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Emmanuel Macron, président de la République.
Emmanuel Macron, président de la République.
©STEFANO RELLANDINI / POOL / AFP

L'influence française en déclin

En vingt-cinq ans, la part de la Chine dans le commerce extérieur de l’Afrique Subsaharienne est passée de 2% à 20%, alors que celle de la France a suivi le chemin inverse (de 10 à 2%).

François Brunet

François Brunet

François Brunet est un avocat spécialisé en droit de la concurrence tant français que communautaire. Associé du cabinet Cleary Gottlieb (2000-2017) et du cabinet Hogan Lovells (2017-2021), il a également enseigné le droit de la concurrence à l’Université Paris 5 – René Descartes. Il est actuellement Président de la Commission de la concurrence de la Chambre de commerce internationale (International Chamber of Commerce) au niveau mondial.

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Face à la déferlante chinoise et aux nouvelles ambitions russes, l’influence française est en déclin accéléré.  Dans ce contexte de régression précipitée, on comprend que le Président de la République ait déclaré que l’âge de la Françafrique « était révolu ».  Contrairement à ce qu’on a pu penser ou dire, ce n’est pas une courageuse annonce politique.  C’est seulement un aveu d’impuissance face au développement spectaculaire des emprises chinoise et russe!

Le Président de la République propose aujourd’hui de développer une politique de soutien à l’entrepreneuriat africain. Après avoir consacré plus de 3 milliards d’euros d’investissement de 2019 à 2022 dans le cadre de l’initiative Choose Africa 1, le gouvernement envisagerait ainsi d’amplifier cet effort dans le cadre de Choose Africa 2.

On ne peut que saluer de telles initiatives a priori bénéfiques tant pour les économies africaines que pour nos propres entreprises. Toutefois, au vu des résultats incertains de Choose Africa 1, on peut redouter que la « saison 2 » créera plus de colère et de désillusions en Afrique qu’elle n’y apportera un soutien réel à la croissance.

L’aide française au développement est gérée par l’Agence française de développement (AFD), qui finance les Etats et les grands projets d’infrastructure publique, et par Proparco, filiale de l’AFD en charge de soutenir les entreprises privées.

C’est Proparco, qui a ainsi pour mission de mettre en œuvre le programme Choose Africa. Or, si l’on souhaite que les annonces présidentielles aboutissent à un soutien réel et avéré de l’entrepreneuriat africain, il existe six mesures à prendre, dont les cinq premières peuvent être mises en œuvre à coût budgétaire constant (ce qui rend incompréhensible le fait qu’elles ne soient ni prises, ni même envisagées). 

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La première mesure consisterait à imposer un minimum de transparence financière à Proparco.

Aujourd’hui, les éléments publiés par Proparco ne permettent pas de répondre à des questions pourtant très simples : Dans quels pays, dans quelles entreprises, pour quels montants et avec quelles rentabilités Proparco a-t-elle investi au titre du programme Choose Africa 1 ? Directement dans les entreprises, ou via des cascades d’intermédiaires ? En « equity » ou en dette ?  Pour quel impact réel ? 

Pire, tout suggère que Proparco aurait une politique d’investissement pusillanime en décalage complet avec sa communication. Proparco investirait essentiellement en dette plutôt qu’en equity  et de manière très dispersée (tant en termes de géographies que de secteurs). De plus, les rares fois où Proparco investirait en equity, elle le ferait essentiellement via des fonds tiers et, en tout cas, jamais lors des premières levées de fonds des « start-up ».  

Une deuxième mesure consisterait à demander à Proparco de se concentrer sur l’aide aux « start-ups » en phase d’amorçage, de manière à jouer un rôle de dynamisation du marché à l’instar de la BPI, qui a su développer un véritable écosystème favorisant la création d’entreprises en France (via les Fonds national d’amorçage de 2011 et de 2018).

Pour jouer ce rôle, que ce soit en direct ou via des fonds, la BPI a pris le parti de confirmer sa décision d’investissement au tout début des process de levée de fonds, en s’engageant à abonder, sous réserve que le nouveau fonds ou la start-up trouve d’autres investisseurs pour souscrire à la majeure partie de la levée. En particulier, la BPI n’attend pas l’identification des investisseurs privés pour décider, contrairement à la pratique actuelle de Proparco. 

