Pourquoi le temps des hypermarchés est révolu<!-- --> | Atlantico.fr
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La tendance n'est plus aux courses à l'hypermarché mais aux commerces de proximité
La tendance n'est plus aux courses à l'hypermarché mais aux commerces de proximité
©Reuters

Les Mammouth n'étaient que le début...

Les hypermarchés, pour certains situés dans de vastes centres commerciaux, ont poussé comme des champignons en France à partir des années 70. S'ils restent encore fréquentés, les consommateurs sont de plus en plus nombreux aujourd’hui à réclamer des commerces de proximité, et à faire confiance à l'e-commerce ainsi qu'aux systèmes de "Drive".

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Les consommateurs britanniques préfèrant désormais faire leurs courses plus souvent et en petites quantités plutôt que de se rendre dans les grandes surfaces une fois par semaine, les grandes enseignes comme Tesco sont obligées de s'adapter en ouvrant de plus petits magasins. Cette tendance est-elle une réalité en France ? Comment analyser ce changement de comportement et depuis quand le constate-t-on ?

Christophe Benavent : La réalité est qu'on observe une plus grande variabilité des comportements. Oui, plus nombreux sont ceux qui achètent souvent et peu, mais oui aussi, on risque de voir des comportements consistant à acheter en volume plus  que ce que l'on a jamais connu. Il manque aujourd'hui une offre telle que le propose Costco aux Etats-Unis.

Les réalités territoriales sont particulièrement diverses en France. Quelles sont les différences que l'on constate dans le comportement des consommateurs en fonction de leurs lieux de vie ? Par ailleurs, en quoi varient-ils selon le ménage, alors que la tendance est à la réduction de la taille de ce dernier ?

Oui c'est évident, et les cartes de densités de commerce produites par l'Insee révèlent ces disparités : le hard discount est très dense dans le nord-est, l'hyper dans l'ouest, le super dans le sud, etc. Et cette réalité territoriale tient tout autant à la distribution spatiale de l'habitat (urbanisation), aux évolutions démographiques (réduction de la taille des ménages et vieillissement) qu'aux disparités sociales et de revenus. Le point principal est de savoir si l'ensemble du territoire est homogène du point de vue de ces critères ou tend à une certaine hétérogénéité. La réponse est assez claire, nous tendons vers plus d’hétérogénéité et, pour employer le langage des géographes, vers une ségrégation spatiale accrue. Les riches ont tendance à rejoindre leurs semblables, les plus démunis restent où ils sont. Pour les distributeurs cela représente un défi. Il n'y a pas de formule magique, la multiplication des formats est une nécessité et la capacité de les ajuster aux territoires est la clé de leur avantage compétitif.

Au fond le défi est de conjuguer la logique des économies d'échelles, en passant à une autre échelle, tout en satisfaisant à la nécessité de s'adapter à une clientèle de plus en plus différenciée. La solution passe certainement par des stratégies qui s'appuient moins sur la force des points de vente et le choix des formats porteurs, que sur la gestion d'un réseau de formats. En gros, ce que l'on appelle dans les modèles productifs des modèles de différenciation retardée.

En France, les hypermarchés de périphérie affichent des résultats en baisse, comme le Carrefour de Villiers en Bière, en Seine et Marne, qui a perdu 4.5 % de chiffre d’affaires en 2012 par rapport à 2011. Pourquoi le modèle des très grandes surfaces, ces lieux marchands qui attiraient les consommateurs dans les années 1980 et 1990, est-il désormais remis en cause ?

Contrairement à ce qui se passe en Grande-Bretagne, les hypers et supers ont regagné du terrain sur le Hard-discount, reprenant 2 à 3 points de part de marché essentiellement en renforçant l'activité promotionnelle. Cependant la conjoncture est à la baisse des chiffres d'affaire du commerce alimentaires (environ -1,5% en 2012 et 2013), reflétant très certainement la stagnation du pouvoir d'achat. De là à conclure que le modèle des très grandes surfaces est remis en cause serait trop rapide. L'analyse doit dépasser la conjoncture et revenir à des facteurs plus structurels : l'évolution de la démographie - le nombre de personnes par foyer qui a fortement décru et l'urbanisation croissante - ne va pas en faveur du modèle hypermarché et favorise plutôt le super. Mais ces évolutions sont très lentes. Un autre facteur structurel est celui d'une certaine culture de consommation qui fait du shopping une pratique culturelle à part entière, du moins un divertissement. Et là aussi ce n'est pas en faveur de l'hyper, sur le modèle du "tout-sous-un-même-toit". Mais il reste des forces : l'arme du prix augmentée par celle de la promotion et celle de l'étendue des références qui permet de satisfaire une grande variété de consommateurs et de consommations. Alors oui ce modèle est remis en cause, sans aller pour autant jusqu'à croire à son déclin immédiat et rapide. Disons qu'il est depuis un bon moment dans une phase de maturité. La remise en cause appelle des réponses d'une part en exploitant mieux leurs atouts géographiques - ils sont toujours avec les centres commerciaux - en accroissant le spectre des services qu'ils offrent, et en renforçant leur proximité affective.

