Pire que la dette et les déficits, les engagements hors bilan de l’Etat français<!-- --> | Atlantico.fr
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La dette hors bilan passe généralement bien en-dessous des radars politiques et médiatiques.
La dette hors bilan passe généralement bien en-dessous des radars politiques et médiatiques.
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Engagements hors bilan

La dette publique ne tient pas compte de tous les engagements donnés par l’État. Il faut aussi prendre en compte la dette hors bilan, qui passe généralement bien en-dessous des radars politiques et médiatiques.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

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Atlantico : La dette française, ainsi qu’officiellement comptabilisée par l’Insee, reflète-t-elle systématiquement l’intégralité des dépenses et des emprunts ? Que peut-on dire des éventuels risques non comptabilisés que court notre économie ou les engagements hors-bilan ?

Nicolas Marques : La dette publique ne tient pas compte de tous les engagements donnés par l’Etat. Ce n’est pas en soi une anomalie, sauf dans le cadre des retraites des fonctionnaires. Le dernier compte général de l’Etat intègre 2 200 milliards d’euros d’engagements hors bilan pouvant donner lieu à une implication indirecte de l’Etat. L’Etat garantit, par exemple, les livrets d’épargne réglementés soit 560 milliards d’euros d’engagements hors bilan, apporte 126 milliards de garantie au mécanisme européen de stabilité (MES), garantit 75 milliards d’euros de prêts au titre des PGE, pourrait en théorie être engagé pour le même montant vis-à-vis du plan de relance européen, soutient le commerce extérieur à hauteur de 60 milliards, garantit la dette de l’Unedic à hauteur de 52 milliards… Ces engagements hétéroclites ne sont pas considérés comme des dettes car il serait nécessaire que se produise toute une série d’événements spécifiques pour que les finances publiques soient mises à contribution. Il n’y a là aucune anomalie, même si les montants en jeu – 84% du PIB – interpellent. En comptabilité privée comme publique, ce type d’engagement incertain n’est pas considéré comme une dette. L’usage est de ne pas prendre en compte les passifs éventuels, non avérés et réalisés, au bilan.

En revanche, on trouve dans le hors bilan de l’Etat une dépense quasi certaine liée aux retraites que l’Etat s’est engagé à verser à ses personnels. Fin 2022, les engagements de retraite de l’Etat vis-à-vis des fonctionnaires civils et militaires représentaient 1 683 milliards d’euros, soit 65% du PIB. En Europe, ces engagements retraite ne sont pas comptabilisés dans la dette publique, ce qui constitue une particularité. Dans toute une série de pays de l’OCDE, les administrations intègrent les promesses retraites faites à leurs personnels dans le calcul de leur dette et, dans le monde entier, les entreprises font de même. Si les administrations publiques étaient soumises aux normes comptables IFRS qui s’appliquent aux entreprises, la dette publique française aurait été fin 2022 de l’ordre de 180 % du PIB, bien au-delà des 114 % publiés par l’INSEE. En effet, les normes IFRS obligent les entreprises à enregistrer à leur passif la valeur des promesses retraite faites à leurs personnels et anciens personnels, alors que la définition de la dette « Maastricht » exclut ce type d’engagement.

Charles Reviens : Les données 2023 sur la situation des finances publiques françaises ont été publiées par l’INSEE le mardi 26 mars. Le calcul de la dette publique calculée par l’INSEE s’appuie sur sa définition « au sens du traité de Maastricht », à savoir l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques (Etat, collectivités territoriales, administrations de sécurité sociale).

Cette dette est également calculée par Eurostat pour les pays membres de la zone euro. La dette française est passée entre 2013 et 2022 d’un niveau à la moyenne de la zone euro (90 %) à 110 % du PIB en 2022, 20 points au-dessus de la moyenne de la zone euro et parmi les 3 pays membres les plus endettés avec la Grèce et l’Italie.

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Il n’y a donc pas besoin de prendre en compte l’enjeu des engagements hors bilan pour prendre conscience du caractère très préoccupant de la situation des finances publiques françaises. La dégradation sur la dernière décennie tient pour beaucoup au « quoi qu’il en coûte » macronien lors de la pandémie covid qui a eu pour le moment pour conséquence une forte désensibilisation de l’opinion publique française à la question des déficits et de la dette publique, comment en attestent l’absence quasiment totale de cet enjeu lors des élections présidentielles de 2022 et sa place de bonne dernière des priorités des français dans le cadre des élections européennes de 2024 à venir tel que cela apparait dans différents sondages.

