Proche-Orient : 15 ans plus tard, les illusions de Barack Obama se paient au prix fort<!-- --> | Atlantico.fr
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Les nombreuses erreurs de l'ancien président américain coûtent cher.
Les nombreuses erreurs de l'ancien président américain coûtent cher.
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Erreurs

Les nombreuses erreurs de l'ancien président américain coûtent cher.

Nicolas Tenzer

Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'Action politique (CERAP), senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA), bloggeur de politique internationale sur Tenzer Strategics.

 

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Atlantico : En 2009, Barack Obama prononce le discours du Caire. Discours intitulé « nouveau départ ». Peut-on dire que sa politique a fait des Frères Musulmans un acteur incontournable dans la région ?

Nicolas Tenzer : A cette époque, Obama se dit qu’il va pouvoir travailler avec des mouvements islamistes relativement « modérés ». J’emploie ce qualificatif entre guillemets car si vous comparez les Frères Musulmans à Daech ou Al-Quaïda, ils sont plus modérés. Barack Obama a dû composer avec cette réalité. Il fallait pouvoir s’allier à des mouvements islamistes présentables mais pas complètement dans la norme occidentale. A l’époque, les diplomates américains, bien avant Obama au demeurant, estimaient que c’était mieux que d’avoir des régimes de façade prétendument laïques et qui se comportaient comme des assassins. Soutenir des dictatures soi-disant hostiles aux mouvements islamistes constituait un jeu de dupes d'autant plus dangereux que cela ne pouvait que retourner les peuples contre leurs soutiens.

Très rapidement, les Américains se sont aperçus que les bases du discours d'Obama ne portaient en fait aucune politique concrète et auraient dû demander un effort qu'ils n'étaient pas prêts à livrer. Ils en ont entériné la fin à l'automne 2013. Dans un entretien accordé au New York Times le 26 octobre 2013, la conseillère à la sécurité nationale de Barack Obama, Susan Rice, a enterré les ambitions du discours du Caire. Depuis et jusqu'à aujourd’hui, il n’y a plus de politique américaine pour le Moyen-Orient au-delà de leur engagement dans la politique antiterroriste dans le cadre de la coalition anti-Daech. Ils sont revenus depuis le 7 octobre 2023 sur le dossier spécifique d’Israël. Mais en dehors de ça, je ne vois pas de politique moyen-orientale se dessiner. Quand un article de Foreign Affairs titre sur un retour des Etats-Unis au Moyen-Orient, il me semble qu'il est bien trop optimiste.

Août 2013 : Barack Obama décide finalement de ne pas participer aux frappes prévues contre le régime syrien de Bachar El Assad à la suite des attaques chimiques. Etait-ce une erreur du Président démocrate ? Quelles ont été les conséquences ? 

Pour moi, c’est une faute majeure qui a entraîné un tournant dont nous payons les conséquences aujourd'hui. L’absence d’intervention après les attaques chimiques de la Ghouta en 2013, puis au moment du siège d''Alep en 2015-2016, ou encore aujourd'hui, a eu pour conséquence des centaines de milliers de morts supplémentaires puisque le régime syrien, aidé de l'Iran et de la Russie, a renforcé de manière massive sa répression. Cette décision a aussi donné des signaux très clairs à la Russie. L’attaque en Ukraine en 2014 me paraît directement liée à ce refus d’intervenir des Etats-Unis. Obama avait pourtant dit que l’usage des armes chimiques était une ligne rouge. Ne pas intervenir a été vu comme un signe de faiblesse et Poutine a considéré qu'il avait un chèque en blanc pour commettre toujours plus de crimes. On peut d'ailleurs dire que l'absence de réaction après l'attaque contre l'Ukraine a aussi conduit Moscou à intervenir directement en Syrie à partir de l'automne 2015. Je rappelle que la Russie seule, sans même parler du régime Assad, a tué plus de civils syriens que Daech. Quant aux frappes russes, comme le répétait à l'époque le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, elles visaient les opposants syriens et non les l'Etat islamique. En tout cas, cela a été le début de la fin de la puissance américaine dans la région. Cette décision a aussi causé du tort à sa crédibilité internationale. Quelle garantie accorder à la parole des Américains ? Je me rappelle de discussions au Japon et en Corée du Sud après 2013: la préoccupation était clairement exprimée.

