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Qu’est ce que le billard gravitationnel qui nous aurait fait découvrir deux nouvelles étoiles au fin fond de la voie lactée ?
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Dans une lointaine galaxie

Deux étoiles géantes viennent d'être découvertes à la bordure de notre galaxie. Au-delà de cette trouvaille, les scientifiques ont surtout été frappés de constater qu'elles n'avaient rien à faire là.

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau

Aurélien Barrau est professeur à l’Université Joseph Fourier, membre de l’Institut Universitaire de France et chercheur au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie du CNRS.

Il a publié en mars 2013 Big Bang et au-delà - Balade en cosmologie (Ed. Dunod) qui explique, dans un langage clair et accessible, les dernières découvertes en cosmologie, et des Univers multiples paru chez Dunod en 2014.

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Atlantico : Une équipe américaine a annoncé dans les Astrophysical Journal Letters du 20 juillet avoir découvert les deux étoiles les plus lointaines jamais répertoriées dans la voie lactée. Problème : la densité de gaz dans ces régions serait bien trop faible pour que des étoiles y naissent. Ces étoiles seraient donc venues d’ailleurs ?

Aurélien Barrau : Cette découverte est avant tout une invitation à l’humilité, car la Voie lactée est notre voisinage cosmique immédiat, et pourtant on la connaît très mal. La galaxie est comme une particule élémentaire pour la cosmologie, presque ce qu’il y a de plus petit dans l’univers : à l’échelle du Cosmos c’est moins qu’un grain de sable. On a donc découvert dans la Voie Lactée des astres à des positions qui n’étaient pas escomptées. 

Il faut d’abord expliquer la structure de notre galaxie, comparable à une poupée gigogne. Il existe trois échelles fondamentales : 

  • La "boîte" qui contient les étoiles, que nous pouvons voir à l’œil nu ou au télescope. C’est la partie la plus facile à comprendre, à ceci près que, comme nous l’avons constaté avec les deux nouvelles étoiles, nous avons encore des surprises.
  • Une plus grande boîte entoure la première : la "boîte des particules". C’est ce qu’on appelle l'espace de diffusion des rayons cosmiques. Ils se déplacent à toute vitesse et sillonnent l’espace interstellaire en tous sens.
  • Une troisième boîte englobe les deux précédentes : le "halo de matière noire". On beaucoup de raisons de penser qu’il existe une immense quantité de matière, plus importante que les étoiles et les rayons cosmiques, et qu’on ne voit pas. Cette matière noire serait diffuse et contenue dans un volume encore plus grand…

Nous faisons donc partie d’une sorte d'emboîtement de la matière dans les rayons cosmiques, eux même contenus dans la matière noire. Et même à l’échelle que nous sommes supposés maîtriser, nous nous apercevons que des étoiles peuvent se déplacer de façon essentiellement inattendue. Beaucoup reste à comprendre ...

Une explication plausible serait celle du "billard gravitationnel" (voir ici). En quoi cela consiste-t-il, et cette explication vous semble-t-elle pertinente ?

Rappelons qu’en physique fondamentale on distingue quatre forces : l’électromagnétisme, les deux forces nucléaires et la force gravitationnelle. La gravité est singulière en ce qu’elle devient pertinente et dominante à des échelles de distance qui ne sont pas les mêmes que les autres. Les 3 autres sont importantes dans l’infiniment petit tandis que la gravité a tendance à être importante dans l’infiniment grand. Il est impossible sur terre de bâtir des instruments pour tester la gravité de façon similaire aux autres interactions. En dépit de la familiarité apparente de la gravité, nous la comprenons peut-être plus mal que les autres forces.

L’analogie avec le billard est claire : une boule de billard peut subir des rebonds selon qu’elle percute une autre boule ou la bande du billard. L’univers n’a pas de bords, mais comporte des pièges gravitationnels : quand une étoile tourne autour d’un trou noir – notre galaxie comporte en son centre un trou noir dont la masse est de trois millions de fois celle du Soleil – en étant éloignée, comme c’est le cas de la nôtre, elle se contente de décrire un cercle. Les orbites qui passent très près du trou noir en revanche ne sont plus des cercles, mais plutôt des ellipses extrêmement aplaties, à tel point que l’on pourrait presque parler d’une ligne. L’idée du billard cosmique rejoint cette image : quand un astre passe très près d’un autre astre, et singulièrement d’un trou noir, la gravité est tellement forte qu’elle le fait changer de trajectoire et peut l’envoyer dans un lieu imprévisible. L’astre rencontrant d’autres objets sur son parcours, il est très difficile de prévoir sa trajectoire dans une structure gravitationnelle aussi complexe. Dieu ne joue pas aux dés, comme disait Einstein, on pourrait donc théoriquement calculer ces trajectoires, mais en pratique on ne peut pas, car les sources de gravité sont tellement nombreuses que cela donne lieu à des trajectoires chaotiques.

L’univers dans son ensemble est-il régi par ce jeu du billard gravitationnel ?

L’univers est régi par la gravité. Tout dépend de ce qu’on entend par "billard gravitationnel", qui n’est pas une expression usitée dans le monde scientifique. Une évolution d’ensemble déterministe, continue et prédictible existe à l’échelle du cosmos : c’est l’expansion de l’univers prédite par la relativité générale. La distance entre les corps grandit, les galaxies se séparent les unes des autres. De temps en temps, des galaxies se rencontrent : deux grands corps cosmiques se frôlent puis s’interpénètrent. Dans cet événement cataclysmique certaines étoiles massives effleurent d’autres étoiles massives ; dès lors le lent mouvement de l’univers est localement supplanté par des phénomènes ponctuels extrêmement chaotiques. C’est probablement de là que viennent ces deux étoiles.

Notre système solaire pourrait-il un jour être amené à "migrer" également ? Quelles forces rendraient ce scénario possible ?

Tout peut être envisagé, mais il s’agit d’événements extrêmement rares. Ce n’est donc pas la première inquiétude ! Une planète errante ayant subi des effets gravitationnels très intenses pourrait éventuellement percuter la Terre, mais la pollution humaine a infiniment plus de chances de marquer la fin de notre civilisation. L’hypothèse d’une collision est scientifiquement intéressante, mais dérisoire en termes de risques.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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