Concernant les engagements hors bilan, il est utile de se référer au site fipeco de François Ecalle et à sa fiche sur le sujet : « les engagements hors bilan sont des obligations potentielles à l’égard de tiers dont l’existence ne sera confirmée que par la survenance d’événements futurs incertains et hors du contrôle de l’Etat. Ils sont très hétérogènes et on y trouve par exemple la garantie des emprunts contractés par des entreprises, des engagements de versement de prestations sociales (…) Leurs modes de valorisation sont aussi très divers : valeur actualisée des pensions dues aux agents en poste ou en retraite à législation inchangée jusqu’à leur décès pour les engagements de retraite, montant de la subvention votée en loi de finances pour l’année suivante pour les subventions à la SNCF, montant nul s’agissant de la responsabilité de l’Etat en cas de catastrophe nucléaire. »

Les données sur les engagement hors bilan de l’Etat sont publiques et fournies chaque année dans les comptes de l’Etat sur le site des ministères économiques et financiers pour un montant total de 3 800 mds€ (montant à comparer aux 3 088 mds€ de dette indiqués par l’INSEE à la fin de 3ème trimestre 2024), dont la moitié comme engagements de retraite de l’Etat.

La dette hors bilan est souvent utilisée comme une forme de placard financier pour les engagements de l’Etat. Dans quelle mesure est-ce que cette gestion peut-elle s’avérer opaque ? Cela la rend-il plus dangereuse que la dette “budgétisée” ?

Charles Reviens : Je ne souscris pas à cette expression de « placard financier opaque » des comptes de l’Etat. Les données en la matière sont publiques et soumises au contrôle de multiples acteurs : Cours des Comptes, haut conseil des finances publiques, agences de notation, opposition parlementaire.

Le niveau de la dette publique est en soit problématique vu son niveau et sa dynamique sur les cinq dernières décennies (quasiment aucune dette publique nette en 1974). Les engagements hors bilan donnent pour leur part des informations supplémentaire : François Ecalle indique ainsi que les engagements de retraite de l’Etat correspondent à la valeur actualisée des pensions qui devront être versées, à législation constante, aux agents actifs ou retraités à date sur la base de prévisions relatives aux évolutions de carrière et à l’âge de départ en retraite des actifs et de tables de mortalité fournies par l’INSEE.

Par ailleurs Eurostat a comparé le segment « garanties » de ces engagement : ces garanties représentaient 15 % du PIB en France fin 2021, un taux inférieur à ceux de l’Allemagne (17 %) et de l’Italie (16 %) mais supérieur à ceux de l’Espagne (12 %), de la Belgique (9 %) et des Pays-Bas (4 %).

Nicolas Marques : Le hors bilan gagnerait à être mieux contrôlé par le parlement pour éviter que le gouvernement y glisse des engagements qui mériteraient d’être mieux contrôlés, voire provisionnés. La pratique qui consiste à ne pas prendre en compte les promesses retraite faites aux fonctionnaires dans le calcul de la dette est éminemment questionnable, même si elle est conforme aux règles de la comptabilité publique européenne. Les retraites des personnels de l’Etat s’assimilent, en effet, à des promesses quasi certaines en France. Elles ne relèvent pas de la répartition, qui est l’apanage du secteur privé, et ne sont pas assorties de mécanismes d’équilibrage comptable. L’Etat n’a pas de caisse de retraite proprement dit, n’a pas des mécanismes d’ajustement des dépenses aux recettes ni de réserves, contrairement aux institutions de retraite du secteur privé bien gérées, comme l’Agirc-Arrco ou la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens. Il s’est engagé à servir des retraites à ses personnels en puisant dans le budget. Les engagements de retraite de l’Etat à l’égard de ses personnels sont donc une quasi dette. Les prendre en compte dans le calcul de la dette publique ferait sens. Les chiffres de dettes publiques d’une partie des pays de l’OCDE – tels les Etats-Unis ou le Canada – intègrent d’ailleurs les promesses de retraites faites aux employés publics.

Le principe même de dette hors-bilan ne pose-t-il pas de vraies questions politiques en matière de sincérité des budgets ? Dans quelle mesure la question qui se pose devient-elle alors également démocratique ?

