Petites réflexions sur l'art et la création "ex nihilo"<!-- --> | Atlantico.fr
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le centre Pompidou
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©AFP

L'art de rien

On a tôt fait de dire de nous, que nous sommes des génies sans développer le moindre effort. Mais qu'en est-il vraiment ?

Michaël Parent

Michaël Parent

Michaël Parent est enseignant. Il donne des cours de français et de philosophie. 

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On entend souvent dire, chez les artistes, et notamment chez le écrivains, je ne m’inspire pas des autres, de peur de dissiper mon style sous le flot de pastiches kaléidoscopiques. Comme si, l’impression et le téléchargement d’images mentales de prédécesseurs talentueux risquaient à terme d’abîmer, d’éroder la marque et le sceau idiosyncrasique du maître d’oeuvre. Il persiste, très largement d’ailleurs, la doxa coutumière selon laquelle, copier les autres, s’abreuver des poètes, écrivains, peintres, musiciens ayant marqué leur époque, serait la marque faible et indigente dans sa dimension inspirante, des copieurs, voleurs d’idées, artistes sans talent, incapables d’engendrer leur propre style, à partir d’eux-mêmes. A ce compte là, nous sommes tentés de penser par nous-mêmes, au lieu de penser contre nous-mêmes, de penser par les autres, de forger notre identité artistique moulée dans les modèles émancipateurs des influenceurs légitimes, pas ceux que l’on retrouve sur la toile des réseaux, vous l’aurez compris.

On vit une époque d’enfonceurs de portes ouvertes semble-t-il. Une époque starifiante où la cosmétique dissimule un vide quantique sans commune mesure, un vide abyssal où l’identité embryonnaire penne à sortir la tête de l’eau. Et l’art n’échappe pas à la règle, ploie sous le joug d’injonctions à découvrir son style par le biais de raccourcis faciles, de méthodes toutes faites, de= préfabriqués de la pensée, d’éléments de langage et de notices « pour les nuls », parce que nous avons perdu l’habitude de prendre le temps, parce que nous n’avons plus la patience de lire, de noter, de consigner, de transfigurer, de digérer, d’incuber, dans un temps long, nos desiderata insatiables à aller toujours plus vite. Même la SNCF, s’y est mise, le slogan titrant, « Prenez le temps d’aller vite » comme si l’on pouvait encore se consacrer un temps imparti à l’ascèse, à la méditation ou faire le lotus au milieu des marteaux piqueurs du chantier en face de chez soi.

Sans doute la curiosité nous a-t-elle était volée, sans doute, la saturation d’iconographies lénifiantes nous a t-elle conduit sur la pente du panurgisme et de la grégarité. Reste que, l’artiste est pris, saucissonné dans son époque, mu par des forces électro-magnétiques qui inhibent son entendement. Tout semble concourir, à faire de lui un être céphalopode, (rappelons que céphalopode, signifie penser comme ses pieds, à tout le moins qu’ils serait doté de tentacules intelligents, peut être puis-je faire l’hypothèse « du crétin digital, des tentacules virtuels qui le perdent dans la nasse des réseaux, ses doigts tentaculaires sachant pianoter activement.) Par conséquent je regrette le temps, où nous étions honorés de pasticher, de faire renaître les grands dramaturges grecs, le temps où le grec, figurait la résurrection christique de la langue, là où aujourd’hui un globish méphitique annihile progressivement sa singularité, selon les règles du progresso-nihilisme et l’éconduit à la mort cérébrale, végétant des mots-valises, des mots code-barres. On a tôt fait de dire de nous, que nous sommes des génies sans développer le moindre effort, de nous estampiller HPI, de nous accoutumer à l’idée d’un génie divin créant ex nihilo. Alors quoi ?

Nous serions tout à coup capable à l’instar de Dieu, de créer l’univers, notre univers à l’aune du néant, à l’aune du rien, par Dieu sait quel treuil ontologique, par Dieu sait quel artifice audacieusement improbable, recette de cuisine, ou notice de meuble Ikéa, capable de standardiser nos oeuvres dans une conformité et une duplication prévisible ? Alors je sais bien que l’enthousiasme signifie entrer en Dieu, mais l’artiste ne crée pas à partir de rien, le mythe de la chimère, développe cette idée, qu’une fiction, un narratif n’est jamais l’anthèse du réel mais qu’au contraire, elle procède par réassemblage.

Le monstre à tête de lion, corps de chèvre et queue de serpent, se réapproprie le réel et si l’art est grossier, plus il s’inspire des autres et plus il devient lui même paradoxalement, estompant peu à peu les frontières d’un assemblage postiche, devenant de facto le trompe l’oeil par lequel l’esthète aime tant être dupé.

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