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Oscar Pistorius, héros déchu de l'Afrique du Sud : une mère idéalisée qui noyait son chagrin dans la bouteille
©Reuters

Bonnes feuilles

Oscar Pistorius, c’est l’histoire de la compétitivité forcenée qui règne aux jeux Olympiques, c’est l’histoire d’une ascension fulgurante, l’histoire du rôle controversé des médias. C’est l’histoire, aussi, d’une jeune démocratie, l’Afrique du Sud. C’est l’histoire d’un meurtre, et une histoire d’amour. Et enfin c’est l’histoire d’Oscar Pistorius lui-même, cet enfant amputé des deux jambes à l’âge de 11 mois, qui court aux côtés des hommes les plus rapides du monde, dont la vie est tragique, shakespearienne, quelle que soit l’issue de son procès. Extrait de "Oscar Pistorius", de John Carlin, publié aux éditions du Seuil (2/2).

John  Carlin

John Carlin

John Carlin est un scénariste et journaliste anglais qui écrit entre autres pour The Guardian, le New York Times ou El Pais. Il est connu pour ses livres et articles sur le sport et sur l'Afrique du Sud. En France, ses livres Invictus et Rafa co-écrit avec Rafael Nadal ont connu un très gros succès.

 

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Le refus de Sheila de laisser le handicap de son fils le diminuer physiquement ou mentalement fut le moteur des victoires triomphales à venir de Pistorius sur les pistes. Elle n’imagina jamais qu’il pût devenir mondialement célèbre mais elle comprit immédiatement que les drôles de jambes en bois qu’il portait petit attiseraient la curiosité d’autrui et lui vaudraient parfois des moqueries. Dans sa détermination à lui apprendre à ne jamais se sentir mal à l’aise ou à n’avoir jamais honte, à toujours se tenir fièrement debout, elle lui inculqua une autre leçon : ne jamais oublier, jamais, que les gens te regardent de la façon dont tu te perçois toi-même. Il l’écouta attentivement et agit en conséquence. En revanche, elle omit d’envisager qu’en se cachant à lui-même la vérité sur son état et en la dissimulant aux autres, il gagnerait peut-être à court terme en estime de soi, mais aurait à long terme du mal à faire face à ses émotions, ce qui entraverait certainement sa capacité à les gérer en tant qu’adulte. Cela signifiait qu’il se pousserait parfois plus qu’il ne le désirerait vraiment ; qu’il sourirait et se montrerait fort quand à l’intérieur il se sentirait triste et faible. L’habileté avec laquelle il masqua ses faiblesses lui permit certes de façonner son amour-propre, mais il paya le prix d’une telle superficialité avec le chaos émotionnel qui dut être le sien face à l’impossibilité de concilier ce qu’il souhaitait être avec ce qu’il était vraiment. Se battre constamment pour être considéré comme normal, en banalisant sa malformation, ne fût qu’illusoire et générateur d’angoisse et de stress.

Mais la tension entre les deux facettes en évolution d’une même personnalité était quelque chose qu’un enfant à ce point sous le joug maternel était bien incapable de formuler, et Oscar ingurgita la leçon, se comportant comme sa mère lorsque les gens lui demandaient comment elle faisait avec un enfant sans pieds : niant le problème, et gardant toujours la tête haute.

Sheila Pistorius joua son rôle avec conviction. Mais son fils le comprit finalement une fois adulte, elle avait elle aussi une face obscure qu’elle s’évertua de dissimuler, conséquence de son anxiété en tant qu’épouse malheureuse et, plus tard, en tant que mère célibataire élevant seule trois enfants avec à peine de quoi joindre les deux bouts. Sans compter qu’elle dut probablement absorber l’angoisse inévitable de son enfant handicapé. Devant ses amis et ses connaissances, elle se montrait résolument joviale, ne se révélant que très peu. Elle fit à tout le monde le même effet qu’au directeur de Pretoria Boys’. D’autres professeurs qui la rencontrèrent au cours de la scolarité d’Oscar furent émerveillés par « son dynamisme, son humanité et sa sincérité » et frappés de voir « à quel point elle était pétillante et enjouée ». Ce fut précisément en ces termes que son fils la décrivit plus tard aux journalistes.

Il continua peut-être de croire adulte que tout allait très bien dans le meilleur des mondes à la maison durant son enfance. L’habitude de nier les vérités dérangeantes étant sans doute devenue une seconde nature, il ne put se rendre compte que sa mère buvait le soir pour s’endormir. C’était une buveuse occasionnelle et solitaire. Dieu l’aidait certes à apaiser la douleur qu’elle refusait d’affronter ou de montrer, mais elle trouvait aussi un certain soulagement dans la bouteille. Parfois elle était tellement saoule qu’elle ne se réveillait pas lorsque ses deux plus jeunes enfants pleuraient en pleine nuit parce qu’ils avaient besoin d’elle. Alors Carl, l’aîné, prenait les choses en main et jouait le rôle du père, dissimulant l’état de leur mère à son frère et sa soeur.

Extrait de "Oscar Pistorius - le héros déchu de l'Afrique du Sud", de John Carlin, publié aux éditions du Seuil, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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