Pour comprendre l’ensauvagement de la société française, relisons Ibn Khaldoun, grand penseur musulman du XIVe siècle<!-- --> | Atlantico.fr
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"Contrairement à d’autres apports extérieurs, comme par exemple les sociétés confucéennes, la contre-société islamo-décoloniale repose sur des fondamentaux civilisationnels opposés à ceux des sociétés européennes", estime Aurélien Marq.
"Contrairement à d’autres apports extérieurs, comme par exemple les sociétés confucéennes, la contre-société islamo-décoloniale repose sur des fondamentaux civilisationnels opposés à ceux des sociétés européennes", estime Aurélien Marq.
©Photo Valery HACHE / AFP

Grille de lecture

Ibn Khaldoun, le grand penseur du monde musulman au XIVe siècle, fournit une très bonne grille de lecture sur la façon dont nos sociétés vacillent face à la montée de l'insécurité, de la violence et de la contestation de toute autorité.

Aurélien Marq

Aurélien Marq

Aurélien Marq est haut fonctionnaire, auteur de "Refuser l'arbitraire" (Editions FYP, 2023).

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Atlantico: Pour vous, Ibn Khaldoun, le grand penseur du monde musulman au XIVe siècle fournit une très bonne grille de lecture sur la façon dont nos sociétés vacillent face à la montée de l'insécurité, de la violence et de la contestation de toute autorité. Pourquoi ?

Aurelien Marq : C’est une réflexion qui doit tout aux remarquables travaux de l’historien Gabriel Martinez-Gros, à qui je rends hommage. Ibn Khaldoun appelle « empire » une structure politique dans laquelle le pouvoir central, après avoir conquis un large territoire grâce à la combativité de sa population, concentre les richesses en taxant par l’impôt les « producteurs ». Ce pouvoir central dispose alors de « surplus », de ressources supérieures aux seuls besoins de la survie immédiate, ce qui lui permet de financer le confort de ses « élites » mais aussi les arts, les sciences, etc. Les conquêtes terminées, le pouvoir s’embourgeoise et va chercher en priorité à désarmer les producteurs pour les empêcher de se révolter contre les collecteurs d’impôts. Ce désarmement est physique (interdiction de prendre part à des guerres privées et des milices, confiscation des armes, etc), mais aussi moral (enseignement que la violence c’est mal, etc). Ne doit rester au peuple que du pain et des jeux — on pourrait dire aujourd’hui, sans trahir la formule, « le quoi qu’il en coûte, des allocations et Netflix ». 

Toutefois, l’empire a des marges, aux frontières de son territoire mais aussi à l’intérieur de celui-ci, dans ce que nous appelons désormais « zones de non-droit » ou « territoires perdus ». Dans ces marges vivent ceux qu’Ibn Khaldoun appelle « bédouins » et que je nommerai « barbares » pour éviter toute confusion avec les vrais Bédouins. Ces barbares, eux, ne sont pas désarmés, ni physiquement ni surtout culturellement. Jaloux des richesses de l’empire, ils les convoitent et se livrent à la prédation au détriment des sujets désarmés de l’empire.

Pour Ibn Khaldoun, l’empire est un monstre froid qui raisonne en fermier général. Notons que Bercy est devenu le ministère le plus puissant de France, l’actuel président de la République en est d’ailleurs issu, et que le taux d’imposition en France est l’un des plus élevés au monde. Face aux producteurs, l’empire exige une soumission absolue, car elle conditionne la soumission aux collecteurs d’impôts. Toute infraction commise par un producteur solvable sera donc impitoyablement sanctionnée. Face aux barbares, en revanche, l’empire s’interroge : est-il rentable de les soumettre ? Les impôts que l’on peut espérer tirer d’eux valent-ils ce que coûtera le déploiement de forces nécessaire pour les vaincre, puis pour les désarmer ? Très souvent, la réponse à cette question est « non ». L’empire laisse faire les barbares et accepte que ces derniers exercent leur prédation au détriment des producteurs, pourvu que la collecte de l’impôt ne soit pas menacée. Prédation directe (pillages, délinquance) ou indirecte (impôts supplémentaires utilisés pour payer le tribut aux barbares dans l’espoir qu’ils ne s’attaquent pas aux élites impériales – on dit aujourd’hui « acheter la paix sociale »). Autrement dit, l’empire ne défend ses sujets que lorsque l’action des barbares risque de rendre ces sujets insolvables. En revanche, l’empire réprimera tout mouvement de contestation des producteurs-contribuables, d’autant plus férocement qu’il sentira que son emprise morale sur eux s’effrite, et que leur consentement à l’impôt n’est plus acquis. De même, il réprimera toute volonté d’auto-défense des producteurs contre les barbares : ceux qui ont la force de résister aux barbares pourraient bien, demain, vouloir résister aussi aux collecteurs d’impôts, et ce risque est intolérable aux yeux de l’empire.

Ibn Khaldoun nous explique qu’une fois arrivé à ce stade de son évolution l’empire est décadent, le divorce entre les producteurs et la caste dirigeante est consommé, l’effondrement est proche.

Prenons l’affaire de Crepol. Une dizaine de jeunes ont attaqué 300 à 400 personnes qui participaient à une fête dans ce village de la Drôme. Un ado de 16 ans a été tué à l’arme blanche et 17 personnes ont été blessées. Pourquoi l’État a su être si ferme face aux Gilets jaunes alors qu'il réchigne à le faire face à des bandes de jeunes ?

