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Pourquoi il est (presque) impossible de quitter Facebook
©Reuters

Inception

Les personnes qui décident de quitter le réseau social finissent toujours par s'y rendre à nouveau pour plusieurs raisons dont la principale est l'habitude. La connexion y est devenue tellement automatique qu'il est difficile de s'en passer. Il est néanmoins possible d'en faire un usage différent notamment lorsqu'il ne satisfait plus un besoin personnel.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Une étude a été menée sur 5000 personnes qui ont arrêté Facebook pendant 99 jours pour finir par se reconnecter par la suite. Comment expliquer que nous finissons toujours par utiliser ce réseau social ?

Nathalie Nadaud-Albertini : L’étude a mis en évidence quatre facteurs qui expliquent le retour à Facebook. Le premier est l’habitude. A cet égard, un des participants raconte que son corps a intériorisé la fréquentation régulière de Facebook en développant des automatismes gestuels. Il explique que, durant les dix premiers jours, lorsqu’il allait sur Internet, ses doigts avaient l’habitude de taper immédiatement la lettre « f » dans la barre de navigation. Le second facteur est le besoin de savoir ce que les autres pensent de nous. Autrement dit, plus est grande la nécessité de se sentir soutenu à travers la validation de ce que l’on est et de ce que l’on fait par des « like » sur le contenu mis en ligne, plus on aura tendance à retourner sur Facebook qui, dans ce cas, sert de béquille identitaire. Le troisième facteur est lié à l’humeur dans laquelle on se trouve. Si elle est bonne, il est plus aisé de rester éloigné de l’interface numérique, alors que si elle est mauvaise, on éprouve le besoin d’y retourner. Le réseau est alors vécu comme une façon de se réconforter en retrouvant un monde connu et rassurant. Ou du moins que l’on perçoit comme tel. A nouveau, on voit que, pour certains, Facebook joue le rôle d’étai de l’identité. Le quatrième facteur concerne l’utilisation d’autres réseaux sociaux. Si on dispose d’un ou plusieurs autres canaux pour rester connecté à son/ses réseau(x), on est moins enclin à ressentir le besoin de renouer avec Facebook après l’absence de 99 jours demandée par l’étude.

Est-ce devenu absolument indispensable dans la société actuelle de rester connecté ?

Pas nécessairement. Certains ressentent le besoin de rester connectés avec leur(s) réseau(x), d’autres nettement moins. Dans le premier cas, on trouve par exemple des personnes pour qui les réseaux sociaux sont le moyen le plus simple et le plus économique de donner de ses nouvelles à ses proches et d’en recevoir. C’est le cas des expatriés. Dans la catégorie des personnes pour qui il est indispensable de rester connecté, on trouve également celles qui utilisent les réseaux comme « accompagnateur de vie » voire comme une béquille identitaire. C’est-à-dire ceux qui ressentent fortement le besoin de partager ce qu’ils font et pensent au fil de la journée, et de voir ce qu’ils publient validé par des « like ». Comme si Facebook ou les réseaux en général étaient des espaces de validation de leur identité.

Parmi les personnes pour qui il est fondamental de rester connecté, on trouve bon nombre de « people » dont l’activité professionnelle implique de demeurer en contact avec les gens qui les suivent, et ce, à des fins d’autopromotion dont les réseaux sociaux sont devenus les vecteurs privilégiés. Pour d’autres, les réseaux peuvent être vécus comme pesants après un événement déclencheur. Ce dernier peut être d’importance nationale ou ne les toucher que personnellement. Ainsi, les attentats de janvier et novembre dernier ont-ils incité des aficionados des espaces numériques à prendre leurs distances parce qu’en voyant défiler des messages racistes, des images et des vidéos anxiogènes, ils ont découvert un autre visage aux membres de leur(s) réseau(x) qui leur a fortement déplu. Refusant de se reconnaître comme « amis » avec ces profils, ils ont décidé soit de clôturer leur(s) compte(s), soit de bloquer les membres concernés.

Lorsque l’élément à l’origine du sentiment de pesanteur vis-à-vis de la vie numérique est plus personnel, il s’agit souvent d’une profusion de commentaires négatifs qui fait suite à des attaques répétées. La dernière vague est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et décider de prendre ses distances avec le monde numérique. Pour les individus lambda, il suffit de fermer ses comptes. Pour les « people », la mise à distance est plus compliquée, car l’activité professionnelle oblige à maintenir un lien avec le public. On peut alors trouver une solution intermédiaire. C’est ce qu’a fait la rappeuse australienne  Iggy Azalea qui, après des attaques récurrentes sur son physique, a fait ses adieux à la Toile en tweetant « Internet est le plus laid des reflets de l’humanité », tout en laissant à son équipe le soin de gérer ses comptes numériques.

Les personnes ayant arrêté Facebook en font un usage différent à la reprise : elles suppriment l'application de leur téléphone portable, suppriment des amitiés et s'y connectent moins souvent. Que révèlent ces changements ?

Ces changements révèlent une prise de conscience de l’importance qu’avait Facebook dans leur vie et l’envie d’amoindrir ce rôle. Ils cherchent à mieux contrôler leur rapport au numérique, à vraiment décider de la place à accorder à Facebook. En d’autres termes, ils ne veulent plus s’en sentir dépendants. Ce désir d’affranchissement se comprend aisément si on le rapporte à d’autres comportements existants en dehors de l’étude que vous citez. En effet, on le retrouve chez des personnes qui, au fil du temps, se sentent esclaves de l’idéal normatif de présentation de soi en vigueur sur Facebook. A savoir : être heureux, avoir une vie riche en rebondissements, véhiculer de bons sentiments, de bonnes nouvelles, faire preuve d’humour etc. Autrement dit, ne montrer que la face positive de son existence, quand il n’est pas question de l’embellir. Certains se lassent de cette représentation de soi dont l’objectif est de donner à voir une vie, une identité, que les autres peuvent envier.

La lassitude vis-à-vis de Facebook ou des réseaux sociaux en général intervient également quand on a le sentiment que son réseau n’est plus adapté à ce qu’on a envie de dire et surtout à ce que l’on est. C’est la dynamique inverse de la dictature de la bonne image. C’est-à-dire que l’on hésite à montrer certains aspects de sa vie à son réseau parce qu’on a peur de paraître prétentieux. Cela se produit lors de changements de vie positifs rapides. Dans un cas comme dans l’autre, on souffre de devoir adapter ce que l’on montre de soi à ce que l’on suppose être les attentes du réseau, amputant ainsi une partie de qui l’on est. Lorsque l’on prend conscience de l’activité de mise en scène de soi sur l’espace numérique en fonction de son « public » et de la souffrance que cela engendre, on aspire à assumer toutes les dimensions de son existence et de son identité, les bonnes comme les moins bonnes. Soit on quitte l’espace numérique, soit on agit comme les participants de l’étude (suppression de l’appli, écrémage des contacts, connexions moins fréquentes) de façon à mieux adapter le(s) réseau(x) à sa vie et à son identité IRL (« in real life »).

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