En 2013, une enquête (voir ici) de l’Observatoire société et consommation révélait que deux tiers des personnes interrogées estiment que les hypermarchés ont leur part de responsabilité dans la crise économique. Que reprochent les Français à ces hypermarchés ?

Je crains que ce genre de réponse relève de la logique du bouc émissaire : les hyper marchés sont gros, le puissant a toujours tort, le small est toujours beautiful ! Notons au passage que l'indice des prix des hypers a évolué moins vite que celui des supers et que ces derniers ont perdus plus de part de marché que les premiers. La véritable question n'est pas celle de l'opinion mais celle de la légitimité des grandes enseignes.

Après avoir déserté le centre-ville pour la périphérie, les grandes enseignes de commerces reviennent désormais au plus proche des consommateurs, comme Carrefour avec Carrefour Proximité et Casino avec Casino Proximité. Ce retour des commerces de proximité, plus proches et plus humains, est-il toutefois un phénomène durable ?

Ce qu'on appelle proximité ici ce sont plutôt des magasins de centre-ville. Et clairement, les grands groupes ont réinvesti un espace qu'ils n'occupaient pas essentiellement à Paris et dans les grandes villes en ouvrant de nouveaux points de ventes (+76% à paris en 10 ans) et  en reformatant et rénovant d'anciens points de vente. Le cas de monoprix et de ses monop est sans doute le plus spectaculaire et le plus réussi. Mais ce n'est pas forcément un retour des magasins de proximité, puisque dans les chiffres les petites surfaces représentent une part de marché stationnaire et un CA en baisse. Ce qu'il y a de clair c'est qu'il y a une revendication de proximité et sans doute une substitution aux épiceries de quartier traditionnelles. Est-ce que ces nouveaux formats sont plus humains que l'épicier du coin - autrefois maghrébins, aujourd'hui chinois et de plus en plus souvent pakistanais ? Je laisse au lecteur le soin de s'en faire une opinion. Oui, le phénomène est durable, même si l'on peut s'attendre à ce que de nouveaux formats émergent venant d'ailleurs (avec 7-eleven qui comporte plus de 50 000 points de ventes dans le monde, c'est-à-dire bien plus que McDonald) ou d'ici. La tendance est en fait celle de la standardisation du commerce. Une standardisation qui passe moins par celle des formats et des processus logistiques que par la nouvelle économie des plateformes. Dans ce sens, je regarderais avec soin des modèles à la La ruche qui dit oui qui rénove le modèle oublié des coopératives, et je m'interrogerais sur les modèles d'abonnement : du camion de bière au rêve d'Evian de la livraison à domicile.

Autre tendance, le développement de l’e-commerce et du Drive, ces courses effectuées en ligne et récupérées dans les magasins quand le client le souhaite. Comment expliquer le succès des Drive, plus nombreux que les hypermarchés depuis 2013 ? Les achats en ligne révolutionnent-ils notre façon de faire des courses ?

Le drive est clairement une tendance lourde. En mars il y en avait 2031, soit autant que d'hypermarchés, et le nombre d'ouvertures est de l'ordre de 80 par mois. Il représente sans doute désormais 7 à 10 % du CA des grandes enseignes. Quant au e-commerce stricto-sensu, s'il atteint 51 milliards de CA et moins de 10% de l'ensemble du commerce, il se concentre dans un nombre réduit d'enseignes et de secteurs. On ne peut pas parler de révolution mais de transformation. Le point clé est sans doute qu'à volume constant d'achat les consommateurs les répartissent dans une plus grande variété de formats et d'enseignes, et que l'usage des applications (shopping list, carte de fidélité, comparateurs, etc.) jouent un rôle de plus en plus important. Cette transformation est lente, progressive et inattendue. J'aurais tendance à mettre l'accent sur l'inattendu : quand au début des années 2000 l'on rêvait de livraison à domicile, c'est finalement le drive qui a surgit. Aujourd'hui avec l'explosion soudaine de formes collaboratives de consommation, notamment dans le transport, on pourrait s'attendre à voir émerger des formes radicalement nouvelles de commerce. Pourquoi pas sur un modèle rénové des coopératives ? Dans tous les cas, la tendance n'est pas à un nouveau modèle mais à la multiplication de nouveaux modèles.

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