Une troisième mesure serait de créer des relations d’échange et de coopération entre la BPI et Proparco, pouvant aller jusqu’à un rapprochement capitalistique. Il est clair que la BPI est aujourd’hui l’établissement public à avoir accumulé le plus de savoir-faire dans le domaine de l’aide à l’entrepreneuriat et à la création de « start-up », et qu’elle a beaucoup a apporté à Proparco, en particulier des relations avec des dizaines de milliers de PME/ETI, dont nombre d’entre elles sont certainement intéressées par les perspectives de croissance offertes par les marchés africains.  Autant l’AFD, qui est un instrument de politique financière extérieure de l’Etat se doit de rester dans le giron du Ministère de l’économie et du Ministère des affaires étrangères, autant Proparco a tout à gagner à un rapprochement avec la BPI.

En quatrième lieu, il importe de « connecter » Proparco avec ses équivalents européens (KfW en Allemagne, FMO aux Pays-Bas, CDC pour le Royaume Uni, …) au sein d’un Réseau Européen des Agences de Développement. Aujourd’hui, toutes les agences nationales ont les mêmes contraintes, et saupoudrent toutes séparément leurs subsides, sans impact réel. Un continent aussi vaste que l’Afrique nécessite d’allier nos forces : chaque agence nationale n’a pas les moyens de peser sur l’ensemble du continent africain. 

Une cinquième mesure est de s’interroger sur le montant et les modalités de rémunération des chargés d’investissement de Proparco. Si l’on veut attirer chez Proparco des investisseurs aussi talentueux que ceux qui travaillent dans les principaux fonds de « private equity » mondiaux, il faut leur donner les bonnes « incitations », en faisant en sorte qu’une part importante de leur rémunération soit indexée sur les succès de leurs investissements. Voilà une mesure simple d’alignement « d’intérêts », qui amènera les managers de Proparco à cesser de privilégier la dette avec « collatéral », pour se lancer dans le soutien aux start-ups les plus ambitieuses dès la phase initiale. 

Enfin, il est sans doute nécessaire d’augmenter significativement les moyens alloués à Choose Africa. Depuis son discours de Ouagadougou, le Président Macron parle de 3 milliards sur quatre années (soit 750 millions d’euros par an).  Ce montant qui n’était pas à la hauteur des enjeux en 2017, l’est encore moins aujourd’hui. Il convient de le doubler ou de le tripler rapidement : soit en augmentant l’enveloppe budgétaire ; soit en convaincant d’autres Etats européens de venir investir à nos côtés ; soit en réinvestissant les plus-values antérieures, ce qui impose de poursuivre des politiques d’investissement rigoureuses et orientées sur la sélection des entreprises présentant les plus forts potentiels de croissance.

Plusieurs pays ont pris la mesure de l’extraordinaire opportunité que représente l’Afrique aujourd’hui. La France et ses entreprises ne peuvent pas laisser le passé les empêcher de saisir cette opportunité : le nouveau contrat entre la France et l’Afrique que le Président Macron appelle de ses vœux passe aussi par une meilleure efficacité de notre apport en capital, la ressource la plus rare en Afrique aujourd’hui.  Or, il est d’autant plus urgent de lancer un débat sur l’organisation de Proparco, ses modalités d’intervention, et ses politiques d’investissement, que la nouvelle stratégie 2023-2027, que Proparco vient d’annoncer, n’envisage aucunement, même au titre de pistes exploratoires, les six mesures que nous recommandons.

1. Ken Opalo, La mort lente de la Françafrique, Le Grand continent, Mars 2023.

2. Discours du Président de la république à la veille de son déplacement en Afrique centrale sur le Partenariat Afrique-France, 28 février 2023 (https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/02/27/discours-du-president-de-la-republique-dans-la-perspective-de-son-prochain-deplacement-en-afrique-centrale)

3. https://co.ambafrance.org/Proparco-lance-sa-nouvelle-strategie-2023-2027#:~:text=La%20strat%C3%A9gie%202023%2D%202027%20r%C3%A9affirme,dans%20l'initiative%20Choose%20Africa.

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