Populisme, le retour : jusqu’où montera la nouvelle vague occidentale de rébellion politique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Geert Wilders, à la tête du Parti de la liberté, a remporté mercredi les législatives aux Pays-Bas.
Geert Wilders, à la tête du Parti de la liberté, a remporté mercredi les législatives aux Pays-Bas.
©JOHN THYS / AFP

2016, la suite

La victoire surprise de Geert Wilders aux Pays-Bas après celle de Javier Milei en Argentine replace sur le devant de la scène des partis qu’on croyait en reflux après la grande vague brexito-trumpiste du mitan des années 2010

Jeremy Stubbs

Jeremy Stubbs

Jeremy Stubbs est le directeur adjoint de la rédaction du magazine Causeur (Paris) ainsi que président des Conservatives Abroad in Paris (section française du Parti conservateur britannique). 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : La victoire de Geert Wilders peut-elle donner des idées aux électeurs d'autres pays ? Quid de l'arrivée d'un leader populiste en France aux prochaines élections ? Si oui, comment ?

Jeremy Stubbs : Les électeurs en général n’ont pas besoin des exemples d’autres pays pour s’exprimer. Mais leurs problèmes sont si similaires que les solutions se ressemblent aussi. Le vote en faveur de Wilders (il n’a pas encore formé de gouvernement) est le symptôme d’un malaise général en Europe, surtout occidentale, provoqué par l’immigration de masse (légale et illégale), l’insécurité économique résultant de la mondialisation et le sentiment que les dirigeants politiques actuels sont pusillanimes. Ces facteurs sont à l’œuvre aussi bien en France, qu’au Pays bas, qu’au Royaume-Uni qu’en Italie. C’est ce qui explique le succès électoral du RN. Ce qui a exclu le RN et Marine Le Pen des plus hautes fonctions jusqu’ici, c’est le « barrage à droite », une sorte de digue qui sépare la droite populiste du reste de la droite, et qui a donné lieu à une fragmentation de la droite en France. Il y a aussi le problème de la constitution de la Ve République qui concentre trop de pouvoir entre les mains d’un président. Il y a donc plus d’obstacles en France qu’ailleurs empêchant l’accession au pouvoir d’un leader populiste.

Christophe Boutin : Quel leader, de quel populisme ? Sont mis en commun derrière cette appellation générique de « populistes » des partis qui mettent en doute la légitimité des pouvoirs et proposent des mesures qui favoriseraient une démocratie directe, devenue selon eux une arme nécessaire pour défendre le peuple contre les élites qui le trahiraient. En ce sens, il y a un populisme « de droite », nationaliste, et un populisme « de gauche », internationaliste – Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon pour prendre des exemples locaux, ou la Lega et le Mouvement cinq étoiles en Italie. Deux populismes qui ont tous deux progressé ces dernières années, et qui se retrouvent parfois dans leurs attaques communes envers une Union européenne présentée comme une construction artificielle, ultralibérale et antidémocratique.

Pour autant, à l’échelle européenne ou internationale, la progression la plus importante est celle du populisme « de droite », nationaliste donc, protectionniste, très critique des actuelles politiques d’immigration, conservateur sur le plan sociétal, souhaitant renforcer l’autorité au pouvoir comme dans l’ensemble de la société. Une progression de partis qui, tous ou presque, sont labellisés « d’extrême-droite » par la presse, quand les spécialistes s’interrogent pourtant sur la validité d’une dénomination plus incantatoire qu’opérative.

