Pierre Lellouche : pourquoi la France devrait cesser de se soumettre aux dérives idéologiques de la Cour Européenne des droits de l’homme<!-- --> | Atlantico.fr
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La cour européenne des droits de l'Homme.
La cour européenne des droits de l'Homme.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Angélisme juridique et terrorisme/

Depuis les attentats de janvier, de nombreuses propositions de lois, décrets ou amendements en matière de sécurité, renseignement et terrorisme ont été retoqués par la Cour européenne des droits de l'Homme. Son refus quasi-systématique des mesures qui visent à assurer la sécurité d'un pays interroge quant à la légitimité et l'angélisme de ses juges.

Pierre Lellouche

Pierre Lellouche

Ancien député, Pierre Lellouche a été secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes puis secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur au sein du gouvernement Fillon.

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Atlantico : Vous accusez la Cour européenne de jouer la "tour de Babel", d'être un "gouvernement des juges" avec une légitimité plus que discutable. Qu'entendez-vous par là  ?

Pierre Lellouche : Ces dernières années, la Cour est intervenue dans un tas de domaines en prenant toujours des positions très radicales. Son influence n'a cessé de grandir avec le protocole N°11 qui permet un dispositif de saisine directe de toute personne, quelque soit sa nationalité, présente sur un territoire d'un Etat membre. La jurisprudence de la Cour s'impose à tous avec une application directe, à telle point que les juridictions nationales se réfèrent aux jurisprudences de la Cour avant même que la décision soit discutée au fond dans le cadre national. La Cour se révèle être un vrai gouvernement des juges et un tribunal transnational qui décide de faire la loi dans un tas de domaines. Il s'agit d'un organisme juridictionnel supranational aujourd'hui. Au départ il était limité aux violations des droits de l'homme, aujourd'hui par extension nous y trouvons toutes sortes d'interventions sur une longue liste de sujets :

- le droit de la famille avec des arrêts qui concernent l'obligation de reconnaitre la GPA, alors même qu'elle est interdite en France. Aujourd'hui cette jurisprudence s'applique, sans que le gouvernement français n'ait fait appel dans un délai de 3 mois.

- l'introduction des syndicats au sein de l'armée par décision de la Cour Européenne des Droits l'Homme.

-  la fraude fiscale, avec un arrêt problématique qui fait que les fraudeurs à grande échelle sont protégés par la jurisprudence de la Cour et qu'il suffit d'un arrêt pour que les grands fraudeurs puissent échapper aux poursuites.

- La plus problématique d'entre tous est la jurisprudence sur le terrorisme. Les arrêts qui la composent sont très récents. Il existe différentes affaires toutes aussi incroyables les unes que les autres. Notamment l'affaire du Ponant en 2008. Des pirates somaliens ont été arrêtés pour avoir arraisonné un navire français. La Cour a considéré que ces pirates, privés de liberté depuis plusieurs jours, ont été illégalement placés en garde à vue, et présentés trop tardivement à un juge. La France a ainsi été condamnée à verser des dommages et intérêts à la hauteur de 52 000 euros à neuf pirates somaliens en réparation à leur dommage "moral".

En décembre 2009 il y a eu également l'affaire Kamel Daoudi. Il s'agit d'un franco-algérien qui a été condamné pour avoir préparé un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis.  Déchu de la nationalité française en 2005, il a été condamné à plusieurs années de prison par les tribunaux français. Il a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette dernière a jugé que "vu le degré de son implication dans les réseaux de la mouvance et l’islamisme radical, il était raisonnable de penser que du fait de l’intérêt qu’il pouvait représenter pour les services de sécurité algériens, M. Daoudi pouvait faire à son arrivée en Algérie l’objet de traitements inhumains et dégradants". Autrement dit, plus le terroriste est dangereux, moins il peut être expulsé, car les Algériens pourraient "lui faire bobo".

Le cas le plus spectaculaire est celui de Djamel Beghal en décembre 2011.  Il s'agit d'un homme algérien, qui a acquis sa nationalité par le mariage. Il a été condamné en France pour terrorisme et déchu de la nationalité française en 2006. La Cour a bloqué l'expulsion et il a été logé, aux frais du contribuable, dans un hôtel de Murat, dans le Cantal. Hôtel dans lequel il a reçu à plusieurs reprises les frères Kouachi et Coulibaly. Photos à l'appui.

En 2012, le Cour a en outre rendu une décision "Othman (Abu Qatada)" contre le Royaume-Uni. Il s'agissait d'un Jordanien, d'origine palestinienne, reconnu coupable de plusieurs attentats. Les Anglais l'ont condamné et voulaient l'expulser en Jordanie, après avoir convenu d'un protocole avec les jordaniens qui visait à lui interdire la peine de mort. Lorsqu'ils ont voulu l'expulser, malgré cela, la Cour Européenne a bloqué l'expulsion.

Une des décisions les plus récentes remonte au 7 octobre 2014 et concerne l'affaire de Trabelsi, contre la Belgique. Il s'agissait d'un terroriste de nationalité tunisienne arrêté à Bruxelles en septembre 2001 en possession de faux passeports et de plans très détaillés de l'ambassade des Etats-Unis à Paris. Il a été condamné à 10 ans d'emprisonnement en Belgique. Il prévoyait également d'attaquer une base militaire américaine. Les américains ont donc demandé son extradition. Le gouvernement belge a laissé les américains l'extrader, et pour cette raison - parce que la Cour a jugé l'extradition illégale - la Belgique a été condamnée à 90 000 euros d'amende dont 60 000 euros pour dommage moral subi du fait de l'extradition.

