces que nous laissons sur le net est plus efficace que de lire votre journal intime. C’est un peu comme dans la série Person of interest ou Jonh Reese, un agent paramilitaire de la CIA présumé mort est engagé par un mystérieux milliardaire du nom de Harold Finch. Celui-ci a conçu pour le gouvernement, par le passé, une machine de surveillance de masse capable de prédire les actes terroristes dans le monde, en s'appuyant sur de nombreuses données comme les enregistrements des caméras de surveillance et des appels téléphoniques ou les antécédents judiciaires.

Ces informations servent-elles à l’économie États-unienne ? Jusqu’à quel point ?

Michel Nesterenko : Les informations de l'espionnage américain ont servi dans toutes les grandes négociations gouvernementales touchant l'économie ou autres, pour favoriser la position américaine, voire faire chanter les négociateurs des autres pays y compris, et surtout, les alliés. Bien sûr, tous les contrats d'armement impliquant le Pentagone, pour des raisons de domination géostratégique américaine, ont bénéficié de l'espionnage tout azimut, tout cela pour favoriser le complexe militaro-industriel.

Il y a des soupçons mais peu de preuves du fait que la NSA ou la CIA auraient aidé les entreprises privées américaines dans des contrats internationaux privés. Mais les grandes entreprises américaines font elles même de l'espionnage pudiquement appelé "Intelligence économique" ou même "marketing" pour améliorer les négociations y compris l'utilisation courante de photos satellitaire.

Bernard Lamont: C’est une grande question, aujourd’hui certains avocats américains ne comprennent pas forcément quelles sont les raisons de l’énervement européen. Ils assurent que la loi américaine a été parfaitement respectée, que la NSA a un mandat du congrès. C’est vrai mais le détail des communications est espionné sous le contrôle de magistrats issus d’un tribunal secret… Mais peut-on parler de tribunal s’il est secret ? C’est un oxymore. La condition ultime pour qu’un tribunal existe dans une société démocratique reste que la justice est rendue publiquement. Évidemment à la suite du 11 septembre, on nous explique que cela vaut seulement si l’on est en "état de paix", et ils considèrent être en état de guerre depuis 2011. Est-ce que ces communications, étudiées par ce tribunal, peuvent être utilisées à l’avantage de l’économie américaine ? Certainement. Il faudrait faire un pari pascalien sur la bonté de l’homme pour se dire qu’elles ne le sont pas… Il y avait eu un rapport parlementaire en France publié en 2002 sur le réseau échelon, on se plaignait d’avoir perdu un contrat au dernier moment, et les seules raisons qui expliquaient cet échec étaient l’espionnage des communications par les Américains. Il n’y a jamais eu de preuves mais, sans paranoïa, il ne faut pas être naïf. Oui, il existe des surveillances qui peuvent servir à des fins économiques.

Ce n’est pas la première fois que les États-Unis espionnent leurs voisins puisqu'en août 2009, une opération de la NSA nommée « Whiteamale » a servi à espionner les mails de nombreuses personnalités politiques mexicaines. Si officiellement ces données devaient servir à combattre le trafic de drogue et la traite humaine, elles ont également permis à des politiciens américains de conduire des discussions politiques et économiques avec succès. Existe-t-il d’autres exemples de cas où les données récoltées par la NSA ont servi la diplomatie américaine?

Michel Nesterenko : Il est certain que les USA ont espionné leurs voisins et leurs alliés pour dominer tous les accords et traités économiques et politiques. Il s'agit de poursuivre une logique implacable de domination, surtout quand on en a les moyens et aucune barrière. Du fait que nous parlions d'espionnage étatique, les preuves sont rares ou inexistantes seuls les effets sont plus ou moins visibles.

Bernard Lamon: Il est évident que dans une négociation internationale, avoir les opinions des uns et des autres donne un avantage, et les États-Unis s’en servent sûrement, mais encore une fois, impossible de le prouver. A l’inverse, l’ambassade américaine en France fait très attention à garder ses informations secrètes, lorsque l’on passe près d’elle, aux alentours de Concorde, nos portables peuvent se couper 3 à 4 fois, ils émettent des ondes qui les brouillent.

Officiellement, la NSA s’est défendue d’espionner la France pour combattre le terrorisme. Peut-on effectivement croire cette allégation ou vivons-nous actuellement une guerre de l’information ?

Michel Nesterenko : Bien avant la guerre contre le terrorisme, la NSA veut dominer le monde dans la "Guerre de l'Information" et le façonnage des esprits. De nombreux manuels ont été publiés et constamment mis à jour par le Pentagone dans ce seul but. Les Britanniques avaient déjà mis au point ce type d'action offensive pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, la NSA dispose de moyens autrement plus contraignants sans oublier l'impact d'Hollywood sur la perception des peuples, un fait qui n'a jamais été minoré par le Pentagone. 

Il ne s'agit pas de guerre contre le terrorisme mais de créer une réalité artificielle pour promouvoir la supériorité de la culture et la domination des produits industriels des États-Unis sur le long terme.

Bernard Lamon: C’est officiellement sa mission. Les États-Unis se sont sentis agressés sur leur territoire, comme ce fut le cas pour Pearl Harbor, mais après cet épisode, ils ont écrasé le Japon avec une bombe atomique. Aujourd’hui, leur arme, c’est l’espionnage. On accepte leur diktat, il serait peut-être temps de se révolter mais nous tirons aussi parti de ce système car nous bénéficions du transfert de données. Mais effectivement, on vit une guerre de l’information, la richesse des pays se trouve aujourd’hui dans les données. La guerre est la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens, et notamment par l’information. Dans ce cas-là, les États-Unis sont leaders.

Michel Van Den Berghe: Cela fait plusieurs années que nous sommes entrés dans la guerre de l’information et de la désinformation. L’objectif officiel (avoué) est effectivement la lutte contre le terrorisme mais d’autres objectifs (moins avoués) sont de récolter énormément de données qui peuvent être elles utilisées à des fins d’intelligence économique. On ne parle plus alors de Big Brother mais de Big business.  

Ce mode d’espionnage est-il utilisé par d’autres services secrets à travers le monde ou la NSA a-t-elle le monopole dans ce domaine ?

Bernard Lamon : Tout le monde espionne tout le monde. Aux États-Unis, une loi qui explique ce qu’est l’espionnage, c’est la grande différence avec la France. Il y a probablement d’autres pays qui font la même chose. Si la France n’a pas un système aussi développé elle possède tout de même une certaine puissance compte tenu de sa position de numéro 3 des télécoms. D’ailleurs, la plupart des satellites partent de Guyane et les réseaux satellitaires sont des outils précieux d’espionnage.

Michel Van Den Berghe: Bien sûr que non. Mais le PRISM à la française par exemple préfère cibler l’information que l’on recherche plutôt que de tout récupérer et de faire le tri ensuite. Il a été instauré du temps de Nicolas Sarkozy. Il est aussi de notoriété publique que des États comme Israël excelle dans ce domaine.

Propos recueillis par Clémence Guinard

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