Présidentielle 2022 : et si le critère clé n'apparaissait jamais dans les classements sur les priorités des Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants se rassemblent sur la Place d'Italie à Paris le 12 février 2022 alors que des convois de manifestants du "Convoi des Libertés" arrivent dans la capitale française.
Des manifestants se rassemblent sur la Place d'Italie à Paris le 12 février 2022 alors que des convois de manifestants du "Convoi des Libertés" arrivent dans la capitale française.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Élement manquant

Entre ceux qui sont heureux et ceux qui sont malheureux, il existe une différence notable dans les intentions de vote que l'on ne voit pas dans les sondages.

Martial Foucault

Martial Foucault

Martial Foucault est directeur du CEVIPOF. Il est spécialiste des questions de comportement électoral et d’économie politique.

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Atlantico : Vous analysez un clivage opposant classes « malheureuses » et classes « heureuses » ayant un impact concret sur les intentions de vote. Comment le ressenti de notre situation influe-t-il nos choix politiques ? pour qui votent les classes heureuses et malheureuses ?

Martial Foucault : Depuis 2017, je m’interroge sur les raisons qui ont conduit le pays à modifier voire chambouler l’espace politique de telle sorte que la sociologie électorale que nous appliquions parfois mécaniquement ne permet plus de comprendre le choix des électeurs. Une piste a été de mesurer le désamour, voire la détestation, des Français pour leurs représentants élus. Cette mise à distance du politique ne reposait pas simplement sur des critères d’appartenance à des classes sociales, des niveaux d’éducation ou de lieu de résidence. Non, mes collègues et moi (Y. Algan, E. Beasley, D. Cohen, M. Foucault, Les origines du Populisme, Le Seuil) avions mis en évidence un phénomène plus subjectif : l’absence de confiance sociale. Ici, je poursuis ce travail exploratoire en interrogeant une autre dimension subjective : la satisfaction de la vie menée. La place d’un tel affect est cruciale, combinée aux facteurs classiques (âge, sexe, PCS,…), car elle joue comme un accélérateur de mobilisation politique mais aussi comme un ressort du vote.  

Vous dites par exemple que la probabilité de voter Macron si on est heureux est de 38% alors qu’elle est de seulement de 8% pour Mélenchon. Comment l’expliquer ?

Si on est heureux, on préfère le statu quo politique et si on est malheureux, on plébiscite le changement en écartant les sortants. Évidemment, cette mesure du bonheur ne tient pas compte de toutes les dimensions personnelles, familiales, professionnelles. C’est un agrégat de la manière dont on se représente son propre bonheur. C’est sans doute imparfait mais la mesure est la même pour toutes les personnes interrogées (enquête réalisée auprès de 12 500 personnes en âge de voter). 

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Le net avantage que tire E. Macron des classes heureuses s’explique essentiellement par des trajectoires personnelles de citoyens qui éprouvent un fort sentiment de réussite dans leur vie privée et professionnelle. Voter E. Macron, c’est voter pour la stabilité. Une deuxième raison doit être cherchée dans la séquence 2017-2022 qui a vu une France qui ne s’est pas simplement archipellisée, pour reprendre l’expression de Jérôme Fourquet, mais qui n’a pas réussi à enrayer les écarts de bien-être entre les habitants. À l’inverse, les sympathisants de J.-L. Mélenchon ont le sentiment d’être moins protégés de trois types de crise : politique, culturelle et économique. La somme de ces bouleversements les rend davantage malheureux alors qu’ils disposent d’un capital social et éducatif élevé. C’est l’exemple d’un professeur des écoles, avec un Bac + 5, dont le salaire reste modeste et la profession insuffisamment reconnue et valorisée. 

Dans un article paru dans Le Monde, vous expliquez que la réalité de ce sentiment n’est pas seulement une affaire monétaire. Les plus riches ne sont pas forcément dans la classe heureuse et inversement. Si ce n’est pas (seulement) l’argent, quels sont les faits, les données tangibles qui peuvent exercer cette influence sur ce ressenti heureux ou malheureux, et donc par extension sur le vote ? 

L’idée de construire une catégorie subjective du bonheur vs. malheur vise à distinguer les formes matérielles du bonheur de ces aspirations immatérielles. Le sociologue Ronald Inglehart avait démontré que la deuxième moitié du XXème siècle avait vu s’affirmer le post-matérialisme avec des individus de plus en plus autonomes, affirmatifs, libérés des hiérarchies familiales ou religieuses. Il observait la montée d’un bonheur ou d’une aspiration au bonheur sans matérialité. Or cette même période est aussi celle d’une montée historique de la consommation individuelle. Il n’est donc pas surprenant d’observer dans nos données des personnes heureuses sans revenus du travail (salaire) ou du capital (patrimoine) exceptionnels et inversement des personnes richement dotées sans expression du bonheur. 

Peut-on tracer un portrait-robot des classes heureuses ou malheureuses d’un point de vue socio-économique ?

Il est difficile de répondre avec précision à cette question car un tel portrait pourrait laisser entendre qu’il serait représentatif des Français heureux et malheureux. Mais disons qu’il existe trois France : La France des personnes malheureuses (20%), la France des personnes ni heureuses ni malheureuses (33%) et celle des personnes heureuses (47%). Les hommes ont tendance à ressentir plus de bonheur que les femmes. Les cadres supérieurs sont 60% à se définir comme heureux contre 33 % pour les inactifs, 37% pour les ouvriers ou 38% pour les employés. Plus le niveau d’éducation est élevé, plus le sentiment de bonheur est grand. Mais aucune différence n’est observée selon le lieu de résidence : la France rurale et la France urbaine ne se démarquent pas sur ce terrain.

A quel point le ressenti et les sentiments ont-ils pris une importance croissante comme déterminant du vote d’élection et d’élection ? Qu’est ce qui peut l’expliquer ?

La place des émotions, des affects, des ressentis occupent une place de plus en plus importante dans les comportements politiques. Dans des sociétés où les débats d’idées se sont étiolés au bénéfice d’une professionnalisation de vie politique, il est difficile pour un électeur de ne pas convoquer ses affects au moment du vote si les oppositions idéologiques perdent de leur substance. Les idées, au-delà du champ politique, ont structuré le XXème siècle. Aujourd’hui, les émotions s’imposent, sans pour autant tout expliquer à elles-seules, dans l’explication du vote car elles renvoient à un rapport de plus en plus individuel à l’acte de vote (cf : https://shows.acast.com/je-vote-tu-votes-nous-votons/episodes/les-gens-en-colere-votent-ils-tous-aux-extremes).  

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