Poutine ou le paradoxe de la guerre à demi<!-- --> | Atlantico.fr
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Les courroies de transmission patinent, une multitude de petits centres de pouvoir se forment et s’affrontent, Poutine n’arrive plus à discipliner ses élites comme il le faisait auparavant.
Les courroies de transmission patinent, une multitude de petits centres de pouvoir se forment et s’affrontent, Poutine n’arrive plus à discipliner ses élites comme il le faisait auparavant.
©Odd ANDERSEN / AFP

En même temps russe

Les journalistes russes Andrei Soldatov et Irina Borogan ont émis l’hypothèse que Poutine mène en Ukraine une guerre à “mi-temps”.

Françoise Thom

Françoise Thom

Françoise Thom est une historienne et soviétologue, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Atlantico : Les journalistes russes Andrei Soldatov et Irina Borogan ont émis l’hypothèse que Poutine mène en Ukraine une guerre à “mi-temps”. Qu’entendent-ils par cette hypothèse ? Dans quelle mesure Poutine ne mène-t-il pas une guerre totale en Ukraine ?

Françoise Thom : Effectivement on remarque un décalage constant entre le discours de la propagande appelant à « la guerre totale » et les décisions prises par Poutine qui semblent ménager la chèvre et le chou, les blogueurs militaires souhaitant la mobilisation de l’économie sur le modèle stalinien, et les « libéraux systémiques » qui mettent en garde contre l’effondrement en cas d’étatisation totale de l’économie. Il y a quelques jours encore, Poutine a beaucoup déçu son auditoire lors de sa terne allocution devant le parlement. Les medias avaient annoncé des changements spectaculaires ; en réalité la montagne accoucha d’une souris. La première raison de cette approche « hybride » de la guerre tient au caractère du président russe. De formation, Poutine est un officier du KGB et un exécutant, poltron de surcroît. Il a l’habitude d’agir de manière sournoise, sans se faire prendre, en faisant endosser sa politique par d’autres. Il n’est nullement taillé pour être un chef de guerre. Il s’est lancé dans l’affrontement avec l’Ukraine parce qu’il croyait que l’intervention se réduirait à une opération de police, un peu comme la chasse aux dissidents à laquelle il se livrait dans sa jeunesse. Et rigide comme il est, il a beaucoup de mal à abandonner son projet initial et endosser la responsabilité d’une vraie guerre. La deuxième raison tient à l’état de décrépitude avancée du système poutinien. Les courroies de transmission patinent, une multitude de petits centres de pouvoir se forment et s’affrontent, Poutine n’arrive plus à discipliner ses élites comme il le faisait auparavant.

Comment expliquer ce découplage entre la rhétorique sanglante employée par Vladimir Poutine et les actions réelles des forces russes sur le terrain ? Faut-il y voir une stratégie purement politique ?

On ne peut pas dire que l’armée russe prenne des gants en Ukraine. Poutine et ses militaires sont toutefois sérieusement entravés par les pénuries, le désordre et la corruption. Pendant les 20 dernières années, le budget militaire a été un moyen d’enrichissement de la  caste proche du  Kremlin qui se partageait les généreux subsides. Poutine a vraiment joué un mauvais tour à ces courtisans en épaulettes en leur demandant de se battre.

Quels peuvent être les avantages de cette politique pour Vladimir Poutine à l'heure actuelle ? A-t-il peur que la population russe se révolte face aux problèmes humains et économiques engendrés par le conflit ?Combien de temps cette guerre à mi-temps pourra-t-elle durer ? S’il est amené un jour à prendre des décisions plus radicales, risque-t-il de manquer de marges de manœuvre ?

Cette politique est intenable sur le long terme. Poutine a été obligé de mobiliser, l’intendance bat de l’aile. A mesure que la Russie s’enfonce dans la guerre, les pressions pour une bolchevisation de l’économie vont devenir plus insistantes. Prigojine se taille déjà une belle popularité dans certains milieux en préconisant de « dékoulakiser » les riches, de fusiller à tour de bras comme au temps de Staline. Même si Poutine ne souhaite pas un retour à l’URSS sur le plan économique, les exigences de la guerre conduiront nécessairement à une économie administrée. Le 2 mars, Poutine a signé un décret stipulant qu'en cas d'introduction de la loi martiale, les entreprises qui ne remplissent pas les commandes d’armement passeront sous contrôle extérieur. Ainsi les droits des actionnaires et de leurs organes directeurs seront suspendus jusqu’à ce que soit levée la loi martiale.  Ceci veut dire que pratiquement n’importe quelle entreprise peut être nationalisée et absorbée par les grandes corporations d’État. On le voit, les marges de manœuvre se rétrécissent. Les discours de Prigojine sont un signe clair de la déliquescence avancée du pouvoir russe. On se souvient qu’à l’arrivée au pouvoir de Poutine le sceau du secret a été imposé  aux querelles de clan au sommet. Il fallait à tout prix éviter que les concurrents ne se tournent vers le peuple et ne recherchent un soutien public contre leurs rivaux, comme c’était le cas sous Eltsine. Car l’expérience montrait qu’une fois réveillé le peuple pouvait balayer les uns et les autres. Aujourd’hui cette règle d’or consistant à régler discrètement les différents à huis clos n’est plus respectée. Poutine a semé le vent et récolté une tempête dont il n’est plus maître.

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