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Pour saluer Gotlib
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RIP

Marcel Gottlieb, plus connu sous le pseudonyme de "Gotlib", est mort ce dimanche 4 décembre. Ce maître du dessin, virtuose du noir et blanc, prodige des lettrages, avait su inventer plusieurs mondes.

Stéphane Barsacq

Stéphane Barsacq

Stéphane Barsacq est écrivain. Il a récemment publié le roman Le piano dans l'éducation des jeunes filles (Albin Michel, 2016) et est le co-commissaire de l'exposition "Bakst : des Ballets russes à la haute couture", qui se tient au Palais Garnier de Paris jusqu'au 5 mars.

 

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Isaac Newton, l’homme de la révolution des sciences, aurait découvert la loi de la gravitation à cause d’une pomme qui lui serait tombée dessus. Du moins est-ce ainsi que Gotlib l’a dessiné à maintes reprises. Pour nous, nous avons redécouvert la relativité de ce monde avec le décès de ce génial dessinateur qui nous arrive après d’autres morts fameux de 2016, entre autres David Bowie, Umberto Eco, Yves Bonnefoy ou Leonard Cohen. Aucun point commun entre eux, dira-t-on, si ce n’est que Gotlib appartenait à cette même famille, quoi que son art, parmi tous ceux cités, étaient en apparence le plus modeste, le plus ramassé. Gotlib était un maître du dessin, un virtuose du noir et blanc, un prodige des lettrages. Avec ses moyens, dont il a su transgresser toutes les limites, il a su inventer non pas un monde seulement, mais plusieurs : celui de Gai-Luron, de Pervers Pépère, de la Rubrique-à-brac, sans oublier ses œuvres en collaboration avec Goscinny et autres artistes : Les Dingodossiers ou Superdupont. Dès son vivant, il était devenu une légende, l’exemple rare d’un artiste extrêmement raffiné et populaire, dont l’œuvre est appelée à le rester comme un classique au même titre qu’Astérix, Lucky Luke ou les Schtroumpfs.

Peu d’auteurs, toutes catégories confondues, ont su déployer une telle palette avec un talent continu pour se renouveler : de l’humour le plus frais à l’ironie la plus cinglante, du rose au noir, de l’enfantin à l’adulte. A quoi s’ajoute que Gotlib était aussi un homme de lettres, et que ses écrits restent à découvrir : ils donnent des éclairages sur l’itinéraire de ce enfant né dans le souvenir d’un père mort en camp, qui a grandi à Montmartre et qui, jeune, raffolait de Marcel Aymé et des Frères Jacques. En apparence, Gotlib était l’homme le plus drôle qu’on pouvait imaginer, mais, en réalité, il était pudique, sobre, d’une sensibilité si extrême qu’elle l’a exposé aux idées noires et à une mélancolie profonde. C’est souvent le cas d’ailleurs avec les plus grands humoristes, si habiles à percer les apparences et saisir l’absurdité des mobiles humains : de Feydeau, qui s’est suicidé, à Pierre Dac, qui vivait des périodes de prostration terrible.

D’autres célébreront la place de Gotlib par rapport à Mad et à l’aventure de la bande dessinée en général – une aventure qu’il a accompagné dans tous ses changements, et toujours avec un égal bonheur, où les hauts éclipsent les bas. Reste à saluer un artiste simple et généreux, inscrit dans la lignée des maîtres français de l’humour, voire de l’humour noir cher à André Breton : Alphonse Allais, Alfred Jarry ou Alexandre Vialatte. Gotlib riait des faux puissants, il s’amusait des ridicules, il fouettait la prétention. Il laisse une œuvre de moraliste par-delà toute morale : dans le partage du rire devant tout ce qui le menace : la tartufferie des fausses idoles. Et, par la grâce du dessin, des moments de pure tendresse enfantine.

Gotlib a accompagné nos enfances : nous lui sommes redevables de souvenirs impérissables. Cela vaut tous les éloges.

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