L’État n’en est pas incapable, il a choisi de ne pas le faire. De nombreux services de l’État voudraient agir, à tous les niveaux, mais sont paralysés par le manque de courage politique de nos dirigeants, par l’idéologie d’une grande partie de la magistrature, et par notre incapacité collective à regarder les choses en face.

Mater ces bandes de racailles – je refuse de les appeler des « jeunes », Thomas et ses amis de Crepol sont des jeunes, nos jeunes, nos gamins que nous avons abandonnés face aux racailles – mater les racailles, donc, veut dire accepter d’utiliser contre eux la violence légitime des forces de l’ordre, y compris l’usage des armes lorsque c’est nécessaire. On ne peut pas pleurer aujourd’hui la mort de Thomas et « en même temps » pousser des cris d’orfraie dès qu’un policier ouvre le feu sur un délinquant. Y sommes-nous prêts ? Sommes-nous prêts à rejeter les injonctions des « faiseurs d’opinion » ? Sommes-nous prêts à nous réarmer moralement, culturellement, politiquement ?

Quant à savoir pourquoi l’État a fait des choix différents face aux Gilets Jaunes, je vous renvoie à Ibn Khaldoun en ajoutant ceci : les Gilets Jaunes étaient très majoritairement issus de la classe moyenne et des classes populaires, populaires au vrai sens du terme et non comme euphémisme pour désigner ce que Marx appelait le lumpen. Or, nos « élites » partagent avec les racailles un profond mépris envers les gens dits ordinaires, les petites gens, « monsieur Tout-le-monde », le « Français moyen », les traitant de « beaufs » et qualifiant l’expression de leurs souffrances de « propos de café du commerce », alors que c’est sur ces gens ordinaires que repose la décence commune, la « common decency » chère à Orwell, qui est tout ce qui nous sépare de la barbarie. Malraux rendait hommage aux « soutiers de la gloire », n’oublions jamais les soutiers de la civilisation. La bien-pensance progressiste passe son temps à culpabiliser ces classes moyennes et populaires : leur rendre la conscience de leur dignité, leur dire clairement qu’ils ont le droit de refuser que l’État laisse des barbares tuer leurs enfants, est sans doute l’enjeu le plus important des prochaines années. Si c’est là du populisme, assumons d’être populistes.

En appliquant la théorie d'Ibn Khaldoun... Serait-il rentable de les soumettre à l'autorité de l'Etat ? Quel bénéfice pour la société ? 

Soumettre les racailles est une question de vie ou de mort pour la société. Ce n’est évidemment pas rentable à court terme, mais c’est indispensable pour éviter le chaos généralisé à moyen terme. Voyez le coût des émeutes/razzias du début de l’été 2023 : le chaos peut être rentable pour certains individus sans scrupule, mais il ne l’est absolument pas pour le bien commun.

Peut-on espérer de la contre-société – que schématiquement on dira islamo-décoloniale – une fois matée une contribution bénéfique à la société française dans son ensemble ? Non. Des individus issus de familles vivant dans cette contre-société peuvent évidemment faire le choix de s’en détacher pour rejoindre la société française « normale », et apporter leurs talents personnels à la collectivité. C’est d’ailleurs déjà le cas. Fort heureusement, nul n’est prisonnier de ses origines, le libre-arbitre existe ! Mais en tant que groupe, le mieux que l’on puisse espérer de cette contre-société est qu’elle disparaisse, ses membres s’assimilant à la société française « normale » ou quittant le territoire national s’ils refusent cette assimilation.

Contrairement à d’autres apports extérieurs, comme par exemple les sociétés confucéennes, la contre-société islamo-décoloniale repose sur des fondamentaux civilisationnels opposés à ceux des sociétés européennes, ce qui rend illusoire tout espoir de créolisation culturelle.

L’Etat les laisse-t-il faire délibérément pourvu que la collecte de l'impôt ne soit pas menacée ? 

Oui…. et non ! Les acteurs du processus d’effondrement collectif décrit par Ibn Khaldoun en sont rarement conscients. Ceux qui ont renoncé à l’action politique pour se transformer en « gestionnaires de l’inéluctable » (alors qu’il n’y a pas d’inéluctable : le « sens de l’histoire » est une fable inventée par ceux qui n’ont pas le courage de faire l’histoire, et par ceux qui prétendent que leurs choix idéologiques seraient des évidences) n’ont généralement pas le courage de regarder en face les conséquences concrètes de leur action et de leur inaction. Pour autant, cet effondrement n’est pas un processus subi, mais la conséquence de choix délibérés.

Pour simplifier, la tiers-mondisation de l’Europe est volontaire, mélange de dumping social et de multiculturalisme, et vise à briser la souveraineté populaire, invention de la civilisation européenne, et à mettre fin à la décence commune. Pourquoi ? Parce que souveraineté populaire et décence commune brident les appétits des « élites », qui envient les libertés que s’octroient leurs homologues du tiers-monde. La civilisation européenne, plus qu’aucune autre, a cultivé le refus de l’arbitraire. L’effondrement de cette civilisation est donc un impératif pour quiconque veut imposer son arbitraire : tyrans, fanatiques religieux ou politiques, pillards, seigneurs de la guerre économique, etc. C’est ce que je développe dans mon livre, Refuser l’arbitraire, tout en proposant des pistes d’action pour enrayer cette mécanique infernale.

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