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Pourquoi la France 
n'aura jamais d'humoriste 
comme Sacha Baron Cohen
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Lol

Aujourd'hui sort au cinéma "Le dictateur", le nouveau film de Sacha Baron Cohen. Le réalisateur anglais de "Borat" devrait encore créer la controverse avec son humour provocateur et potache... très éloigné de l'humour français.

François David et Gordon Zola

François David et Gordon Zola

François David, auteur de So British, l'humour à l'anglaise, et Gordon Zola, auteur de L'Humour pour les Nuls, parus en 2010.

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Atlantico : Un film comme « Le dictateur » aurait-il pu être réalisé en France ?

François David: Je ne pense pas. Sacha Baron Cohen a un humour extrêmement décalé qui ne correspond pas à l’humour français – si tant est que cet humour existe. Le seul réalisateur français qui pourrait s’en rapprocher serait Jean Pierre Mocky, mais ce n’est pas le genre de la maison France.

Sacha Baron Cohen est anglais. Son film est-il typique de l’humour à l’anglaise ?

François David : Déjà dans Borat, Sacha Baron Cohen se moquait de lui-même, comme les Anglais. Cela dit, l’humour anglais est beaucoup plus fin, moins scatologique que ça. Il n’y a aucune filiation, par exemple, avec les Monthy Python, qui sont plus subtiles dans l’absurde. Borat était un film formidable, mais je n’irai pas voir Le Dictateur. Les films qui ont suivi sont des sous-Borat. Comme Benigni : après La Vie est Belle, tous ses films étaient des échecs.

Gordon Zola : Contrairement à l’humour français, les Anglais ne donnent pas dans l’excès de provocation. C’est inutile : ils rient de choses comme la misère et les difficultés sociales, avec beaucoup de brio. Voyez Les Virtuoses, qui montrent des familles pauvres dans le Nord de l’Angleterre acculées par la désindustrialisation. Ou The Full Monty, une bande de gars sans le sou qui se lance dans le strip-tease. En France, on n’arrive pas à faire preuve de légèreté devant des situations sociales difficiles. On s’inscrit dans la grande cavalerie humoristique qui vient de la Grande Vadrouille jusqu’aux Ch’tis, sans parvenir à y inclure cette touche de décalage typique chez les Anglo-Saxons. L’humour absurde est très présent chez eux, jusqu’au surréalisme.

Justement, l’humour français, c’est quoi ?

Gordon Zola : Le sens de la répartie, le jeu de mots, la faconde en sont des éléments historiquement essentiels. Beaucoup plus qu’en Angleterre, où c’est la situation qui importe.

François David : Il n’y a pas d’humour français. Les Français sont ironiques, capables de se moquer des autres, mais pas d’eux-mêmes. En ce sens, il y a seulement une ironie française. C’est là grande différence avec l’humour anglais. Les vrais humoristes français sont peu nombreux : Pierre Dac, Alphonse Allais, … Alors qu’on en a à la pelle en Angleterre, où on se prend beaucoup moins au sérieux. L’humour, c’est la capacité à se moquer de soi-même. Un truc très rare en France.

L’humour, ou l’ironie, à la française est-il politiquement correct ?

Gordon Zola : Totalement. Stéphane Guillon et Didier Porte passent pour être des iconoclastes, alors qu’ils sont archiconsensuels. Il y a un phénomène de censure sous-jacente, voire d’autocensure. Les comiques subversifs ne sont pas mis sur le devant de la scène. En France, certaines lignes sont difficiles à franchir: tout ce qui touche aux minorités est sensible. Aujourd’hui, même La Vie est Belle de Roberto Benigni ne passerait probablement pas. A l’époque, il avait derrière lui le soutien de la critique. De même, il est très difficile de se moquer de tout ce qui est lié à l’homosexualité. Les associations réagissent très vite. Exactement comme pour les juifs. On peut citer Dieudonné par exemple, qui a franchi une ligne rouge qui lui a coûté sa carrière. Quel que soit le jugement qu’on porte sur ses propos, il est indéniable que Dieudonné a dit des choses qu’il n’aurait pas dû dire. Renaud Camus, un auteur traditionnellement à gauche, plutôt dans le sérail, a également franchi une limite il y a quelques semaines avec son Journal.

François David : Comme je le disais, il n’y a pas d’humour français. Mais on ne peut pas dire que l’ironie française est politiquement correcte. Et puis, de toute façon, c’est tellement mauvais…

Sacha Baron Cohen a travaillé pour MTV. Peut-on dire qu’il a été influencé par l’humour américain ?

François David : Il s’en rapproche effectivement, dans le genre de Mary à tout prix, des frères Farrelly, qui font des films scatos.

Gordon Zola : Woody Allen disait : « la plus grande fête juive américaine, c’est les oscars et les réunions d’humoristes ». Les plus grands humoristes américains sont juifs, avec un humour qui s’appuie sur le malheur et l’autodérision. La plupart est issue de l’émigration des Juifs d’Europe au moment de la guerre, comme Billy Wilder. C’est aussi un humour burlesque, d’où une tendance à l’excès, qui correspond en partie à ce que fait Cohen.

D’où proviennent les différences dans l’humour entre les pays ?

Gordon Zola : Ce sont, à l’origine, des différences culturelles. On ne rit pas des mêmes choses des deux côtés de la Manche. En France, le cocu, personnage clef de la Comedia Dell’Arte, fait toujours rire ; alors qu’il est tabou chez nos voisins. Le rapport à l’institution royale, par exemple, y est sacré – même pour les Rolling Stones ou McCartney ; alors qu’on aura ici plutôt tendance à s’en moquer. C’est un paradoxe : le respect de l’institution n’empêche pas les Anglais de se moquer des choses.

François David : C’est une question d’éducation. Dans les écoles britanniques, on apprend aux enfants à avoir une certaine distance par rapport aux choses. Au contraire, l’école française développe non pas l’esprit critique mais l’esprit de critique, la critique permanente.

Peut-on parler de mondialisation de l’humour grâce à internet, et donc d’un rapprochement entre humours français et anglo-saxon ?

Gordon Zola : Il n’est pas impossible que la mondialisation, et notamment le cinéma américain, ait affaibli la part du verbe dans l’humour français. Prenez tous les humoristes actuels, que ce soit Jamel Debbouze ou Gad Elmaleh, et comparez-les à Raymond Devos : il y a une chute du verbe. De manière générale, la culture française s’est désagrégée dans la mondialisation. Or, sans culture commune, il n’y a pas d’humour. Si je vous fais un calembour qui fait appel à l’histoire française et que vous n’y connaissez rien, vous ne rirez pas. C’est là même chose aujourd’hui : nous avons perdu le sens commun des mots et de la plume. Le cinéma américain est passé par là, marqué par la prédominance du visuel sur le mot. Les films très dialogués, les personnages psychologiquement fouillés, sont très français. 

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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