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La fermeture de Fessenheim a été une énorme bêtise, selon André Pellen.
La fermeture de Fessenheim a été une énorme bêtise, selon André Pellen.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Enjeu national

On sait depuis quand, comment et par qui est pratiquée l’exsanguination méthodique d’une France dont le salut est davantage à attendre de l’ouverture des hostilités politiques que de l’enrichissement perpétuel du dossier à charge.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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On sait depuis quand, comment et par qui est pratiquée l’exsanguination méthodique d’une France dont le salut est davantage à attendre de l’ouverture des hostilités politiques que de l’enrichissement perpétuel du dossier à charge.

Un courage et une compétence politiques en voie de disparition

« Il est vrai que la France n’a pas été très favorisée par la nature en matière de ressources énergétiques. Nous n’avons presque pas de pétrole sur notre territoire, nous avons beaucoup moins de charbon que l’Angleterre et l’Allemagne, et moins de gaz que la Hollande ; notre grande chance est notre énergie électrique d’origine nucléaire ». Ainsi s’exprimait Pierre Messmer, le 6 mars 1974, au moment de décliner comme suit le programme électronucléaire annoncé le 30 novembre 1973 : construction de 13 centrales nucléaires de 1000 MW chacune – soit une capacité supplémentaire de production équivalent à la puissance totale disponible d’EDF en 1962 – et d’une grande usine d’enrichissement de l’uranium dans la Drôme, Eurodif. « Aucun pays au monde, sauf les États-Unis, ne fait un effort comparable», ajouta l’historique Premier ministre.

Rendons-nous compte : il ne fallut que deux mois à un gouvernement comme on n’en fait plus pour réagir concrètement aux séquelles économiques de la guerre du Yom Kippour lancée le 6 octobre 1973 par les troupes égypto syriennes contre Israël, et seulement 5 mois pour préciser le plan de défense nationale arrêté. Se figure-t-on bien aujourd’hui avec quelle vigueur industrielle le pouvoir pompidolien choisit ainsi de pallier le quadruplement du prix de baril de pétrole – passé de 2,9 dollars en juin 1973 à 11,6 dollars en janvier 1974 – imposé à Israël et à ses alliés par l’OPEP ? Après tout, l’ardoise de 37 milliards de francs en ayant résulté pour notre pays – de 15 milliards en 1972, la facture pétrolière était passée à 52 milliards en 1974 – est à relativiser à l’aune du retour relativement rapide du cours du brut à des niveaux supportables et, surtout, à l’aune de ce que vont coûter aux Français les séquelles de la guerre d’Ukraine combinées à celles de la radieuse « Transition Énergétique pour la croissance Verte. »  

On se prend néanmoins à rêver que les mêmes syndromes économiques et industriels finissent toujours par appeler les mêmes prophylaxies et les mêmes remèdes, dussent-ils être de cheval. Hélas, une pathétique actualité confirme que confier la prescription à des charlatans de surcroît peu scrupuleux n’a aucune chance de faire triompher le bon sens, la rationalité et le souci de l’intérêt général.

Un passé industriel pourtant prestigieux

Au milieu des années 70 donc, inscrites dans une quasi économie de guerre, la prophylaxie et les remèdes retenus par nos bons praticiens consistèrent à mettre sur pieds l’organisation industrielle inédite qui s’est montrée capable de maitriser les délais et les coûts de construction, de maintenance et d’exploitation d’un parc électronucléaire unique au monde. De fait, l’industrie Française construisit vite et bien. Ses 58 tranches prodigues d’une électricité abondante et bon marché n’avaient encore connu aucun incident réellement significatif au moment de l’assassinat de Fessenheim.

Une telle gageure ne put être soutenue que grâce à la maitrise d’œuvre historiquement inédite confiée à une EDF alors suffisamment solide pour assumer simultanément la responsabilité d’architecte industriel de ses propres centrales ; une prouesse largement hors de portée de l’EDF d’aujourd’hui, même en l’absence de cette dernière singularité.