En 2015, accord qualifié d’historique avec les Iraniens sur le nucléaire. Ce devait être un moyen d’éviter une course aux armements et de nouvelles guerres au Proche-Orient. A-t-il réussi son pari en discutant avec le régime iranien ? Vu la situation que nous connaissons aujourd’hui, peut-on dire que c’est un échec ? 

Ces discussions ont eu lieu dans le cadre d’un groupe de travail sur l’accord nucléaire, regroupant d’autres pays comme la France, la Russie ou encore le Royaume-Uni. Les dirigeants, dont Obama, ont considéré que la première priorité était d’empêcher l’Iran d’avoir la bombe nucléaire. Ils ont d’ailleurs sacrifié la politique moyen-orientale à ce seul objectif. Beaucoup considèrent d’ailleurs que si Obama n’a pas voulu intervenir en Syrie où les forces iraniennes sont toujours extrêmement présentes, ça a été en grande partie à cause de cet accord. Cette politique a affaibli l’Arabie Saoudite et d’une certaine manière les Emirats Arabes Unis aussi. Ça a conduit les Etats-Unis, comme d’autres grandes puissances européennes, à fermer les yeux sur l’accroissement considérable de l’influence de l’Iran dans la région, notamment au Liban où le Hezbollah fait en grande partie sa loi alors qu’il est directement lié à l’Iran. C’est le cas aussi en Irak où l’Iran constitue un facteur de déstabilisation. Même constat au Yémen, même si les torts sont plus partagés.

Octobre 2015 : Obama fait une pause dans le retrait des troupes américaines positionnées en Afghanistan. La réalité de terrain s’impose sous la pression d’une nouvelle montée des talibans. C’était une erreur stratégique ? 

C’est compliqué parce qu’après l’attaque de 2001, il fallait aller en Afghanistan. La communauté internationale a approuvé cette décision à la différence de ce qui s'est produit deux ans après avec l'Irak. Il n’y avait pas le choix. Par la suite, est-ce que les Américains ont eu une politique de long terme sur l’Afghanistan ? Non. Il n’y a pas eu de stratégie claire faute d'objectifs précisément énoncés. Les responsables américains l’ont d'ailleurs reconnu. Il fallait rebâtir complètement le pays, agir de manière plus ferme vis-à-vis des gouvernements successifs, sans fermer les yeux sur les entreprises massives de corruption. Obama a voulu à un moment rebâtir les structures d’un Etat pour empêcher le retour des talibans, mais sans suffisamment de continuité. Trump a tout balayé. Biden a achevé de manière assez précipitée et désordonnée le retrait des troupes en août 2021. L’image donnée a été catastrophique. 

De même que la non-intervention de Barack Obama en Syrie en 2013 a été un signal donné à la Russie pour l’Ukraine, le retrait des troupes américaines d’Afghanistan sous Biden a Poutine à se dire qu’il allait pouvoir lancer une offensive massive contre Kyiv sans que cela entraîne de réaction massive.  Pour la première fois depuis 23 ans, il s'est heureusement trompé.

Quel est le bilan de Barack Obama au Moyen-Orient ? A-t-il affaibli la position américaine au Moyen-Orient ? Au profit de la Chine notamment ?

Les Etats-Unis ne sont plus les faiseurs de rois. Ils n’en ont plus la volonté. Ils ne sont même pas sérieusement intervenu lors de la réadmission scandaleuse de la Syrie d'Assad au sein de la Ligue arabe. On a l'impression qu'ils se refusent à chercher même d'influencer les décisions de politique étrangère des monarchies du Golfe. Il est vrai que la Chine renforce son influence au Moyen-Orient comme en Afrique ou ailleurs. Cependant, elle n’a pas remplacé les Etats-Unis qui restent, en termes de pourvoyeurs de sécurité, un outil essentiel. C'est encore la limite de leur retrait. Mais il est vrai aussi que la non-politique des Américains à propos du Yémen, du Liban, de la Syrie, et même de l'Irak et de l'Iran, sans parler de l’ère Trump où il y avait encore moins de ligne, ne renforce pas leur capacité à utiliser de leur influence. Biden est, de ce point de vue, dans la ligne directe de celui dont il fut le vice-président. Cela a aussi renforcé la Russie dont plusieurs Etats de la région sont des complices actifs - Egypte, Emirats, sans même parler de la Syrie et de l'Algérie - sans que Washington ne parvienne, voire peut-être ne cherche, à contrer les menées néfastes

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