C’est d’ailleurs à ce populisme là qu’appartiennent Geer Wilders et son Parti pour la Liberté (PPV) qui vient d’obtenir 35 des 150 sièges au Parlement batave. Quant à savoir si cela peut « donner des idées à d’autres », à faire un rapide tour d’horizon, sans évoquer l’ensemble des partis présents dans chaque pays de l’Union européenne, il semble que ce soit déjà le cas, qu’on ne l’a pas attendu pour cela, et que l’on assiste même à un mouvement de fond. En France, le Rassemblement national apparaît comme le premier parti après les dernières élections législatives, et Marine Le Pen (qui vient de féliciter Wilders) a été présente au second tour de deux élections présidentielles. Au Portugal, Chega est devenu la troisième force politique du pays. En Allemagne, l’AfD est en constante progression. En Espagne, Vox, malgré son léger recul, est la troisième formation politique. En Suède ce sont les Démocrates suédois qui sont à la deuxième place. En Belgique le Vlaams Belang (VB) est à la première place. En Bulgarie (Vazrazhdane), en Estonie (EKRE), en Croatie (Mouvement pour la Patrie), en Roumanie (AUR) de semblables partis progressent, et nous reviendrons sur d’autres exemples.

Ce sont des partis qui séduisent de nouveaux électeurs ou qui profitent de la lassitude des votants ?

Jeremy Stubbs :Les deux. Le problème, c’est que quand l’électorat choisit un leader populiste, que ce soit Boris Johnson ou Giorgia Meloni, c’est souvent dans un climat de frustration et presque de désespoir. Il s’attend donc à des changements profonds, à des résultats rapides, dramatiques. Sauf que, concernant l’immigration et la mondialisation, de tels changements sont nécessairement lents et difficiles à obtenir, car chaque nation est aujourd’hui entravée, non seulement par des facteurs internes, mais aussi par le droit international, les conventions, les accords commerciaux… Les populistes ne peuvent pas produire les résultats escomptés dans le temps alloué. Ils sont obligés de se limiter à quelques gestes, et de dénoncer les institutions existantes, comme les tribunaux, qu’ils n’ont pas eu le temps de réformer. C’est toute l’histoire du projet rwandais du gouvernement conservateur au Royaume-Uni. La conséquence d’un tel échec relatif, c’est encore plus de lassitude chez l’électorat, encore plus de méfiance par rapport aux politiques en général.

Christophe Boutin : On croit volontiers que, lors d’une élection, les partisans du pouvoir en place ou du statu quo ont moins envie de venir voter que ceux qui veulent changer les choses, et que plus les oppositions sont virulentes, plus leurs sympathisants se rendent aux urnes. Les choses sont beaucoup plus nuancées, et cet élément est largement infirmé par deux constatations. La première est que les études montrent que les abstentionnistes, quand on leur demande quel aurait été leur choix s’ils étaient allés voter, se répartissent sur l’ensemble du spectre électoral. La seconde, plus intéressante, contredisant d’ailleurs un peu la première, est que l’abstentionnisme frappe plus certaines catégories, comme celles des jeunes et des catégories socioprofessionnelles les plus faibles. Or, de nos jours, c’est dans ces deux catégories que se trouvent nombre d’électeurs des partis populistes, et on peut se demander s’il n’y aurait pas, au contraire, intérêt pour les populistes à faire revenir aux urnes des gens qui, comme eux, sont très critiques sur la manière dont l’oligarchie actuelle dirige leur pays. Ce qui éloigne ces derniers du vote est qu’ils estiment souvent, une fois le diagnostic critique commun posé, que, de toute manière, le système politique ne permettra pas de « renverser la table ». La progression des partis populistes s’explique donc sans doute bien plus par l’apport de nouveaux électeurs que par l’absence de prise de conscience du danger populiste par les partisans des pouvoirs en place, qui, en s’abstenant massivement, feraient le jeu de minorités agissantes.

L'arrivée d'un populiste au pouvoir, quel impact sur les systèmes électoraux ? L'impossibilité de faire des alliances ? 

Christophe Boutin : Ces diverses formations obtiennent fréquemment de nos jours des scores autour de 20% lors des diverses élections. Pourtant, vous avez raison, elles sont tout aussi fréquemment écartées de toute alliance – c’est le « cordon sanitaire » contre l’extrême droite. 