Bras armé opérationnel de l’architecte, EDF-Équipement allait commander à un autre grand industriel la construction de l’ilot nucléaire, en partenariat étroit avec lui. Ce fut Framatome qui, peu d’années auparavant, n’était encore qu’une grosse PME. L’entreprise assuma les risques financiers et techniques considérables de la fourniture de l’ilot nucléaire des 54 premiers réacteurs. Toutefois, palier après palier, le nombre d’unités mises en service permit d’améliorer substantiellement le modèle Westinghouse, les innovations apportées permettant de s’en éloigner régulièrement pour finir par « franciser » la filière. Débarrassée des brevets américains, l’industrie nucléaire française pouvait exporter ses propres réacteurs.

D’autres grandes entreprises vinrent enrichir de leurs contributions spécialisées le complexe industriel ainsi constitué, Alstom pour la salle des machines et le groupe turbo alternateur, Bouygues et Vinci pour le génie civil, auxquels se joignirent une myriade de sous-traitants dans d’innombrables domaines techniques et technologiques.

Le succès du programme français ne tarda pas à être remarqué dans le monde entier, le couplage au réseau de 8 tranches dans la seule année 1982 – record mondial toujours inégalé – ne passant pas inaperçu. En découla une large adoption planétaire de la construction en série par paliers successifs et le début des exportations de la technologie française. Aujourd’hui, comme l’a écrit World Nuclear News, le réacteur vedette chinois Hualong One est « d’ascendance française ».

Qu’est-il advenu de l’excellence industrielle française ?

Que reste-t-il de la variété et du nombre des savoir-faire de pointe qui léguèrent à notre pays un outil industriel parmi les plus sophistiqués du monde et dont on ne prit conscience qu’ils sont vitaux qu’après avoir livré ce dernier au saccage, 30 années durant ? Dans son analyse des moyens et des compétences déployées sur le chantier EPR de Flamanville, résumant, à elle seule, ce qu’il nous reste des uns et des autres, Jean-Martin Foltz, ancien PDG de PSA, répond sans équivoque à cette question.

La vérité sociopolitique est que 30 années d’écolo socialisme ont fait du couple EDF-Framatome et de la nébuleuse industrielle de naguère un infirme, un handicapé industriel auquel ses fossoyeurs encore très influents n’ont manifestement pas l’intention de redonner la pleine santé : plus de bras armé de l’architecte industriel, EDF-équipement, plus d’authentique SEPTEN (Service d’Études et de Projets Thermiques et Nucléaires), plus de vrai CEA et plus de réelles études et recherches permettant de maintenir le haut niveau que « la filière française » a encore le culot de revendiquer. On ne sait même pas si l’actuelle UTO – l’Unité Technique Opérationnelle – peut encore soutenir la comparaison avec l’UTO des années 80-90. Or, non content d’avoir ridiculisé l’infirme aux yeux du monde, à Olkliouto et à Flamanville, et ne doutant de rien, les inconséquents encore à la manoeuvre demeurent persuadés n’avoir que peu de choses à y changer pour s’attaquer à l’Everest évoqué plus loin et même pour achever sans encombre l’ascension de l’Annapurna Hinkley Point C. Que l’EDF des 30 glorieuses n’ait eu besoin d’emprunter que 82 milliards d’euros actuels pour parvenir à placer une soixantaine de réacteurs sur le réseau national en guère plus de 20 ans, quand 15 ans de travaux et 14 milliards d’euros investis ne sont toujours pas parvenus à venir à bout du chantier Flamanville, ne semble nullement interroger les instables amateurs qui nous gouvernent. On croit rêver !  

Il crève pourtant les yeux des plus modestes initiés que de la formidable machine industrielle quantitativement et qualitativement décimée ne subsiste de compétences à la hauteur des ambitions nourries pour elle par le pouvoir en place que dans le domaine de l’exploitation du parc de production. C’est pourquoi prétendre suffisant de mobiliser techniquement, économiquement et commercialement en l’état les divisions de Marie-Louise rescapées de la grande armée équivaut à envoyer au casse-pipe l’économie du pays tout entière, quand la Chine ne se dispose pas pour la frime à multiplier par 7 sa capacité de production électronucléaire, d'ici à 2060, pas seulement pour ses propres besoins.

