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Pourquoi les Etats-Unis ne renonceront jamais aux armes à feu
©Seth HERALD / AFP

Bonnes feuilles

André Kaspi publie "La nation armée" aux éditions de L’Observatoire. Pourquoi ne comprenons-nous pas le débat sur les armes à feu qui enflamme l'opinion américaine ? L'historien André Kaspi nous en explique les origines et l'actualité. Le débat divise le pays, au même titre que l'avortement, la peine de mort et l'immigration. Extrait 2/2.

André Kaspi

André Kaspi

André Kaspi, est agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire des États-Unis. Il a été professeur d'histoire de l'Amérique du Nord à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur du Centre de recherches d'histoire nord-américaine (CRHNA). Il a présidé notamment le comité pour l'histoire du CNRS.

 

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Un débat autrement plus intense concerne le port d’armes, plus précisément le port d’une arme de poing. Faut-il autoriser n’importe qui à détenir un revolver ou un pistolet ? S’il bénéficie d’un permis, n’importe qui peut-il porter son arme à la ceinture à la vue de tous (open carry) ou la dissimuler sous un vêtement (concealed carry) ? Dans le Far West du XIXe siècle, il y avait une règle, contraire aux images que transmettent les westerns. Les pionniers et les cow-boys étaient armés pour combattre les Indiens, les hors-la-loi, les ours, les serpents et d’autres bêtes sauvages. Mais quand ils entraient dans une ville, fût-elle récente et encore peu soumise aux règles constitutionnelles, ils devaient déposer leurs armes. Le shérif y veillait. À Wichita, dans le Kansas, une pancarte décorait l’entrée de la ville : « Laissez vos revolvers auprès de la police, et vous prendrez votre ticket. » À Dodge City, autre pancarte et même message : « Le port d’armes à feu est strictement interdit. » John Wayne n’aurait pas pu arpenter les rues avec son six-shooter dans une main et son fusil dans l’autre. Ailleurs que sur la Frontière, la même règle était appliquée. En revanche, dans les villes de l’Est et dans le Sud rural, esclavagiste ou ségrégationniste, un gentleman n’avait aucune raison de dissimuler son arme. La cacher aurait été une atteinte à la vie sociale, à l’honnêteté individuelle, à une bonne réputation. Seuls les bandits avaient intérêt à ne pas exhiber leurs armes. Au lendemain de l’émancipation des esclaves, la population blanche du Sud ne cessa pas de manifester son inquiétude : dissimulée ou non, toute arme devait être interdite aux Noirs.

Aujourd’hui, le port d’armes en public est précisément réglementé. Depuis une trentaine d’années, les réglementations succèdent aux réglementations. Mais une fois de plus, tout dépend de chacun des États : 41 États, plus le District de Columbia (la ville de Washington), autorisent automatiquement le port d’une arme cachée ; les neuf autres exigent une autorisation préalable. Une fois de plus, la réglementation varie d’un État à l’autre. Et même à l’intérieur d’un État : en Californie, par exemple, il n’est pas nécessaire dans les zones rurales d’obtenir un permis, mais il est obligatoire d’en avoir un dans les villes. Des associations de défense des détenteurs d’armes recommandent la prudence. Elles recommandent aussi qu’on ne porte pas d’armes à la ceinture lorsque l’on assiste à une réunion publique, surtout si le président des États-Unis est présent. On comprend pourquoi, compte tenu de l’histoire récente du pays. 

Les policiers ne sont pas soumis, cela va de soi, à une éventuelle interdiction. La loi fédérale autorise les agents fédéraux en activité, voire à la retraite, à porter une arme cachée et à circuler d’un État à l’autre. Cinq États (la Californie, la Floride, l’Illinois, le New York et la Caroline du Sud) plus le District de Columbia interdisent aux simples citoyens le port d’armes dans les lieux publics (open carry). Trente et un États l’autorisent, sans permis, parfois à condition que l’arme ne soit pas chargée. La législation n’est pas la même suivant qu’il s’agit de pistolets ou de fusils. Dans quarante- quatre États on peut porter un fusil en public encore que trois États exigent que le fusil ne soit pas chargé. Dans le Colorado, n’importe qui peut porter une arme en public, sauf dans la ville de Denver. Dans le Maryland, il n’existe aucune restriction, que ce soit pour les armes de poing ou pour les fusils. Au Texas, le port d’un revolver ou d’un pistolet est autorisé, une fois qu’un permis a été délivré ; à condition, pourtant, que l’arme soit placée dans la ceinture ou dans un holster, mais aucune restriction pour le port d’un fusil. Bref, autant de dispositions réglementaires que d’États, voire que de collectivités territoriales, avec cette distinction entre armes de poing (pas toujours visibles) et fusils (qu’on ne peut pas dissimuler). S’il se déplace sur le territoire national, tout citoyen américain fera bien de transporter dans sa valise une vaste documentation, avec les lois, les règlements locaux, les décisions judiciaires qui varient d’un État à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un comté à l’autre. 

Résultat : 9 millions de détenteurs d’armes – soit un sur quatre – portent, au moins une fois par mois, une arme de poing, et 3 millions le font tous les jours. Il ne faut pas être surpris si, ici ou là, on croise un individu, presque toujours un homme, pistolet à la ceinture, à moins que l’on devine qu’il cache une arme sous sa chemise ou sous sa veste. À ces dispositions générales s’ajoutent des cas particuliers. Cinq États autorisent les étudiants à porter sur leur campus des armes dissimulées. Quelques États restituent aux anciens détenus leur droit d’être armés. Des règlements subtils, sans doute ignorés de la plupart, différencient les armes chargées des armes non chargées. Ils ajoutent des précisions : est-il légal d’engager une balle dans le canon de l’arme ? Jusqu’à quel point l’arme est-elle cachée ? Une rafale de vent ne pourrait-elle pas révéler à tous le revolver que l’on avait enfoui sous une chemise – ce qui transformerait le concealed carry en open carry ? Un restaurateur ou un tenancier de bar peut-il afficher, à l’entrée de son établissement, que toute arme est interdite ? L’observateur étranger n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles. La multiplicité et la subtilité des dispositions légales et réglementaires sont infinies – et les changements succèdent aux changements. Suivre l’évolution des règlements, d’un État à l’autre, devient une occupation à plein temps, avec la certitude que l’on prendra du retard sur les décisions législatives. 

Un dernier exemple de cette complexité, qui laisse pantois même les citoyens américains : ce qui vaut dans un État est-il applicable dans un autre État ? Question importante pour les voyageurs. Aux dernières nouvelles, la Virginie-Occidentale vient de conclure un accord avec la Pennsylvanie et la Floride. Les deux États seront ajoutés à la liste des vingt-huit autres qui reconnaissent la législation de la Virginie-Occidentale sur les armes cachées. Le Kentucky et la Virginie font partie de la liste – mais pas le Maryland et l’Ohio, deux États pourtant voisins de la Virginie-Occidentale.

Extrait du livre d’André Kaspi, "La nation armée", aux éditions de L’Observatoire.  

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