Procès sur la sextape de Benjamin Griveaux : l’occasion manquée de s’attaquer au revenge porn<!-- --> | Atlantico.fr
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Benjamin Griveaux.
Benjamin Griveaux.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Revenge porn

En limitant l’affaire à un scandale politico-people, le gouvernement comme Benjamin Griveaux lui-même sont passés à côté de la question de la défense des droits de très nombreuses victimes.

Caroline Zorn

Caroline Zorn

Caroline ZORN est Avocate au Barreau de Strasbourg et Porte-parole du Parti Pirate.
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Atlantico : En février 2020, Benjamin Griveaux a abandonné sa campagne pour la mairie de Paris suite à la diffusion de vidéos intimes, créant ainsi un scandale médiatique. Cependant, l'attention s'est principalement portée sur l'aspect politico-people de cette affaire, plutôt que sur le revenge porn. Pourquoi cette affaire est-elle restée principalement cantonnée à la sphère people ?

Caroline Zorn : La raison pour laquelle cette affaire est restée essentiellement perçue comme un sujet people réside bien sûr, avant tout, dans la personnalité et la position des parties en présence, mais aussi dans le fait qu'il aurait fallu s'attaquer au rôle des plateformes pour lutter efficacement contre cette pratique. C'est un sujet très délicat et les victimes se retrouvent souvent démunies face à cette situation, malgré quelques améliorations notables au cours des dernières années. Les pouvoirs publics ont commencé à prendre conscience de l'ampleur du problème avec la loi pour une République numérique de 2016 qui a créé l’article 226-2-1 du Code pénal réprimant jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 60 000 euros d'amende le fait, "en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même ». La pratique du revenge porn a pu être sanctionnée mais il reste encore compliqué pour les victimes de réussir à faire retirer les contenus de toutes les plateformes où ont été diffusées les images. 

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Dans quelle mesure aurait-il été souhaitable de saisir cette occasion pour s'attaquer au problème du revenge porn ?

D'un point de vue strictement juridique, cette affaire sera jugée en se basant sur l'article 226-2-1 du code pénal : cette disposition permet la condamnation de l’auteur de la diffusion, sans consentement, de paroles ou d'images pornographiques d’une personne, même si ces documents ont été obtenus avec le consentement de la personne. En revanche, ce n’est pas cet article de loi qui permet d’avoir les moyens de lutter contre la diffusion des contenus en ligne. Il faut dans ce cas utiliser un autre texte : l'article 6 de la Loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 spécifie que les hébergeurs de contenus doivent rétracter tout contenu illicite à partir du moment où ils en ont connaissance … mais c’est une procédure complexe. Le Digital Services Act (DSA), qui entrera en vigueur au plus tard le 17 février 2024 dans toute l’Union européenne devrait en théorie résoudre ces problèmes et donner des moyens appropriés pour faire retirer les contenus de revenge porn plus rapidement. 

Comment concilier la lutte contre le revenge porn et la protection des libertés publiques ?

Plus un organisme exerce un contrôle sur les contenus, plus il existe un risque d'atteinte aux libertés individuelles. Cela se vérifie avec tous les dispositifs techniques de protection et de contrôle. Intervenir rapidement pour limiter la propagation de ce type de contenu implique le risque de restreindre les libertés des individus. Évidemment, diffuser des photos intimes sans le consentement de la personne concernée n’est pas acceptable, au regard de la protection de la vie privée. Toutefois, il existe également le risque que les moteurs de recherche ou les outils de contrôle ne soient pas suffisamment performants, étant donné que les contrôles ne sont pas systématiquement effectués par des êtres humains.

À quel point le revenge porn est un fléau aujourd'hui ?

Il est extrêmement difficile d'évaluer l'ampleur de ce fléau. En raison de la honte qui l'accompagne, un nombre limité de personnes porte plainte. De plus, il est souvent complexe d'identifier l'auteur de la diffusion, car ce n'est pas nécessairement la personne initialement en possession de la vidéo qui la diffuse publiquement. Il convient de noter que la simple détention d’une vidéo prise avec le consentement de la personne, sans diffusion, n'est évidemment pas considérée comme une infraction ! Aujourd'hui, il est essentiel de changer le sentiment de honte associé à cette pratique.

Il est à noter que même sans plainte, il est possible de signaler aux hébergeurs la présence d'un contenu illégal. Cependant, cette démarche représente une première difficulté. Il faut effectuer une notification officielle, et si l'on parvient à prouver que l'hébergeur est informé de l'existence de ce contenu, il est alors possible d'engager des poursuites s'il n'est pas retiré. Bien entendu, cela ne garantit pas que le contenu en question ne sera pas diffusé massivement. Ce que l'on attend du Digital Services Act (DSA), c'est que les plateformes et les moteurs de recherche soient bien plus réactifs et plus fortement sanctionnés en cas de non-respect de leurs obligations.

Quelles mesures sont actuellement mises en place pour lutter contre le revenge porn ?

L’infraction associée au revenge porn est définie par le code pénal et ne pose pas de difficulté particulière depuis 2016. Le problème ne réside donc pas tant dans l'acte de diffusion d'une photo à caractère sexuel que dans notre capacité à enrayer sa prolifération sur les réseaux. Sans le DSA, nos moyens d'action sont limités à cet égard. En sortant du cadre juridique, il est évident que nous manquons cruellement d'éducation sexuelle, et d’éducation au numérique en France. La difficulté à aborder la question de la sexualité avec les adolescents, ainsi qu'au sein de la société en général, est un véritable obstacle. Sans une véritable sensibilisation à ce sujet, les jeunes sont davantage susceptibles d'envoyer des images intimes d'eux-mêmes et donc de tomber dans le piège du revenge porn. Ainsi, je considère que l'éducation sexuelle et l’éducation au numérique sont des enjeux primordiaux.

En ce qui concerne le DSA, les obligations prévues par ce texte seront appliquées au plus tard le 17 février 2024. En renforçant le contrôle des grandes plateformes, les internautes seront mieux protégés. Jusqu'à présent, ces plateformes se contentent de faire le strict minimum. À l’avenir, avec la fin de l’opacité sur les «  recettes de la modération des réseaux sociaux »,  il sera possible de détecter si un opérateur favorise par exemple les contenus pornographiques, ce qui constitue déjà un signe peu encourageant pour des sites qui ne sont pas exclusivement destinés à cet usage. Le coordinateur des services numériques, l'ARCOM en France, verra ses pouvoirs renforcés. Les plateformes qui ne respectent pas les règles pourront être soumises à de lourdes amendes pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d'affaires mondial. Les procédures de notification et d'action seront également beaucoup plus claires. Enfin, ces plateformes devront envisager de recruter du personnel chargé de vérifier les contenus.

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