Politique familiale : pourquoi Valérie Pécresse aurait tout intérêt à se montrer plus audacieuse <!-- --> | Atlantico.fr
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Valérie Pécresse prononce un discours lors du conseil national du parti Les Centristes à Paris, le 22 janvier 2022.
Valérie Pécresse prononce un discours lors du conseil national du parti Les Centristes à Paris, le 22 janvier 2022.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Incohérences

Qui a conscience des aberrations que recèle le maquis de notre politique familiale ?

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Sait-on qu’un couple percevant deux fois le SMIC ne bénéficie d’aucune aide financière de l’Etat pour élever son enfant unique ? Perçoit-on qu’une mère qui élève quatre enfants sans le soutien financier de son ex-époux bénéficie, à ce titre, de 2.000 euros d’aides par mois si elle gagne par son travail 4 ou 5 fois le SMIC ? Qui comprend que cette aide tombe à 1.100 euros si cette mère isolée perçoit moins que le SMIC ?

Personne ne comprend ces complications

Les parents n’ont évidemment aucune conscience de ces différences de traitement. Chacun ne connait que les dispositifs qui le concernent directement et ignore la complication des règles de calcul s’appliquant à d’autres. Résumons cela.

Pour les plus pauvres, la politique familiale prend surtout la forme de majorations du RSA et de la Prime d’activité en présence d’enfants à charge, dès le premier. Lorsque ces familles perçoivent aussi des allocations familiales, celles-ci sont en grande partie déduites des minima sociaux, ce dont peu de bénéficiaires ont conscience et que les autres n’ont aucune raison de savoir. 

Pour les classes moyennes, le soutien financier prend essentiellement la forme des allocations familiales, dont la visée est explicitement nataliste : elles ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant, avec un montant modeste, et ne deviennent conséquentes qu’à partir du troisième enfant.

Pour les ménages plus aisés, la politique familiale c’est d’abord la réduction d’impôt réalisée par le mécanisme du « quotient familial », dès le premier enfant. De façon schématique, notons déjà que la politique familiale est sociale pour les pauvres, nataliste pour les classes moyennes, fiscale pour les riches. 

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Il s’y superpose une quatrième logique : une compassion à géométrie variable pour les mères isolées, qui conjugue une Allocation de soutien parental (ASF), identique pour chaque enfant privé du soutien d’un de ses parents, et une forte réduction d’impôt pour les familles monoparentales aisées. 

Visualiser l’incohérence de notre politique familiale

La résultante de ces quatre logiques est tracée dans le graphique ci-dessous, qui figure le cumul de toutes les interventions publiques, par enfant à charge, en fonction de la composition de la famille et du niveau de ses ressources. 

Le constat le plus immédiat est que le montant varie de 0 à 500 euros par mois et par enfant. A force d’accumuler des exceptions et des bons sentiments, la politique familiale a perdu tout bon sens. Les quelques 200 euros supplémentaires accordés (par enfant) aux parents isolés, à condition que leurs ressources soient supérieures à 2 ou 3 SMIC, est un aspect méconnu de notre politique familiale. Ceci a une conséquence curieuse : reprendre une vie de couple est une décision financièrement peu rationnelle pour beaucoup de mères seules. Est-ce un effet voulu par nos législateurs ?

La candidate Valérie Pécresse reconnait ces incohérences

Lors de la campagne de la primaire LR, une seule candidature a évoqué la politique familiale. Valérie Pécresse a expliqué son projet de rétablir l’universalité des allocations familiales, avec un montant ne dépendant plus des ressources des parents (ce qui était le cas avant la réforme malheureuse de François Hollande en 2015). Elle va plus loin en proposant de verser les allocations familiales dès le premier enfant, avec un montant réduit (75 euros par mois) ce qui atténue l’anomalie identifiée pour les classes moyennes comptant un seul, voire deux enfants. Par ailleurs, elle propose aussi de renforcer de 15% le montant des allocations familiales pour les familles comptant deux enfants ou plus. 