Différentes mesures ont pourtant été proposées en matière de sécurité, terrorisme et renseignement. Pour quels prétextes la Cour européenne des droits l'Homme les retoque ?

Il s'agit toujours du fondement de l'article 3, à savoir l'argument du risque que la personne expulsée se trouve attaquée dans ses droits de l'homme. Lorsqu'il y a des raisons de penser que cette personne sera maltraitée dans son pays d'origine, la CEDH réagit.

Ce système de droit supranational interdit l'extradition de terroristes condamnés binationaux, déchus de leur nationalité, et nous sommes obligés de les garder sur notre territoire à cause de la jurisprudence de la Cour. Ce n'est plus possible d'avoir une jurisprudence qui dérive à ce point ! Avec la saisine directe, ce sont des dizaines de milliers de saisines par an. Alors qu'elle traitait 5 000 requêtes en 1990, aujourd'hui elle en traite 60 000 par an. La Cour est saisie pour tout et n'importe quoi.

Sur la lutte contre le terrorisme qui relève vraiment de la sécurité nationale,  cette jurisprudence est complètent baroque.

Le plus inquiétant - et déplorable -  n'est-ce pas tant l'idéalisme des juges face aux mesures sécuritaires ?

Oui tout à fait. C'est une jurisprudence qui m'étonne et me surprend parce qu'à force de pousser une bien-pensance nous arrivons à des choses complètement absurdes. Aujourd'hui nous nous occupons davantage des terroristes que des victimes que ces derniers ont pu faire.

On renverse l'équation des victimes. Cela n'a pas toujours été le cas. Il y a eu cette dérive ces dernières années qui est parallèle avec la mise en œuvre du protocole n°11, c'est-à-dire la saisine directe. La Cour s'est attribuée des droits qui n'ont rien à voir avec ce pour quoi l'Europe est faite. Et même, elle est entrain de fabriquer un sentiment anti-européen très fort. Peu à peu, les Français prennent conscience qu'ils sont complément corsetés par les règles de Schengen qui ne sont pas appliquées, par l'absence de contrôle, de coordination, et par une juridiction qui prend des décisions complètement baroques et dangereuses pour la sécurité nationale. Le problème du positionnement de la France par rapport à la CEDH se pose. Pour l'instant la résolution que j'avais proposée en avril (lire ici) à ce sujet a été retoquée. Dans les conditions actuelles, je me demande si le gouvernement ne la regarderait pas différemment.

Depuis 10 mois, nous avons cessés de soulever ce genre de difficultés, sur la déchéance de nationalité, sur les expulsions … A chaque fois nous avons été retoqués.

A force d’empêcher les Etats de prendre ces mesures qui pourraient "contraindre" les libertés fondamentales, de s'opposer aux propositions en matière de sécurité, n'y a t-il pas un effet contre productif, voire pire, lorsqu'un Etat, comme aujourd'hui la France, est obligé de déclarer l'état d'urgence et de prendre par conséquent des mesures qui peuvent viser restreindre des libertés, mais deux fois plus sévèrement ? Quelles sont les autres risques de ce progressisme juridique ?

Cela va accroitre le sentiment anti-européen et générer un risque de réflexe anti européen. Nous avons échoué sur tous les côtés : nous aurons affaibli la Convention des droits de l'Homme et nous aurons affaibli la légitimé de cette cour – qui par ailleurs est utile. Apres la deuxième guerre mondiale l'objectif était de lutter contre le totalitarisme. Aujourd'hui, la jurisprudence protège les terroristes condamnés. On marche vraiment sur la tête.

La Convention des droits de l'Homme prévoit cet état d'urgence avec des mesures d'exception, mais temporaires. Il est très difficile voire impossible pour nous de durcir ces conditions. La CEDH fait partie du système de la Convention des droits de l'Homme et il n'y a pas de sortie prévue. A moins de sortir de la convention. Il n’y a pas de moyen pour un Etat de ne pas respecter une décision de la CEDH. Ils sont juste en mesure de contester (c'est ce que j'ai cherché à faire avec ma résolution) ou de faire appel. Il y a une bonne raison en Europe de conserver un socle de droits fondamentaux. Maintenant, lorsque ces droits permettent à une juridiction supranationale de faire le droit à la place des parlements nationaux, nous sommes devant un gros problème.

Qu'est ce qu'il se passera quand l'état d'urgence s'arrêtera ? Est-ce que des mesures vont garder leur efficacité, ou bien est-ce qu'on reviendra au droit commun dans trois mois ? C'est la question que j'ai soulevée jeudi 19 novembre à l'Assemblée en proposant de permettre au gouvernement de renouveler, tant qu'il y aura besoin, cet état d'urgence, avec évidemment l'approbation du Parlement. Curieusement, Manuel Valls était pour, mais sa majorité était contre. L'amendement a été repoussé. Tout le régime d'état d'urgence qu'on a mis en place va s'appliquer jusqu'à fin février. Après quelles mesures resteront en applications et quelles mesures seront suspendues ? Est-ce qu'elles perdureront après pour les personnes fichées S ?

Le Gouvernement à proclamé l'état de guerre. Nous, nous l'avions proclamé le 11 janvier. Plutôt que de faire des manifestations pour la fraternité, il aurait été utile de déclencher l'Etat d'urgence dès le mois de janvier et de frapper du pied la fourmilière pour la détruire avant qu'elle ne s'étende. Nous aurions pu espérer des mesures fortes depuis le mois de janvier, avec toutes les propositions que nous avions faites, on ne les a pas eues, pas seulement en 2015 mais aussi en 2013 et 2014 sur les lois anti-terroristes.

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