Prix de l’électricité : le jeu dangereux d’EDF<!-- --> | Atlantico.fr
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EDF qui, bien que possédée par l’État à 100%, souhaite être une « entreprise comme une autre » selon l’expression de son PDG.
EDF qui, bien que possédée par l’État à 100%, souhaite être une « entreprise comme une autre » selon l’expression de son PDG.
©ALAIN JOCARD / AFP

Mal auto-infligé

Plusieurs questions se posent autour de la régulation des prix de l'électricité.

Jean-François  Raux

Jean-François Raux

Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et titulaire d’un DESS de Droit Public Européen, Jean-François Raux a effectué la majeure partie de sa carrière au sein d’Electricité de France et de Gaz de France.

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Rappelons que l’on est face à trois objectifs majeurs, antagonistes avec la question de la régulation des prix de l’électricité.

·EDF qui, bien que possédée par l’État à 100% souhaite être une « entreprise comme une autre » selon l’expression de son PDG, donc avoir une liberté commerciale la plus grande possible, pour maximiser ses profits, se désendetter, financer son nucléaire et, ne l’oublions pas, ses ENR (EDF est un gros acteur de l’éolien et du solaire, mais aussi des ENR à l’aval avec Dalkia) ; l’État actionnaire pourrait partager cet objectif…

·Mais l’électricité n’est pas un produit « normal »

oElle est un bien de première nécessité pour bien des ménages, c’est la composante de base ; malgré le bouclier tarifaire, la hausse artificielle de l’électricité en 2022 a été une catastrophe pour bien des ménages dans un contexte d’inflation.

oElle est un facteur de compétitivité pour les entreprises, petites, moyennes et grosses ; 0,5% des entreprises (les électros intensifs) pèsent pour 50% de la consommation : l’électricité est donc un facteur clef de la réindustrialisation décarbonée de la France ; le nucléaire français a été la hantise de l’industrie allemande !

oElle est un facteur clef de la décarbonation de l’économie : la transformation des usages fossiles en usages de l’électricité en est une des clefs ; cela ne peut se faire que si l’électricité est moins chère que les énergies fossiles qu’elle entend remplacer ! On l’oublie trop souvent ! À la fin des années 90, les transferts massifs du pétrole et du gaz vers l’électricité se sont arrêtés parce que les prix du pétrole et du gaz avaient fortement baissé et que le passage à l’électricité n’était plus compétitif (TRI trop long).

·La France a accepté (on ne lui a rien imposé) les directives européennes sur la concurrence dans l’électricité et le gaz, et la fin du monopole d’EDF : mais pour des raisons idéologiques, le nucléaire est resté un monopole d’EDF, de plus en plus inefficient puisqu’EDF sous-performe en exploitation comme en construction depuis 2005 (date de mise en bourse).

Voilà le tableau général très compliqué qui permet d’approcher la question de la régulation des prix du nucléaire !

EDF a « négocié » dans un bras de fer avec l’État un système qui repose sur quatre points principaux (pour ce que l’on en sait) :

·Un « prix cible » autour de 70€/MWh, censé permettre, à minima, le financement du parc (prolongation du parc actuel + construction des nouveaux réacteurs EPR)

·Une liberté commerciale : le PDG a parlé de « commerçant responsable » comme revendication majeure pour EDF. Ce n’est pas idiot, sur le papier, puisque, bien évidemment, le prix, y compris du nucléaire, varie selon différents paramètres : forme de la courbe de charge, durée d’utilisation de la puissance appelée (base, pointe, etc.), durée du contrat et lissage du prix / prix de marché… etc.

·La possibilité, en lieu et place de l’ARENH, de négocier des contrats de long terme (5, 10, 15 ans…) avec à la fois ses concurrents (dont TOTAL ENERGIES, très partisan par construction de la liberté du commerce) et ses gros clients ;

·L’engagement (moral ?) de « stabiliser » les ventes aux particuliers, sans que l’on sache très bien comment seront demain calculés les Tarifs Régulés de Vente aux particuliers (proposés par la CRE à l’état).

·Un système de liberté de vente « en gros » avec semi-contrat pour différence : pas de prix plancher, mais un prix plafond et un prélèvement croissant de l’état (jusqu’à 90%) si le prix de vente dépasse 110€. Le surplus prélevé par l’État étant redistribué au consommateur via une subvention à postériori… sur quels critères ? (une belle usine à gaz bureaucratique en perspective !).

Tout le monde a pensé, avec cette régulation, éviter la crise des prix « vers le haut », l’envolée délirante des prix de 2023 sur un marché de l’électricité spéculatif, rendu dépendant du prix du gaz à cause 1/ de l’arrêt de l’achat de gaz russe 2/ de la crise du nucléaire français, avec en plus, 3/ des sur réactions des traders sur les prix à terme !