Nicolas Marques : La pratique visant à repousser dans le hors bilan des dépenses quasi certaine pose effectivement un problème de transparence, brouille la perception des enjeux financiers et retarde la remise en ordre des finances publiques. Ne pas prendre en compte les promesses retraite faites par l’Etat à ses personnels fausse la lisibilité des finances publiques françaises et ne rend pas service. Peu de monde comprend que le déséquilibre systématique des comptes publics est en grande partie la conséquence du vieillissement et, en particulier, de l’absence de provisionnement des retraites des fonctionnaires, car cet aspect relève du hors bilan. Dans une étude récente, nous avons montré que le déséquilibre lié aux retraites des fonctionnaires représente 2 % du PIB par an en moyenne depuis 2002, si l’on prend comme référence le taux de cotisation retraite du secteur privé. Le caractère systématique des déficits publics est en grande partie la conséquence d’une mauvaise de gestion du hors bilan en France. Tant que ce constat ne sera pas fait, il n’y aura pas de remise en ordre structurelle des finances publiques.

Charles Reviens : Il y a nécessairement des options lourdes qui peuvent avoir des conséquences sur la « sincérité » des engagements hors bilan. On peut penser aux choix du taux d’actualisation utilisé pour valoriser à aujourd’hui les décaissements futurs de l’Etat pour payer ses pensionnés.

Mais il ne faut pas oublier des méthodes beaucoup plus simples et plus pérennes pour jouer sur la sincérité des budgets. La méthode la plus simple et la plus usitée concerne le choix du taux de croissance de l’économie retenu pour le budget annuel et plus encore pour la programmation pluriannuelle des finances publiques transmise à la Commission européenne suivant les dispositions du pacte de stabilité et de croissance. On constate depuis 1997 la surestimation importante et systématique de la croissance de l’économie française, conduisant à une surestimation des recettes publiques et donc du solde budgétaire à dépenses publiques globalement stables.

Quant à la dimension démocratique des informations sur les finances publiques, j’ai déjà évoqué la forte désensibilisation de l’opinion publique française à débat, en dépit de l’existence de différents contre-pouvoirs : Haut conseil des finances publiques, thinktanks comme l’Ifrap ou Fipeco, opposition parlementaire.

Il faut penser également au poids des agences de notation dont la note (la France a perdu son triple A en 2012 et subit depuis une dégradation progressive de son statut d’emprunteur), et l’agitation gouvernementale des derniers jours (programme d’économies de 10 mds€) est sans doute en lien avec les futurs exercices de notation souveraine.

Le Sénat organisait récemment un contrôle au ministère de l’Economie au sujet de la dette hors bilan et, d’une façon générale, du déficit de la France. De telles opérations doivent-elles voir le jour plus souvent ?

Charles Reviens : Cette opération de contrôle a été menée par le rapporteur général du budget de la commission des finances du Sénat, le sénateur Jean-François Husson (LR) qui souhaitait comprendre « comment il a été possible d’arriver à un niveau de déficit qui, s’il était confirmé à 5,6 %, n’aurait jamais été atteint sous la Vème République hors récession et hors crise (covid, crise financière de 2008 et récession de 1992-1993). » et « comment le gouvernement a pu se tromper à hauteur d’environ 20 milliards d’euros sur sa trajectoire budgétaire ». Selon lui les services de Bercy envisagent un dérapage du déficit public à 5,6 % du PIB en 2023, 5,7 % en 2024 et 5,9 % en 2025 ce qui l’amène à qualifier la gestion budgétaire de l’exécutif de « calamiteuse ». 

Cette opération rappelle que le Sénat n’est pas contrôlé par le gouvernement. Des opérations de cette nature ont une motivation politique et des circonstances favorables. L’avenir dira si ces éléments seront de nouveau réunis pour une nouvelle opération.

Nicolas Marques : Comme le disait Henri Poincaré, « un problème bien posé est un problème à moitié résolu ». Identifier les engagements, même s’ils sont hors bilan, aiderait à remettre en ordre les finances publiques. Le Sénat a raison d’exiger plus de transparence. Non seulement, il est dans son rôle de contrôle du gouvernement, mais la pratique de la haute assemblée montre que gérer de façon responsable le hors bilan permet de générer des économies massives. A titre d’illustration, le Sénat a capitalisé 1,6 milliard d’euros sur les marchés financiers pour éviter que la charge liée aux retraites de ses anciens fonctionnaires et élus repose intégralement sur les contribuables. Dans une étude récente, nous avons montré que si l’Etat avait provisionné ses retraites comme le Sénat, il économiserait 29 milliards d’euros par an et son déficit aurait été réduit en moyenne de 30 % par an depuis 2008. Un levier bien plus puissant que les propositions d’économies mises en avant par le gouvernement qui – pour l’essentiel – sont des économies de façade. 

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