Il n’en reste pas moins que les choses changent, et que les leaders et partis populistes de droite sont aussi de plus en plus au pouvoir , ou associés à lui. En Hongrie, le Fidez offre à Viktor Orban son quatrième mandat. En Italie, la Lega de Salvini et Fratelli d’Italia de Meloni sont au pouvoir. En Finlande, Rikka Purra s’est associé aux conservateurs. En Slovaquie, le Parti National (SNS) fait partie de l’alliance gouvernementale. En Autriche, le Parti de la Liberté (FPÖ) est un élément incontournable de la vie politique. Et beaucoup de ces partis populistes participent au pouvoir local (régions, communes). Cette conquête du pouvoir n’est cependant en rien définitive : en Pologne, le PIS (Droit et justice) vient de perdre le pouvoir face à l’opposition centriste favorable à l’Union Européenne.

Les choses évoluent donc, avec deux aspects. D’une part, pour pouvoir participer aux alliances, certains partis populistes diminuent la radicalité de leurs thèses, dans ce qu’on appelle fréquemment un processus de « dédiabolisation ». Ensuite, s’ils participent grâce à cela au pouvoir, ils sont nécessairement contraints de prendre en compte des réalités qu’ils avaient jusque-là négligées, tant il est vrai qu’il est toujours plus facile de critiquer dans l’opposition que d’agir au pouvoir. Ces deux éléments peuvent d’ailleurs conduire à l’apparition de nouveaux partis, plus radicaux.

Jeremy Stubbs :Si les problèmes de chaque pays (en Europe occidentale et en Amérique du Nord) tendent à se ressembler, les systèmes électoraux et les traditions politiques diffèrent. Au Royaume-Uni, on n’a pas besoin d’alliances si le parti an pouvoir est uni. Dans d’autres pays, comme les Pays-Bas en ce moment, une alliance s’impose et peut être difficile à trouver. C’est aussi le cas de la France en ce moment. La question, c’est pendant combien de temps l’électorat peut-il tolérer l’absence d’unité chez ses élus sur des questions qui lui semblent fondamentales ? 

Le populisme est en hausse depuis plusieurs années dans d'autres démocraties occidentales comme le Royaume-Uni avec le Brexit ou les Etats-Unis avec Donald Trump. Comment expliquer cette montée ? 

Christophe Boutin : Sans doute parce qu’un certain nombre d’inquiétudes sont de nos jours largement partagées par des populations différentes vivant dans des États différents. Citons par exemple : leur crainte de voir, par des normes nouvelles et des méthodes de contrôle toujours plus intrusives, leurs libertés menacées ; leur stress causé par l’insécurité physique et culturelle dans laquelle ils vivent ; leur sentiment, sinon d’un effondrement de leur pays, au moins de leur déclassement économique et social ; le fait qu’ils ne se voient proposer par les pouvoirs en place d’autres perspectives que la fuite en avant ; le sentiment, enfin, d’un décalage devenu gouffre entre leur réalité quotidienne et la manière dont la caste politico-médiatique la décrit.

Comme les réalités locales sont différentes, les réponses des différents leaders populistes ne seront bien évidemment pas exactement les mêmes, notamment quant à leurs approches du rôle économique et social de l’État. Mais sur d’autres points – la souveraineté et l’identité de leur nation, la place du peuple dans le processus décisionnel, la restauration de l’autorité – il ne peut qu’y avoir des réponses proches à des questions identiques. 

Jeremy Stubbs :En fait, nous voyons des vagues de populisme qui montent et descendent et se succèdent. En 2016, avec Trump et le Brexit, les commentateurs ont annoncé la grande montée du populisme. Pourtant, Trump a été remplacé par Biden et, dans des circonstances très différentes, Johnson par Sunak. Les populistes triomphent aux élections, ne réussissent que partiellement, cèdent la place à des hommes et des femmes politiques plus traditionnels et consensuels. Ces derniers ne règlent pas les problèmes qui préoccupent une grande partie de l’électorat qui recommence à vouloir un dirigeant populiste. On dirait – pour l’instant – un cycle vicieux. L’exception, c’est la France qui a élu un centriste – certains diraient paradoxalement un « populiste du centre » - deux fois de suite. Mais la frustration des citoyens n'en sera que plus grande à la fin du mandat d’Emmanuel Macron. 