Est-ce que personne n’a pensé à l’inverse ? Telle est la question que l’on peut se poser. On a l’impression qu’EDF n’a pas pensé au fait que le prix de marché de l’électricité descendrait progressivement en dessous de 70 €/MWh, soit en dessous du prix cible pour le nucléaire. Epex-spot donne pour 2026 des prix en dessous de 65€. Cela veut dire que des acteurs de marché ne sont plus sur des tensions fortes, mais sur une détente forte ! 

En effet, on constate sur les marchés que les facteurs de tension sont derrière nous de manière spectaculaire !

-L’approvisionnement gaz (GNL) est redevenu normal et les prix du gaz se sont fortement détendus. Pouyanné a été très clair.

-La consommation d’électricité a baissé, non pas par sobriété autoconsentie, mais structurellement, par effet prix : par rapport aux valeurs moyennes historiques (2014-2019), la consommation de l’année 2023 est en baisse de 6,9%, ce qui est énorme ! Elle atteint 445 TWh en valeur corrigée, un peu moins en valeur réelle !

-Ajoutons que le changement climatique semble avoir un impact majeur sur la douceur des hivers ; donc un des facteurs de tension majeurs sur le système électrique s’éloigne de plus en plus.

-Enfin, last but not least, “Les productions éolienne et solaire ont atteint en 2023 des niveaux records : 50,7 TWh pour l’éolien et 21,5 TWh pour le solaire photovoltaïque » (RTE). Or, la consommation française pourrait presque être fournie par un parc nucléaire tournant « normalement » autour de 430/440 TWh, sans sous-performer comme depuis plus de dix ans (sans prendre le problème des CSC comme paravent !). Le coefficient de disponibilité (Kd) et le facteur de charge du nucléaire ont baissé de plus de 20% depuis 2003, ce qui est énorme. 

-Rappelons également, que le nucléaire ce sont 80% de coûts fixes : si vous produisez plus (revenons au niveau des meilleures années : 430TWh), le prix moyen du nucléaire baisse de 10€ environ, voire peut-être plus.

Donc, on peut se demander légitimement si l’État et EDF ont bien pesé les tenants et les aboutissants structurels du marché orienté, semble-t-il durablement à la baisse ?

EDF aurait-elle dû « accepter » (ou réclamer) un vrai CFD, avec un prix plancher ?

En théorie oui, bien sûr car il est démontré depuis longtemps que le marché « energy only » tel qu’organisé actuellement n’est pas capable de financer des actifs longs sans garantie de prix sous une forme ou sous une autre. Il en va pour le nucléaire comme pour les ENR (éolien surtout) où les coûts fixes sont prépondérants, donc le coût du capital est critique : sans garantie de prix, la prime de risque sur le coût du K est trop élevée, et le prix devient exorbitant. Le prix du nucléaire peut varier du simple au double selon le coût du capital !

Mais pour EDF, il y a l’enjeu « Bruxelles », donc DG Comp. EDF reste, en France, un monopole sur le nucléaire. Il faut appeler un chat, un chat ! Il est probable qu’une garantie de prix (donc de revenu) minima sur ce monopole ferait ressortir des projets comme Hercule, enterré à grands frais, et jugé inacceptables par l’entreprise. Notons qu’Hercule, qui maintenait de fait le monopole sur le nucléaire, ne résolvait pas le principal problème : la mise en tension par la concurrence d’EDF qui sous-performe à la fois en exploitation et en construction du nucléaire !

Donc il semble que dans la tête d’EDF, le filet de sécurité du prix minima d’un CFD pour le nucléaire ne pouvait exister !

EDF et l’État sont donc, actuellement, probablement dans une impasse.

En effet, comme le soulignait récemment la presse, il semble qu’EDF n’arrive pas à négocier des contrats de LT avec ses « gros » clients. Peut-on s’en étonner ? Non ! Pour deux raisons.

-         Le passage de 42€/MWh à 70 a été jugé par de nombreux acteurs comme prédateur (trop élevé), même si le calcul (économique ?) semble le justifier pour une sous-production de 390TWh !

-         Nombreux sont les acteurs qui savent analyser le marché, ses tensions : autant, la crise politique du gaz liée à la dépendance confiante et stupide de l’Allemagne à la Russie, a surpris tout le monde, autant maintenant, comme le dit justement Pouyanné, le nécessaire a été fait (et bien fait) pour corriger le tir !!

On ne voit pas comment EDF échapperait à suivre le marché… même s’il est bas et ne permet pas de financer, selon elle, la prolongation de son parc et le nouveau nucléaire. À mon sens, et je ne suis pas le seul à le penser, la politique du nucléaire rare pratiquée par EDF depuis sa mise en bourse est une erreur.

Trop cher, le nucléaire risque de faire défaut au moment où cela devrait être son heure de gloire pour la réindustrialisation de la France et la lutte contre les fossiles, donc les émissions de CO2.

À suivre, donc !

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