L’art de se tirer un balle dans le pied

Comble de sabotage, nos idiots utiles ont extrait desdites divisions les recrues n’ayant de la réalisation du programme Apollo français qu’une connaissance livresque, formatée par un didactisme réducteur et marquée de l’obsession procédurale et règlementaire, pour composer cette garde ASN de janissaires chargée de faire respecter le précepte démocratique suprême du droit à la sûreté nucléaire absolue. Sa souveraineté dépasse celle du Parlement et même celle du Président, au point de s’autoriser à leur subtiliser à discrétion la prérogative institutionnelle de la consultation populaire (6). Pour couronner le tout, ces intouchables en mal de légitimité ont l’aplomb de se réclamer de l’historique format techno industriel auquel le pays doit tant et dans lequel ils n’auraient jamais eu leur place, sous peine de le rendre impraticable en seulement quelques mois.

Et maintenant ?

Parmi les contraintes financières auxquelles EDF ne peut d’ores et déjà plus se dérober, sautent tout de suite à l’esprit la métabolisation statutaire d’un projet Hercule revisité et appelé à revenir sur le tapis, le remboursement d’une dette de quelque 45 milliards d’euros, le financement du rattrapage à marche forcée du réputé retard de la France en équipements d’énergies renouvelables, le financement du grand carénage nucléaire à hauteur de 66 milliards d’euros, le financement complet du chantier d’Hinkley Point C – et plus si affinités ! – et, en principe, celui de la construction de six EPR, pour un montant de 52 milliards d’euros.  

Eu égard à ce à quoi nous habituent la tutelle et les dirigeants d’EDF depuis plus de 20 ans, il serait surprenant qu’aucune dérive ne vienne affecter les coûts de ces 6 postes, en particulier celui du premier cité dont le montant final pourrait se révéler bien plus lourd qu’on ne croit. C’est, hélas, déjà le cas du poste « Hinkley Point C » souffrant d’un dépassement pour l’instant de quelque 3 milliards de livres, susceptible d’être partiellement imputable à l’inflation et à un retard pris par le chantier désormais supérieur à l’année.

S’agissant du programme anglais, il y a même plus inquiétant : d’une part, EDF estime élevée la probabilité que CGN (le partenaire chinois) ne finance pas le projet au-delà de son engagement, obligeant le premier à couvrir toute défaillance du second, et, d’autre part, votre serviteur tient d’une source très autorisée que le syndrome du chantier Flamanville 3 atteint peu à peu le chantier anglais ; bavardages et digitalisation de la communication professionnelle y tenant exagérément lieu d’instructions et d’expertises.

Dans un contexte aussi déprimant, comment l’éminente ministre Pannier-Runacher et son nouvel État-Major de guerre énergétique interne et externe voient-ils l’avenir de la production électronucléaire française et celui de ses consommateurs ? Pour ce qui est du dernier cité, le subterfuge du bouclier fiscal venant de faire définitivement long feu, la représentante du gouvernement est d’autant plus contrainte au profil bas que s’offre désormais à la vue de tous l’affolante perspective d’une progression inéluctable et durable du prix de l’électricité. Pour autant, le pessimisme ne semble avoir gagné ni Matignon, ni Bercy, ni même Wagram. Au contraire, l’appétit de conquête à l’export y demeure intact dont on ne désespère pas servir au peuple la traduction dans les faits… davantage annoncés que réalisés, en guise de consolation. À titre d’exemple, le projet de construction de 6 EPR à Jaitapur, en Inde, dont, bien entendu, Bruno Le Maire ne voit rien d’insolite à compter sur son financement à 100 % par les Indiens, pour la bagatelle de 50 à 70 milliards d’euros !

Il faut dire que chez ces générations de cadres politiques et de cadres industriels familiarisés depuis leur maturité à la culture de l’échec et dont les fruits de la connaissance techno scientifique sont moins moteur de l’ambition carriériste que le professionnalisme de connivence, on comprend que ce qui suit puisse éveiller tous les espoirs : Face à la demande croissante d'électricité et à l’absence d’énergies alternatives viables, Stockholm veut supprimer la limite maximum de 10 réacteurs nucléaires dans le pays actuellement inscrite dans la loi suédoise, le Premier ministre Ulf Kristersson évoquant un possible partenariat avec la France pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en Suède : « Je suis entièrement ouvert à ce que la France soit un des pays qui fassent en sorte que la Suède ait plus de nucléaire », a-t-il dit.