Certains disent que l'expérience populiste britannique s'est arrêtée avec le retour de David Cameron dans le gouvernement. Vous partagez cette analyse ? 

Jeremy Stubbs :Le retour – étonnant – de David Cameron est une manière pour Rishi Sunak d’assurer son flanc centriste, pour ainsi dire, mais un grand point d’interrogation reste sur son flanc droit. Il est clair qu’il faut que lui-même ou quelqu’un nommé par lui doit assumer ce rôle sur la droite de la droite. Jusqu’ici, c’était Suella Braverman, mais elle est allée trop loin et affichait trop son ambition de succéder à Sunak un jour. La cote de popularité auprès des adhérents du Parti conservateur de Nigel Farage, l’ancien leader de UKIP et du Brexit Party, devenu Reform Party, aujourd’hui animateur à GBNews et vedette de téléréalité, est très élevée. Comme dans le passé, il met la pression sur les classes politiques les obligeant à prendre des positions plus radicales. Pourtant, comme je le disais plus haut, les mesures populistes n’ont eu jusqu’à présent que des résultats mitigés. Le Brexit n’a pas changé grand-chose pour les Britanniques. On vient d’annoncer un solde migratoire net record pour l’année 2022. Le cycle vicieux va continuer…

Christophe Boutin, il y a 2 ans, nous vous avions posé cette question : le pic de populisme est-il derrière nous ?Que répondre aujourd'hui ?

Christophe Boutin : Vous évoquiez alors la thèse du politologue américain Yasha Mounk, qui pensait que la chute de Donald Trump pourrait être le premier signe d’un reflux du populisme. Il évoquait en appui de cela des fléchissements de partis populistes européens en France, Allemagne, Danemark, Suède, Hollande, Grèce et Hongrie, ou les tensions autour de Bolsonaro ou de Modi. 

Prudent, il écrivait cependant qu’il était beaucoup trop tôt pour affirmer une certitude, et on mesurera au vu de la situation actuelle combien il avait raison de rester prudent. Le populisme moderne, que nous avons traité avec Olivier Dard et Frédéric Rouvillois dans ce Dictionnaire des populismes que nous avons codirigé, traduit la réaction de peuples qui, inquiets de se voir projetés dans la mondialisation, soumis au « gouvernement des juges » et intégrés parfois dans un fédéralisme opaque, veulent redevenir maîtres de leurs destins, et retrouver pour cela le plein usage de cette souveraineté que la démocratie leur confie.

Mounk estimait que les partis « classiques », prenant conscience du danger populiste, avaient fait évoluer leur discours pour reprendre à leur compte certaines de ces attentes, coupant l’herbe sous le pied des populistes. C’est parfois le cas, comme au Danemark, où la gauche s’est emparée de la question de l’immigration, mais c’est très rare, et, surtout, les électeurs mettent souvent en doute la crédibilité de tels revirements. Car quand Mounk expliquait le rejet du populisme par les coups qu’il porterait aux valeurs de la société libérale – indépendance des médias, libre jeu électoral –, valeurs auxquelles se rallierait la population, il négligeait le fait que ces dernières sont tout autant menacées par « l’extrême-centre » au pouvoir, et que les populations, qui en ont bien conscience, ne sont guère traumatisées de voir écartés les politiques défaillants et leurs thuriféraires médiatiques. 

Dans ces conditions, non seulement l’appétence pour les réponses populistes ne baissera pas, mais, les tensions devenant plus dures – le pouvoir, ne répondant pas aux attentes, n’a d’autre choix que d’augmenter contrôle et répression -, les peuples semblent de plus en plus facilement prêts à courir le risque, sinon d’une révolution, au moins d’un changement radical des titulaires du pouvoir. Les élections européennes de 2024 pourraient bien nous donner quelques indications en la matière.

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