Le graphique ci-dessous, développé par Léon Régent, vice-président de l’AIRE, montre comment évoluerait le cumul des dispositifs actuels du fait de ces réformes. 

On note avec satisfaction que les courbes continues rouge et vert, figurant les couples avec un ou deux enfants, se rapprochent nettement et atténuent leurs oscillations. 

Sur d’autres aspects, la lecture du nouveau graphique est implacable. 

Pour les couples comptant trois ou quatre enfants à charge, le soutien fiscal réservé aux hauts revenus (la partie droite des courbes jaune et bleu) est d’une centaine d’euros plus élevé que pour les familles moins aisées (à gauche). Cet écart est beaucoup plus marqué pour les familles monoparentales (en pointillés), où l’avantage fiscal très marqué accordé aux parents isolés des classes moyennes et aisées augmente toujours de 200 euros ou plus (par enfant) l’aide accordée aux foyers pauvres et modestes. 

Que serait une politique familiale équitable et cohérente ?

L’étude que nous menons depuis 2017 des diverses propositions de réformes – à gauche comme à droite – révèle deux invariants : la gauche défend la dégressivité de l’aide en fonction des revenus ; la droite défend le mécanisme du quotient familial. Ces deux positions sont irréconciliables. 

A la réflexion, la sagesse commande de donner tort aux deux, pour se recentrer sur la question centrale : comment la communauté nationale peut-elle assurer un soutien efficace à chaque famille, pour l’aider à accueillir ses enfants ? Cet investissement de la nation dans le renouvellement de ses générations a du sens, ce que démontrent amplement les pays en crise démographique sévère, du Japon à l’Italie.  

A partir de cette première position raisonnable, plusieurs interrogations émergent :

  • Faut-il aider les familles dès le premier enfant ou privilégier les familles nombreuses ? 

  • Faut-il aider le parent qui sacrifie sa carrière pour se consacrer à ses enfants, ou aider plus fortement celui qui fait le choix de continuer à travailler ? 

  • Faut-il encourager les unions conjugales stables, ou renforcer l’aide réservée aux parents isolés ? 

Des arguments émergent en faveur des deux termes de chacune de ces questions, montrant les tensions qui compliquent tout projet de réforme dans ce domaine. 

Ici, une seul option est raisonnable : l’agnosticisme. A 21ème siècle, l’Etat français n’a pas de légitimité à privilégier les familles nombreuses plus que les parents d’enfant unique, les mères au foyer plus que celles qui travaillent. Et pourquoi encourager financièrement les parents isolés plus que les couples stables ?

Simple et lisible, la seule politique familiale raisonnable

De façon toute pragmatique, il y aurait des avantages considérables à passer à une prestation monétaire indépendante du rang de l’enfant dans la fratrie et du revenu du foyer. Le système serait compréhensible, plus juste, moins cher à gérer, adapté aux familles « recomposées » qui n’existaient guère il y a 50 ans. Certaines familles nombreuses pourraient être un peu perdantes certaines années ; ce serait transitoire, leur nombre d’enfants à charge évoluant dans le temps. 

Cette proposition intéresse tous les groupes politiques centristes, mais elle se heurte encore à la guerre idéologique que nous avons dénoncée. Espérons que l’avancée programmatique de la candidate Valérie Pécresse, auquel le candidat Gaspard Koenig répond en allant encore plus loin dans la simplification grâce au revenu universel, donnera des ardeurs au gouvernement élu dans trois mois pour rationaliser enfin une politique familiale devenue inepte à force d’ajustements paramétriques. 

Instaurer l’allocation familiale unique n’est qu’un pas modeste, facile à réaliser (techniquement, pas politiquement !). Elle est un symbole fort d’unité nationale, d’égalité dans la fraternité. A ce titre, elle est un magnifique projet politique, au sens le plus noble de ce terme. 



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