Cette élite de peu de confiance tend même à se persuader et à persuader ses compatriotes que le pays est bien près de se retrouver dans la France nucléaire de la fin des années 80, sûre de sa force industrielle et confiante en la fiabilité et en l’attrait d’une technologie exclusivement nationale. Qu’il ne se soit encore trouvé aucune montée au créneau professionnelle, experte ou institutionnelle digne de ce nom, pour réveiller, voire pour tenir en respect ces schizophrènes investis d’autant de responsabilités est proprement affligeant.         

La lucidité doit stimuler la conscience politique du citoyen élu ou non, susciter et guider chez lui le devoir d’agir en urgence

Si, quelle que soit la couleur du gouvernement, ladite élite sévit impunément depuis la fin des années 90, elle ne s’est révélée particulièrement délétère qu’à partir de l’adoption du grotesque Grenelle Environnement et, surtout, de la promulgation d’une loi NOME et de son avatar ARENH ayant livré sans condition notre commerce des KWh électriques à un marché U.E truqué et ruineusement léonin.

Pourtant, les archives des militantismes associatif et partisan ou compilant les actions de protestations et autres témoignages individuels ou collectifs en tout genre d’éminentes personnalités regorgent de plaidoyers d’une incroyable richesse scientifique et technique et d’une incroyable pertinence économique, sociologique et même politique. Or, non seulement leurs auteurs, leurs émules et leurs héritiers continuent imperturbablement d’instruire le procès virtuel des fossoyeurs, mais ils ne voient toujours pas la vanité qu’il y a à illustrer, à reformuler, à actualiser et à enrichir indéfiniment les mêmes griefs et les mêmes arguments, avec un souci inaltéré de l’exhaustivité. Est-il encore possible d’ignorer que le personnel politique actuellement aux affaires est résolument moins disposé que ses prédécesseurs à entendre – en tout cas dans les délais requis – une logorrhée usée au point d’être devenue inaudible, à défaut d’en tenir compte ?  

La vérité est que, dos au mur, des Français à l’économie et à la cohésion sociale en capilotade n’auront bientôt d’autre choix qu’enjoindre leurs gouvernants de reconnaître ce qui suit et d’en tirer les conséquences : il n’est pas possible de réitérer même partiellement l’exploit du programme Messmer, sans recourir aux recettes ayant permis de le réaliser – fussent-elles à actualiser, à moderniser, voire à aménager  – et sans s’en donner le moyen consistant à soustraire du budget national les programmes d’équipements dont la necessité n’est pas démontrée. À défaut, l’usage imprudent et stérile des finances publiques et privées ne manquera pas de déboucher sur une dépression économique ne pouvant que générer des troubles sociaux.

Attendu que, d’une part, le temps est dangereusement compté pour redonner à notre pays l’accès à un approvisionnement électro énergétique suffisant et suffisamment bon marché – une priorité dont le caractère vital ne saurait être contesté – et que, d’autre part, on n’y parviendra pas sans livrer une guerre sans merci à l’impéritie gouvernementale dont les prédateurs éoliens et gaziers font leur miel, les partis d’opposition étant seuls habilités à monter en ligne, ne reste aux Français qu’à faire puissamment retentir l’appel suivant : militants associatifs et miliants citoyens en faveur du nucléaire, organisés ou non, persuadez un ou plusieurs partis d’opposition sur la bonne longueur d’onde d’ouvrir sans délai les hostilités et offrez de conduire en professionnels cette guerre énergétique sous leurs bannières, quitte à rejoindre leurs rangs et même à amener chez eux vos organisations avec armes et bagages !    

Chers compatriotes, dites-vous bien que l’ouverture d’un tel front politique reste le seul exutoire offert à l’impasse économique et industrielle dans laquelle des années de clientélisme et d’incompétence gouvernementaux ont fourvoyé la politique énergétique du pays. Il ne tient donc qu’à vous d’enflammer les débats public et parlementaire avec ça, car, après avoir trop longtemps toléré, voire permis l’installation d’un dispositif électro énergétique inepte et ruineux, vous y dérober rendrait irrecevable votre probable levée de boucliers contre l’assommoir tarifaire en cours d’installation.

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